Le sacrement de mariage, un acte d’Eglise

1er septembre 2012: Mariage de Sophie et Alexandre à l'égl. Saint Denys du Saint Sacrement, Paris (75), France. September 1st, 2012: Marriage of Sophie and Alexandre in the church Saint Denys du Saint Sacrement, Paris (75), France.

Cérémonie de mariage

Par Hélène Bricout, Professeur d’histoire et de théologie de la liturgie à l’Institut supérieur de liturgie (ISL – ICParis)

Si le mariage est un sacrement, c’est qu’il est un événement ecclésial, comme tous les sacrements. Le faire percevoir est essentiel, car la privatisation du mariage est une réelle tentation aujourd’hui. Or il arrive souvent que notre langage, loin de clarifier la dimension ecclésiale du sacrement de mariage, l’obscurcisse. Tel est le cas lorsque l’on dit par exemple que les conjoints « se donnent » ou « s’échangent » le sacrement. Un peu de précision s’impose.

En quoi consiste l’ecclésialité du mariage sacramentel ?

Un sacrement est un acte d’Église qui commémore et manifeste le don que Dieu fait à son peuple. Le mariage le fait de différentes manières :

  • Puisque « l’amour est la vocation fondamentale et innée de tout être humain »[1], et que la capacité à aimer est un don que Dieu fait à tous, on peut admettre que le mariage sacramentel – monogame et indissoluble – constitue la forme conjugale la plus apte à réaliser cette vocation. Et puisque Jésus a donné par toute sa vie, sa mort et sa résurrection, un exemple inégalé du don de soi par amour, les chrétiens, ses disciples, s’engagent à suivre ce chemin de don de soi dans le mariage. Ainsi, leur amour conjugal n’est pas un épisode isolé de l’histoire du monde, mais un lieu où se manifeste concrètement l’amour inconditionnel de Dieu pour l’humanité.

Pour réaliser le don de soi dans le mariage, les époux reçoivent l’aide de l’Esprit, grâce d’amour donnée aux conjoints, qui les précède et les accompagne tout au long de leur vie.

  • La bénédiction nuptiale, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, est constituée d’un triple envoi en mission[2] : mission ecclésiale des époux, car c’est en tant que baptisés mariés qu’ils sont envoyés ; mission baptismale des chrétiens à accomplir en couple (aimer Dieu et son prochain, offrir sa vie au Père, annoncer l’Évangile, et lutter contre le mal sous toutes ses formes.
  • « Les époux sont pour l’Église le rappel permanent de ce qui est advenu sur la croix »[3]. En les accompagnant et en célébrant des mariages, l’Église fait mémoire et célèbre en même temps l’inconditionnalité et la puissance de l’amour de Dieu, à l’œuvre dans un couple en particulier.

Les ministères dans la célébration du mariage

Parler de « ministères » suppose un lien avec la sacramentalité de l’Église. C’est par rapport à la sacramentalité de l’Église que se positionnent les différents « ministères » qu’il importe de ne pas confondre.

1. Qu’est-ce que la sacramentalité de l’Église ? Le n°1 de la Constitution dogmatique sur l’Église (Lumen gentium) du concile Vatican II écrit que « l’Église est en quelque sorte, dans le Christ, le sacrement du salut, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ». Signe et instrument : par elle se vit le salut, à savoir l’union intime avec Dieu et l’unité de l’humanité.

2. En référence à la sacramentalité du salut se positionne immédiatement le ministère ordonné. Que fait le prêtre dans la liturgie ? Il « préside au rassemblement et accomplit l’acte sacramentel au nom du Christ » : il préside la célébration du mariage, dispense la Parole et l’explique ; il reçoit au nom de l’Église, qu’il représente, les consentements des époux, et confère la bénédiction nuptiale. Dans la théorie consensualiste pure (seul le consentement réalise le sacrement), la bénédiction était facultative (cf. le Rituel romain de 1614, avant la dernière réforme conciliaire) ; les dimensions ecclésiale, trinitaire et eucharistique étaient secondaires. On ne peut plus, aujourd’hui, penser de la même façon : « la bénédiction nuptiale ne doit jamais être omise » ! Nous avons eu l’occasion de dire qu’elle comportait toute la dimension sacramentelle du mariage. Elle a un statut identique à celui de toutes les grandes prières consécratoires dans la liturgie : la bénédiction des prêtres, celle de la consécration des vierges, des religieux (ses), celle de l’eau baptismale, la prière eucharistique elle-même… Si on prend en compte cette donnée, on doit réévaluer aussi le rôle de celui qui la prononce, et qui est en lien direct avec la sacramentalité de l’Église, au nom de laquelle il prononce cette bénédiction. Le ministre, en prononçant la bénédiction, et en le faisant au nom du Christ et de l’Église, est porteur et garant de la référence ecclésiale et trinitaire recherchée, par les couples et surtout par l’Église. Il y a donc bien autre chose qu’une simple raison de convenance pour que ce soit un ministre ordonné qui prononce la bénédiction.

3. Les époux : il est bien évident que sans eux, il n’y aurait pas matière à ce qu’il y ait sacrement. Sans leur consentement, pas de mariage, de la même façon que sans pain et sans vin, il n’y a pas d’eucharistie, et que sans eau, il n’y a pas de baptême. Le sacrement de mariage prend racine dans leur consentement mutuel à la communauté de vie et d’amour, et il sanctifie les conjoints en manifestant le don qu’ils ont reçu (l’Esprit), pour réaliser « leur vocation d’hommes et de chrétiens » dans le mariage. Le rôle des époux n’est donc pas négligeable ; faut-il cependant, pour le respecter, en faire un « ministère » ? Le consentement de conjoints à l’engagement conjugal relève du libre exercice de leur responsabilité chrétienne : accepter de collaborer à l’amour de Dieu par la construction du couple et de la famille. Ce n’est pas pour autant un ministère au sens sacramentel, pas plus (ou pas autrement) que le baptisé n’est ministre de son baptême.

4. Car le consentement n’est pas suffisant pour qu’il y ait sacrement ; pour acquérir sa dimension sacramentelle, ce consentement doit être relié à la foi au Dieu trinitaire qui est à l’origine de tout don. L’alliance conclue entre les époux se nourrit d’une relation vivante au Dieu d’amour qui les envoie et leur donne son Esprit. C’est bien, ainsi que nous l’avons dit, ce qu’exprime la bénédiction nuptiale. Cette dernière est prononcée par un ministre ordonné, au nom de l’Église, qu’il représente, car les époux ne peuvent eux-mêmes s’envoyer en mission, ni se donner l’un à l’autre l’Esprit pour accomplir cette mission. Devant le don de Dieu, l’attitude des croyants est celle d’une « réception active » de sa grâce dans leur vie, et d’un consentement à y collaborer chaque jour.

Article extrait de la revue Célébrer, n°336, mai-juin 2005, p 51-53

[1] Les tâches de la famille chrétienne, n° 11. Exhortation apostolique « Familiaris Consortio » de Jean-Paul II, éd. du Cerf, Paris, 1981.
[2] La triple mission des baptisés peut s’exprimer en mission de « prêtres, prophètes et rois », comme le fait le Rituel du baptême
[3] Les tâches de la famille chrétienne, n°13.

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