La liturgie, cœur battant de l’initiation chrétienne

27 Novembre 2011 : Célébration de confirmation des adultes du diocèse de Paris par Mgr Jean-Yves NAHMIAS (a d.), év. aux. de Paris, assisté de p. Jean LAVERTON (a g.), vicaire épiscopal pour le catéchuménat, égl. Saint Roch, Paris (75), France. November 27th, 2011 : Diocesan celebration of the Sacrament of confirmation for adults. Saint-Roch ch. Paris (75) France.

2011 : Célébration de confirmation des adultes du diocèse de Paris par Mgr Jean-Yves Nahmias, év. aux. de Paris, assisté de p. Jean LAVERTON (a g.), vicaire épiscopal pour le catéchuménat, égl. Saint Roch, Paris.

Par Roland Lacroix [1], Responsable du catéchuménat et de la pastorale des recommençants, Diocèse d’Annecy

Le Rituel de l’Initiation Chrétienne des Adultes place au cœur du processus catéchuménal les étapes liturgiques, car « c’est en fonction des sacrements de l’initiation que le catéchumène est conduit[2]. »  Le dispositif catéchuménal offre les temps, les lieux, les espaces, les relations pour que l’initiation puisse, par ses rites, introduire les catéchumènes dans le mystère de la foi. Sans reprendre la description détaillée du rituel, nous ne ferons ici qu’évoquer la manière dont cela s’opère concrètement.

Une alternance de temps et d’étapes liturgiques

L’initiation chrétienne est un chemin d’expérience autant qu’elle est l’expérience d’un chemin. Trois étapes liturgiques[3] s’articulent avec quatre temps de cheminement[4] pour plonger chaque catéchumène dans l’expérience chrétienne. La sacramentalité est ainsi « déponctualisée ». Elle est vécue et comprise dans son étendue, dans un déploiement progressif de toutes les significations du sacrement. D’autant plus que les rites pratiqués ne se limitent pas aux étapes liturgiques proprement dites[5]. Le risque est alors évité de comprendre la grâce de Dieu comme survenant à la fin d’un parcours. Elle est au contraire éprouvée à chaque pas et, lorsque l’initiation déploie la richesse de ses rites, de manière particulière.

Ce que les accompagnateurs tentent de faire découvrir aux catéchumènes avec des mots, de la bienveillance et une relation de proximité, la liturgie le fait vivre par un certain nombre de rites et de gestes symboliques. Faire plonger la tête d’une catéchumène dans la cuve baptismale en dit plus long que de longs discours sur le baptême comme nouvelle naissance. Imposer la main en silence lors d’un scrutin parle mieux à l’initié(e) du don de la grâce libératrice de Dieu qu’aucun mot ne sera assez fort pour le faire.

Une confiance initiale

Accompagner des catéchumènes c’est donc leur permettre de vivre une sorte d’« état de grâce ». Car ils ne font que recevoir au baptême : le signe de croix, le Livre, le Notre Père, l’eau … Il est indispensable alors de faire confiance au processus liturgique de l’initiation et à sa source : le don gracieux de création et de salut du Père, par le Christ. Initier par la liturgie c’est en quelque sorte laisser le champ libre au Christ. L’accompagnateur n’est pas un maître d’initiation, mais un passeur. Sa confiance l’entraîne à rester humble et à s’effacer devant le rite : discuter du christianisme ne suffit pas à « faire » un chrétien. Un espace liturgique doit s’ouvrir pour permettre la rencontre en vérité entre le mystère de Dieu et le mystère de chaque personne initiée. Là où le cœur est touché, au sens propre, lors de la signation[6], et au sens figuré, dans la profondeur de l’être. Les catéchumènes marquent concrètement leur réponse à ce don en donnant leur nom et en signant un registre lors de l’appel décisif par l’évêque.

La confiance des accompagnateurs devant la liturgie proposée ne les rend pas passifs. Ils sont au contraire au cœur de la transmission, comme l’exprime le rite de la traditio, vécu intensément par les catéchumènes. Les accompagnateurs remettent alors aux initiés les textes du Notre Père et du Credo. Auparavant, l’assemblée dominicale proclame ces deux textes. Elle ne le fait pas ce jour-là comme d’habitude, car elle est en posture de transmission. Catéchumènes, accompagnateurs et assemblée sont alors initiés ensemble au caractère vivant de la tradition.

L’initiation, du vécu !

Pierre, un ingénieur de quarante ans, a vécu deux petits événements lors de son entrée en Eglise. Après l’homélie, il a reçu dans les mains le lectionnaire. Lors de la relecture avec ses accompagnateurs après le rite de renvoi, il dit : « Quand j’ai eu le livre ouvert dans les mains, la parole m’a parue phosphorescente. Ça a été le moment le plus fort … » Puis, comme s’excusant : « Ce devait être un effet de lumière … » Une autre surprise l’attendait lorsqu’il rejoignit les membres de l’assemblée sur le parvis de l’église après la messe. Beaucoup en effet vinrent le voir pour lui dire combien sa démarche avait fait écho dans leur propre chemin de foi : « Je ne pensais pas que ça pouvait résonner chez tant de gens », dit-il. C’est justement comme « catéchumène », mot dans lequel on entend le mot « écho », qu’il venait d’être admis dans l’Eglise.

