Célébration des funérailles : du bon usage des rites d’ouverture

02 août 2016 : Procession de sortie lors de la messe de funérailles du P. Jacques HAMEL, assassiné dans une église de Saint Etienne du Rouvray par des terrorristes affiliés à Daech. Cathédrale Notre Dame de Rouen, (76), France. August 2nd, 2016: Thousands have gathered at Rouen cathedral in Normandy for the funeral of French priest Father Jacques Hamel, who was murdered in his church by Islamist extremists last week. Rouen, France.

Sacha Guitry aimait répéter à ses acteurs : « Il ne faut jamais rater son entrée en scène !» Sans vouloir comparer la liturgie au théâtre, on pourrait dire de la même façon : « Il ne faut pas manquer les rites d’ouverture ! » L’enjeu est tout autant liturgique que théologique, ecclésiologique et pastoral. Les rites d’entrée de la célébration des obsèques se déclinent en plusieurs actes. Nous proposons, dans ce premier article, de réfléchir sur le chant d’entrée, la salutation liturgique et la monition ou mot d’accueil.

De seuil en seuil …

C’est généralement à la porte de l’église que le prêtre ou les membres de l’équipe de funérailles salue les personnes de la famille et se recueille près du corps. Celui qui a franchi la porte de l’église le jour de son baptême attend symboliquement sur le seuil, pour le grand, l’ultime passage de la mort à la vie, avant que, porté par d’autres, il ne traverse la nef vers l’autel. On pourrait méditer longuement sur ce simple déplacement qui récapitule en même temps qu’il annonce toute la visée et la pédagogie du rituel des funérailles. Le corps du défunt est encore parmi nous, mais il ne nous appartient déjà plus : il est tourné vers l’autel (Rituel des funérailles, n° 47, note 1) que R. Guardini aime aussi à comparer à un seuil, « frontière entre l’espace du monde et l’espace de Dieu, entre l’immédiateté de l’humain et la transcendance de Dieu »[1].

Un triple passage

Les préliminaires du Rituel des funérailles s’ouvrent sur une affirmation théologique de taille : « C’est le mystère pascal du Christ que l’Église célèbre avec foi dans les funérailles de ses enfants » (Rituel des funérailles, n° 1). C’est le passage, le transitus du Christ de la mort à la vie que l’Église célèbre. Dieu, en ressuscitant le Christ d’entre les morts, a ouvert un passage. Le passage accompli par Jésus n’est pas un passage solitaire, mais un passage collectif, de toute l’humanité, au Père. Ainsi, le Christ permet au défunt de faire à son tour le passage de la mort à la vie ; le rôle de la communauté chrétienne est précisément d’accompagner le corps du défunt et de le remettre entre les mains du Père. Mais, en célébrant ce mystère du passage, elle est invitée, elle aussi, à y prendre part. Si nous sommes déjà « passés » de la mort à la vie, par le baptême, de manière sacramentelle, nous devons aussi « passer » de la mort à la vie dans la réalité de notre vie quotidienne. Il nous faut passer. Passer le seuil de notre peine, de notre souffrance, nous laisser délier par le Christ des forces de mort pour donner à la vie le dernier mot. En d’autres termes, nous sommes invités à faire, dans notre existence même, ce passage de la mort à la vie. La liturgie joue en permanence sur ce triple passage : elle célèbre la Pâques du Christ, prie pour que le défunt passe de la mort à la vie et nous invite à oser passer le seuil de notre deuil.

Le chant d’entrée : seuil du passage, passage d’un seuil

Les possibilités de chant d’entrée sont nombreuses (cf. encadré). Le chant d’entrée, outre sa fonction unificatrice de rassemblement les participants, joue un premier rôle dans le passage. Placé au seuil de la célébration, il accompagne d’abord le passage du corps dans la nef (Rituel des funérailles, n°48). Il invite aussi l’assemblée à passer le seuil :

« Si notre soif de ta lumière nous a fait franchir la peur,

devant toi, Seigneur, nous aurons le cœur en paix. »[2]

Si le chant peut nous aider à franchir un seuil, encore faut-il que parole et musique se conjuguent pour ouvrir en nous un chemin de foi, d’espérance et de paix.

Quelques chants d’entrée possibles

  • Requiem (CNA 731)
  • Celui qui aime a déjà franchi la mort (CNA 733)
  • Donne-leur le repos (CNA 734)
  • Montre-nous ton visage d’amour (E 254)
  • Depuis l’aube (CNA 489)
  • Seigneur Jésus, tu es vivant (J 16)
  • Tu es notre Dieu (A 187)

La salutation liturgique donne le « ton » de la célébration. Pour le prêtre ou le diacre, le rituel propose au n° 52, en même temps que les formules habituelles la formule suivante :

« Que le Dieu de l’espérance vous donne en plénitude la paix dans la foi et que le Seigneur soit toujours avec vous.

