La mort comme provocation

cimetière pose de bouquet

Par Laurent Denizeau, Docteur en Sociologie et Anthropologie à l’Université Catholique de Lyon

Les débats actuels sur la mort provoquée peuvent apparaître comme une esquive de la dimension provocatrice de la mort. Il est étonnant de constater que l’on dit de moins en moins de quelqu’un qu’il est mort. On préférera dire qu’« il n’est plus là », qu’« il est parti », qu’« il nous a quitté », ou encore qu’« il a disparu ».

On préfère parler de la mort comme d’un départ ou d’une disparition, c’est-à-dire sur le mode de l’absence. Reste que la mort n’est pas une absence comme une autre. Le mot même de mort tend à être remplacé aujourd’hui par la fin de la vie, cela apparaît comme moins violent. On ne dira pas de quelqu’un qu’il est mourant, mais qu’il est en fin de vie, ce qui s’apparente à la fin d’un parcours, d’une trajectoire de vie, de la vie d’un individu. En fait ce qui semble caractériser notre relation actuelle à la mort, ce n’est pas tant qu’elle soit acceptable ou inacceptable mais qu’elle constitue de moins en moins un événement collectif qui soit le lieu d’une élaboration de sens pour devenir un événement individuel à gérer soi-même en ayant recours à des professionnels du funéraire.

Mais la mort ne se réduit pas à la fin de la vie, comme l’arrêt d’un processus biologique. L’homme se saisit de l’événement biologique pour en faire autre chose. La mort ne se réduit pas à la fin de la vie, parce qu’elle est une énigme posée à l’existence. En cela Baudry nous rappelle que « la mort provoque la culture » (1995) : elle nous amène à élaborer du sens, penser le monde dans lequel nous vivons. Parce qu’elle est limite, elle nous conduit à définir notre rapport au monde. L’expérience de la mort convoque à l’élaboration collective de l’existence (ce que nous appelons communément la culture) : « Les morts posent toute la difficile question d’une séparation, et parce qu’ils obligent à l’imagination de l’invisible, ils contribuent à déterminer l’enracinement culturel de la société des vivants. » (Baudry, 2006 : 23)

Parler d’élaboration de l’existence ne se résume pas à la production de significations autour de la mort. Ce sont moins les énoncés produits qui sont importants, que cet espace d’élaboration qu’ouvre la mort. La mort reste l’impensable par excellence, ce n’est pas pour cela qu’il ne faut pas la penser. La mort est le lieu le plus fécond de la pensée philosophique, et plus largement de la pensée humaine. Elle nous montre combien la pensée peut se faire en direction de ce qui échappe à l’ordre du pensable. Qui est-on pour penser la mort ? Mais qui serions-nous si nous ne nous attelions pas malgré tout à chercher à en dire quelque chose ? La mort nous convoque à penser l’existence.

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