Cet exemple illustre la manière dont la mise en œuvre du rituel a une force en soi. Mais ses effets sont souvent inattendus. Pierre a éprouvé physiquement l’importance de la Parole, et le fait que c’est Dieu lui-même, par la médiation de l’Eglise, qui l’ouvre à sa Parole. Il ne lira plus la Bible comme avant. En retour, les membres de l’assemblée sont touchés par sa présence et son témoignage comme par l’ensemble des rites mis en œuvre. Ils sont eux-mêmes initiés par la démarche et les rites pratiqués.

Mais vivre les étapes liturgiques est parfois abrupt pour les catéchumènes. Leur foi doit s’extérioriser, se confronter à une assemblée de croyants qu’ils ne connaissent pas ou mal. Cela leur demande de vivre chaque fois une démaîtrise et une sortie de soi. Par exemple par le témoignage demandé. Nul doute que cette expérience initiatique rejaillit sur leur vie elle-même. Les accompagnateurs sont d’ailleurs témoins de ce qu’ils expriment sur les changements qui adviennent en eux tout au long du processus catéchuménal. Autant d’indices de l’imprégnation progressive du mystère de la foi dans leur univers intérieur et dans leur vie sociale. Les scrutins sont sans doute les étapes les plus décisives à cet égard. Devenir chrétien c’est en effet devenir soi en se décentrant pour accueillir l’Autre et les autres. L’imposition des mains et la prière d’exorcisme font éprouver cet équilibre toujours précaire entre la maîtrise de soi et le lâcher-prise. En faisant comprendre que la vie chrétienne n’est pas un long fleuve tranquille ni une réalité statique, à l’image d’ailleurs de l’existence elle-même. Les catéchumènes réalisent alors qu’on n’est pas chrétien une fois pour toutes mais que le baptême fait entrer dans un devenir et qu’il y a et qu’il y aura toujours un « combat spirituel » à vivre sur ce chemin de vérité, de parole et de liberté.

Étapes liturgiques, étapes de maturation

Dès le premier accueil, accepter de se laisser accompagner, d’entamer une démarche dont on ne sait pas encore où elle pourra nous mener et que les proches ne suivent pas forcément fait déjà partie de l’initiation. Chaque étape liturgique sera ensuite une « épreuve de maturité », opérée par des gestes symboliques simples, des paroles fortes, les paroles même de la foi. Les catéchumènes ont souvent une appréhension normale face à ces étapes. Ils ont l’intuition qu’elles seront pour eux un agent de transformation intérieure. Ils ont raison : on ne peut s’attendre à tout ce que ces rites produisent sur les personnes. Alors qu’on semble parfois attendre des catéchumènes qu’ils deviennent conformes à un modèle chrétien préexistant, l’initiation, dans son déploiement liturgique, est imprévisible quant à ses effets sur les initiés !

Chaque étape demande une maturité pour être célébrée. Mais on ne doit pas oublier dans le discernement que la maturation vient aussi par l’étape elle-même. Ce processus de transformation est signifié par les changements de nomination des catéchumènes : d’abord « sympathisants » et « candidats », ils deviennent « catéchumènes » puis, lors de l’appel décisif, electi, « élus, choisis », competentes, « ensemble, ils désirent vivement, ils forment une communauté de désir », illuminandi, « en train d’être illuminés », puis, après le baptême, néophytes, « nouvelles plantes ». Les rites, les gestes et les prières ne font pas que nommer ces passages. Ils les marquent et les réalisent, conjointement avec la catéchèse, la vie personnelle de conversion et l’expérience ecclésiale.

Le dernier temps, le temps de la mystagogie ouvre une nouvelle période de maturation. Il révèle ainsi que ce qui s’est accompli « une fois pour toutes » par les sacrements d’initiation n’est pas une clôture mais au contraire une ouverture à un « devenir sans cesse ». L’initiation achevée, la liturgie n’a donc pas dit son dernier mot.

[1] Roland Lacroix, Devenir chrétien, Paris, Editions de l’Atelier, 2006.
[2] Dominique Lebrun, « Initiation et catéchuménat, deux réalités à distinguer », in La Maison Dieu n° 185, 1er trimestre 1991, p. 57
[3] L’entrée en Eglise, l’appel décisif et les sacrements d’initiation
[4] Temps de la première évangélisation, Temps du catéchuménat et ses rites, Temps de la purification et illumination et ses rites, Temps de la mystagogie
[5] Voir par exemple les célébrations de la Parole de Dieu prévues pendant le temps du catéchuménat
[6] Lors de la première étape, la signation est faite sur le front, les oreilles, les yeux, la bouche, le cœur et les épaules

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