– Et avec votre esprit. »

Cette formule, en l’absence de prêtre ou de diacre, peut être adaptée, avec ou sans réponse de l’assemblée :

« Que le Dieu de l’espérance nous soutienne dans la foi et vous donne la grâce et la paix.

  • Béni soit Dieu maintenant et toujours. »

ou  :

« Que le Dieu de l’espérance nous donne en plénitude la paix dans la foi. »

Cette salutation revêt un triple enjeu. Tout d’abord, au niveau ecclésiologique, elle représente la première prise de contact de la personne qui guide la prière avec l’assemblée et la situe comme acteur liturgique. La structure dialogale est hautement symbolique puisqu’elle représente le dialogue entre Dieu et son peuple. Ainsi, celui qui dirige la prière salue l’assemblée, non en son nom propre, mais au nom de Dieu et de l’Église, en vertu même du sacrement de l’Ordre ou du mandat qu’il a reçu. La teneur théologique de cette salutation souligne que la liturgie prie le « Dieu de l’espérance » et ouvre un chemin de paix pour l’assemblée. Cette espérance est ancrée profondément dans le mystère pascal du Christ et n’est permise que parce que le Christ est mort et ressuscité. « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien ! » dit Saint Paul[3]. Enfin, la salutation est précieuse au niveau psychologique : revêtir les mots de la liturgie permet à celui qui guide la prière de « canaliser » ses émotions et de maîtriser un stress normal avant toute prise de parole publique.

La formulation liturgique crée d’emblée une « rupture » avec le langage quotidien, rupture jugée parfois « inconvenante » dans une assemblée peu ou non croyante. Or, c’est peut-être parce que la salutation liturgique rompt avec le « quotidien » qu’elle peut emmener les participants au-delà de leur peine et leur douleur, créer doucement une distance, les conduire vers un apaisement et amorcer en eux, de manière encore inconsciente, ce que les psychologues appellent « un travail de deuil ».

Ainsi, la salutation n’est pas du même ordre que la monition ou mot d’accueil. D’un autre « genre littéraire », ce dernier est laissé à la libre initiative de celui ou celle qui dirige la prière. Le rituel propose plusieurs formulations (n° 53) qui développent l’un ou l’autre des aspects de la consolation :

  • l’importance des liens d’amitié au moment de la peine :

« Nous sommes réunis … pour entourer de notre (affection), (sympathie), (amitié) ceux qui sont dans la peine »

  • l’ouverture à une espérance :

«  … pour affirmer ensemble que tous ces liens que nous tissons tout au long de notre vie ne s’arrêtent pas avec la mort … »

  • l’invitation à la prière :

« … pour nous recueillir… pour prier… pour écouter la Parole de Dieu…(pour célébrer l’Eucharistie)… »

  • et même l’invitation à la louange :

« … pour nous rappeler que Dieu se souvient de tout ce qu’il y a eu de vrai, de beau, de grand dans la vie de N., et lui demander de l’accueillir… »

Demandes de personnalisation et pédagogie du seuil

La souplesse introduite par le rituel permet de trouver les mots justes, appropriés au type d’assemblée, à la vie du défunt, aux circonstances de la mort. Mais que faire vis-à-vis des demandes de personnalisation, des souvenirs du défunt que les parents voudraient évoquer ? De telles demandes peuvent être honorées tout en laissant la « pédagogie du seuil » inhérente au rituel se déployer. Il suffit par exemple de modifier quelque peu l’ordre des gestes. Après une procession d’entrée sur fond musical, un membre de l’équipe peut inviter l’assemblée à s’asseoir pour écouter l’évocation orale (poème, texte non biblique, témoignage…) ou musicale du défunt (la chanson ou la musique qu’il aimait). Après un bref silence, celui ou celle qui va diriger la prière peut se présenter, revêtir l’insigne liturgique qui lui est propre (si insigne il y a) avant d’adresser la salutation à l’assemblée. Une telle succession permet, tout en donnant place aux émotions et affects immédiats, d’instaurer une distance libératrice sans laquelle un cheminement ne pourrait s’amorcer.

Par Isabelle Lecointe

[1]   R. GUARDINI, La messe, Paris, Cerf, coll. « Lex orandi »  21, 1957, p. 58 // [2]   « Celui qui aime a déjà franchi la mort », MNA 733 (S 89). // [3]   1 Cor 15,17.

