Sacrifice

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Du mot latin sacrificium qui signifie étymologiquement « faire le sacré » (sacrum-facere). Comme il existe deux dimensions complé­mentaires du sacré, on peut concevoir le sacrifice de deux façons, elles aussi ordonnées l’une à l’autre. En aucun cas « faire le sacré » ne saurait signifier « produire le sacré », car il n’est pas au pouvoir de la créature de fabriquer de toutes pièces le séduisant privilège d’une proximité au divin, bien que ce soit pour elle une tentation constante (magie).

La vie divine est reçue, avant d’être exercée. Dans la ligne du sacré immanent ou descendant, résultant d’un « toucher » divin sur les êtres, « faire le sacré » consistera à exercer le sacré virtuel qui est au tréfonds de tout être, à le laisser s’épanouir en tout son dynamisme. Le sacrifice ne sera pas un acte substantiellement différent de tous les autres, mais un acte vécu en toutes ses dimensions, cosmiques, sociales et surtout religieuses.

Tous les êtres, comme tous les actes, sont sacrés, en soi, mais il faut bien, pour laisser affleurer cette qualité éminente, souvent occultée, privilégier des êtres (sacralisés) ou des actes (sacrifices) qui, dans l’ordre de la signification, condenseront le sacré de l’ensemble de la création. Les actes humains capables d’intégrer toutes les dimensions de notre existence ne sont pas si nombreux. L’acte sexuel, sacralisé dans toutes les religions en raison de la fécondité qu’il met en œuvre et qui est sentie comme une force divine, outre qu’il est épisodique, est de soi limité à deux partenaires ; il ne se prête donc pas à une célébration communautaire.

L’acte de se nourrir est, lui, éminem­ment social : il est permanent, et il se trouve clairement lié à la création comme au Créateur. On comprend donc que la célébration des sacrifices ait été universellement pratiquée sur la base d’un repas. Dans le repas sacré — qui, seul, réalise pleinement toute la signification du repas —, l’homme reconnaît que la table est mise par Dieu ; consommant en présence de Dieu, il lui offre une part de choix, si bien que Dieu et l’homme sont convives au sens le plus fort du mot : ils sont « unis dans la même vie ». C’est le sens des sacrifices de communion en Israël, où une partie de la victime est servie à Dieu sous forme de fumée odoriférante (cf. Gn 8, 21) tan­dis que les offrants consomment le reste.

Dans la ligne du sacré transcendant ou ascendant, il s’agit de « pas­ser » dans le domaine divin : l’homme doit dépasser ses limites pour atteindre le plan de Dieu et participer ainsi à la sacralité pure. « Faire le sacré », dans cette perspective, sera célébrer des rites de passage qui, sous la forme privilégiée de la combustion, opéreront le transfert de la victime dans l’au-delà ; en ce cas, cette victime n’est que le substitut de l’offrant lui-même : par le truchement de l’animal immolé, l’homme est censé approcher Dieu dans son royaume.

Le type du sacrifice est alors l’holocauste où, comme l’indique l’étymologie, la victime est « entièrement brûlée » : elle s’en va vers Dieu en fumée. L’immolation n’est pas principale, mais constitue simplement la condition négative qui s’impose, pour le but positif du « passage » ; elle prend néanmoins une valeur d’expiation ou de purification, car l’homme est toujours indigne d’approcher Dieu.

Alors que, dans la perspective du sacré immanent, c’est Dieu qui vient, pour ainsi dire, s’asseoir à la table de l’homme, dans la perspective du sacré transcendant, c’est l’homme qui, symbolique­ment, rejoint Dieu à sa propre table. Dans les deux cas, la structure est celle d’un repas. Ce n’est pas fortuitement, donc, que la dernière Cène du Seigneur donne le sens du sacrifice du Calvaire, et que le Royaume des cieux est présenté sous la forme d’un banquet où le Seigneur lui-même servira les siens à sa table (cf. Lc 12, 37).

Le sacrifice unique du Calvaire, tel que l’Eucharistie ne cesse de l’actualiser, est l’acte sacré par excellence (voir Sacerdoce), dans les deux perspectives qui viennent d’être définies. L’humanité du Christ est le temple de la Gloire divine : elle est suprêmement « touchée » par Dieu, car elle appartient à la Personne même du Fils de Dieu. L’incarnation, c’est l’amour divin descendant chez nous pour habiter avec nous (cf. Jn 1, 14) ; son chef-d’œuvre est l’acte du Père qui nous livre son Fils, et l’acte du Fils qui se livre pour nous sur la Croix.

Non seulement l’Eucharistie nous rend convives de Celui qui s’est livré, mais encore elle nous donne, comme aliment, son propre corps et son propre sang. Telle est la perfection du sacrifice du point de vue descendant. — En mourant sur la Croix, le Christ mérite pour lui-même et pour nous l’accession au temple qui n’est pas fait de main d’homme (cf. He 9, 11-12, 24). Par sa mort libre­ment acceptée, Jésus mérite l’entrée de son humanité dans la Gloire. Ce que recherchaient les holocaustes et autres « rites de passage », la Pâque du Christ l’a obtenu effectivement pour son humanité, et en espérance pour nous tous.

L’Esprit Saint, qui est au cœur de la vie divine, est aussi celui qui donne l’élan de la descente comme de la montée ; il n’est pas, sans lui, de sacrifice. La liturgie chrétienne n’a son âme véritable que si elle reçoit, par l’Esprit, le dynamisme divin qui nous porte à la rencontre de Dieu (voir Liturgie), dans l’attente de notre par­faite insertion dans la vie trinitaire, où nous « ferons pleinement le sacré », exerçant la vie même de Dieu.

Dom Robert Le Gall – Dictionnaire de Liturgie © Editions CLD, tous droits réservés

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