27 Février 2013 : Messe de funérailles pour Fr. Jean-Marie DELFIEUX, fondateur des Fraternités monastiques de Jérusalem, célébrée par Mgr André VINGT-TROIS, archev. de Paris. Cath. Notre Dame. Paris (75) France. February 27th, 2013 : Funeral mass for Brother Jean Marie DELFIEUX, the founder of Monastic Fraternity of Jerusalem. Notre Dame Cath. Paris (75) France.

Dans la cérémonie des funérailles, nous célébrons le mystère pascal du Christ ; nous prions pour que le défunt passe avec le Christ, de la mort à la vie ; en participant à la liturgie, nous entrons, nous aussi, dans le mystère du passage. L’article précédent a montré que le chant d’entrée, la salutation liturgique et le mot d’accueil peuvent introduire à ce triple passage. Nous proposons de poursuivre la réflexion sur les rites d’ouverture, plus précisément sur les rites de la lumière, de la croix et du vêtement, trois rites au choix proposés dès que les participants sont constitués en assemblée[1].

Le rite de la lumière, passage dans le Passage

Le cierge pascal est allumé au pied du cercueil. Il l’était bien avant que le corps n’arrive, attendant le défunt comme on attend un ami. Ce n’est pas un cierge quelconque qui est allumé. Le cierge pascal symbolise la présence du Christ mort et ressuscité, « le Christ, hier et aujourd’hui, commencement et fin de toutes choses, Alpha et Omega »[2].

Lentement, dans le silence, de façon visible, quelqu’un (un membre de l’équipe ou un membre de la famille) s’avance, allume un cierge au cierge pascal pour communiquer de sa flamme aux autres cierges et veilleuses placés autour du corps. La lumière du Christ ressuscité est communiquée au défunt, tout comme elle lui a été transmise le jour de son baptême. Et revient doucement en mémoire, comme un murmure, cette promesse faite le jour du baptême :

« Vous êtes devenu lumière dans le Christ,

marchez toujours comme un enfant de lumière ;

demeurez fidèle à la foi de votre baptême.

Alors quand le Seigneur viendra,

Vous pourrez aller à sa rencontre dans son Royaume

Avec tous les saints. » (RICA[3], n°227)

On mesurera ici l’enjeu de la visibilité du symbole et du savoir-faire liturgiques pour que le geste puisse jouer sa fonction d’expression opérante. En effet, la lumière qui se répand autour du défunt rappelle l’illumination du baptême et porte en espérance le jour où « il n’y aura plus de nuit », où le Seigneur Dieu répandra sur le défunt sa lumière.[4] Ce geste, ancré aux profondeurs baptismales, façonne aussi celui qui le pose et, à travers lui, l’assemblée qui s’y associe. Premier geste d’espérance qui fait passer de l’obscurité de la peine à la clarté de l’espérance :

« Cette flamme qui vient de toi, Seigneur,

lumière dans notre obscurité,

qu’elle éclaire ce pas que nous avons à faire

pour repartir dans l’espérance.»

(Rituel des funérailles, n° 55)

N’est-ce pas d’ailleurs la prière prononcée par le prêtre lors de la veillée pascale lorsqu’il allume le cierge au feu nouveau ?

« Que la lumière du Christ, ressuscitant dans la gloire,

dissipe les ténèbres de notre cœur et de notre esprit. »

(Missel romain, Veillée pascale, n°12)

Passage du défunt dans le passage ouvert par le Christ ressuscité, franchissement d’un passage par la communauté d’espérance.

Les mises en œuvre de ce geste sont multiples[5]. Elles peuvent combiner la diversité des acteurs, les possibilités déployées par le symbole de la lumière et la mise en œuvre musicale.

  • Par exemple, celui ou celle qui guide la prière peut allumer un cierge au cierge pascal en chantant (ou en disant) :

« Tu es venu Seigneur, dans notre nuit,

tourner vers l’aube nos chemins,

le tien, pourtant, reste caché,

l’Esprit-Saint nous découvre ton passage. »

ou

« Sainte lumière, splendeur du Père,

Louange à toi Jésus-Christ ». (CNA 736)

Puis il ou elle transmet la lumière à un membre de la famille ou à un ami qui allume les cierges ou les veilleuses autour du cercueil.

  • Ou encore, les enfants peuvent allumer des bougies et les poser sur le cercueil ou dans une vasque pour en faire une gerbe de lumière.
  • Ou encore, la famille peut apporter une belle bougie qui sera allumée et posée sur le cercueil et qui lui sera remise à la fin de la célébration ou au cimetière.

La mise en valeur du vêtement ou une vie déployée devant le Père

Le rituel des funérailles propose, au numéro 60, « pour les obsèques d’un prêtre ou d’un diacre, pour celles d’un néophyte ou d’un jeune qui vient de faire sa profession de foi », de mettre en valeur le signe du vêtement blanc.

« Seigneur, regarde avec miséricorde N.

Il a porté ce vêtement,

Signe de vie et de joie dans ton amitié ;

Qu’il se présente devant toi

Avec le vêtement de fête de tes amis » (Rituel des funérailles, n° 182)

On ne saurait trop insister sur la dimension baptismale de ce geste. Tout comme pour le rite de la lumière, la mise en valeur du vêtement rappelle la promesse faite le jour du baptême :

« N, vous êtes une créature nouvelle dans le Christ :

vous avez revêtu le Christ.

Recevez ce vêtement blanc,

puissiez-vous garder intacte votre dignité de fils de Dieu

jusqu’au jour où vous paraîtrez devant Jésus,

Christ et Seigneur,

afin d’avoir la vie éternelle. » (RICA, n° 226)

Le jour est venu de paraître devant Dieu, de déployer son vêtement comme on déplie sa vie, de signifier, par un dernier geste d’abandon que tout est remis entre les mains du Père.

Pour les prêtres et les diacres, on peut déposer l’aube et l’étole sur le cercueil (Rituel des funérailles, n° 181). Le déploiement du vêtement liturgique porte le même enracinement baptismal : il rappelle l’état de vie dans lequel s’est réalisée la sainteté du baptême.

Le rite de la croix ou l’amour proposé

Enfin, le rituel offre, comme autre possibilité, le rite de la croix et propose deux mises en valeur :

  • Croix offerte par la famille, déposée sur le cercueil, accompagnée de la prière de celui ou de celle qui guide la célébration :

« Cette croix que nous avons apportée, nous la déposons maintenant.

Seigneur Jésus rappelle-toi :

Tu nous as aimés jusqu’à mourir pour nous ;

Que cette croix soit donc à nos yeux,

Le signe de ton amour pour N.

Et pour chacun de nous. »

(Rituel des funérailles, n° 58)

Marqué du signe de la croix à l’entrée en catéchuménat (RICA, n° 88-90), baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit le jour de son baptême, le défunt reçoit une dernière fois la marque d’appartenance au Christ.

  • On peut aussi disposer en silence, près du cercueil, la croix de procession, puis dire la prière :

«  Le Seigneur Jésus nous a aimés

jusqu’à mourir pour nous,

cette croix nous le rappelle ;

qu’elle soit donc à nos yeux

le signe de son amour pour N.

et pour chacun de nous. »

(Rituel des funérailles, n° 59)

La verticalité du signe n’est pas sans évoquer le Christ ressuscité, qui s’est levé d’entre les morts. Croix dressée sur le monde, tel le « serpent d’airain »[6] qui sauve tous ceux qui se tournent vers lui.

Rites d’entrée et proposition de la foi

Ces trois rites d’entrée à forte consonance baptismale déploient, chacun de manière spécifique, un aspect du mystère pascal : le rite de la lumière insiste peut-être plus sur la dynamique du passage de la mort à la vie, sur une vie qui se répand et se communique en abondance ; le geste de la croix, plus statique, rappelle à la fois la marque d’appartenance au Christ et la victoire du Christ sur la mort ; enfin, la mise en valeur du vêtement exprime le déploiement de la vie baptismale sous le regard du Père.

A travers ces trois rites inauguraux, c’est bien la foi chrétienne qui est proposée, non sous forme de discours, mais à travers une expérience à vivre : expérience d’une confession de foi baptismale et de la réaffirmation d’une espérance, expérience du rite qui prend, façonne, canalise et déplace, expérience d’une participation au « mystère du passage ».

Par Isabelle Lecointe

[1]   Les prières d’ouverture ont été analysées dans deux articles du Père Angué (cf. Célébrer 326 et 327) ; la préparation pénitentielle et les litanies au Christ feront l’objet d’un article à venir. // [2]   Paroles prononcées par le prêtre lors de la veillée pascale, au moment de la préparation du cierge pascal (Missel romain, « Veillée pascale », n 10). // [3]   Rituel d’initiation chrétienne des adultes, Paris, Desclée/Mame, 1974, 1997. // [4]   Ap 22,5. // [5]   Nous nous inspirons ici des possibilités développées par le diocèse du Mans dans Célébrer les funérailles sans Eucharistie. // [6]   Cf. Nb 21,9 : « Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet d’un mât. Quand un homme était mordu par un serpent et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il conservait la vie. »