« Détendre la sacramentalité » de la Semaine sainte

27 novembre 2016 : Célébration de la messe dominicale, 1er dimanche de l'Avent. Inclination profonde des prêtres et diacres devant l'autel. Paroisse Saint-Ambroise, Paris (75), France.Par Arnaud Toury, Prêtre, délégué de pastorale liturgique et sacramentelle du diocèse de Reims

Reconsidérer la semaine sainte à la lumière d’une réflexion théologique issue de la sacramentaire permet de mieux la saisir dans son lien dynamique à l’année liturgique et à la célébration dominicale, transfiguration du temps.

« Détendre la sacramentalité »

Louis-Marie Chauvet a forgé cette expression[1] pour montrer le piège d’une compréhension théologiquement trop étroite de ce qu’est un sacrement : le considérer uniquement pour lui-même et en lui-même, comme lieu de la grâce sacramentelle, tend à l’isoler de son rapport aux autres sacrements et aux sacramentaux. Or, si la sacramentalité d’un sacrement est bien transmise dans sa célébration, elle n’y est pas enfermée. Elle se déploie dans les liens de tous les sacrements entre eux, et plus largement dans toute la vie chrétienne marquée par le mystère pascal. Ainsi du baptême : la grâce baptismale travaille déjà le cœur des catéchumènes bien avant la célébration de leur baptême. Elle est célébrée et accueillie tout au long de l’itinéraire catéchuménal, particulièrement à travers les bénédictions, onctions, exorcismes et les liturgies de la Parole. Lorsque l’on parle, au sujet des baptisés, de vivre son baptême, il s’agit bien de l’ensemble de la vie chrétienne, marquée par l’eucharistie, la réconciliation, et aussi les temps de prière, les actes de charité, le témoignage, etc. Cette manière de penser évite le risque d’une focalisation excessive sur un sacrement et sa célébration. Elle permet de mieux percevoir la dynamique à l’œuvre dans une histoire sacramentelle bien plus vaste, qui précède tout sacrement et en découle.

Appliquer à la semaine sainte, l’expression « détendre la sacramentalité »

Une semaine sainte indissociable de l’année liturgique

Il est nécessaire d’approfondir le sens de la semaine sainte pour elle-même et en elle-même : cela permet de mieux en percevoir l’unité intrinsèque, dans l’articulation des différentes célébrations et de leurs spécificités. Cela permet également d’en goûter toute l’importance pour la vie chrétienne. Cependant, en rester là fait courir le risque d’une isolation, au moins inconsciente, de la semaine sainte par rapport au reste de l’année liturgique. Avec pour effet possible, une survalorisation de l’une par rapport à l’autre. Or, si le mystère pascal est bien célébré de manière particulièrement intense au cours de la semaine sainte, c’est bien l’année liturgique dans sa globalité qui permet progressivement aux fidèles d’y entrer dans toute sa largeur, sa longueur, sa hauteur, et sa profondeur… (Ep 3,18). Telle est, en tout cas, la conviction affirmée dans Sacrosanctum concilium :

« Notre Mère la sainte Église estime qu’il lui appartient de célébrer l’œuvre salvifique de son divin Époux par une commémoration sacrée, à jours fixes, tout au long de l’année. Chaque semaine, au jour qu’elle a appelé « jour du Seigneur », elle fait mémoire de la résurrection du Seigneur, qu’elle célèbre encore une fois par an, en même temps que sa bienheureuse passion, par la grande solennité de Pâques. Et elle déploie tout le mystère du Christ pendant le cycle de l’année, de l’Incarnation et la Nativité jusqu’à l’Ascension, jusqu’au jour de la Pentecôte, et jusqu’à l’attente de la bienheureuse espérance et de l’avènement du Seigneur. » (SC 102)

Pour avoir une pleine intelligence de la semaine sainte, il convient donc de la considérer dans son rapport étroit et naturel à l’ensemble de l’année liturgique. Les autres semaines ne sont pas moins saintes, qui donnent de contempler le salut s’opérant au fil de l’histoire humaine ordinaire pour la conduire à son achèvement dans l’amour. Les solennités du Seigneur comme les fêtes des saints permettent de tenir le mystère pascal dans ses racines et ses conséquences, bien au-delà de sa réalisation historique dans la semaine menant à la Pâque de l’an 30.

Un Triduum à reconsidérer dans son rapport fondamental au dimanche

Il est notable, d’ailleurs, que la semaine chrétienne inaugurale n’est pas la semaine de la Passion, mais l’octave de Pâques qui s’étend du premier au huitième jour (Jn 20,19 et 26). La Semaine sainte, comme toute autre semaine, est inscrite entre deux dimanches : ce jour que le concile Vatican II a appelé à revaloriser comme jour primordial où les fidèles font « mémoire de la passion, de la résurrection et de la gloire du Seigneur Jésus » (SC 107). Nous sommes donc invités à reconsidérer les jours du Triduum dans leur rapport fondamental au dimanche. Cela nous incite à ne pas faire prévaloir de manière excessive la dimension stationnale des jours saints, leur représentativité symbolique propre (dernière cène le Jeudi saint, passion et mort le Vendredi saint, sabbat divin le samedi saint, résurrection à la vigile pascale) sur l’unité dominicale ordinaire : la célébration du jour du Seigneur tient les différents aspects du mystère du Christ dans leur unité fondamentale et leur permanente actualité. Ce qui implique de ne pas amputer le dimanche des rameaux de sa signification dominicale. Et aussi de réinvestir symboliquement le dimanche de Pâques dans sa totalité cérémonielle.

« Détendre la sacramentalité » de la semaine sainte, ce n’est pas en contester l’importance symbolique primordiale des jours saints, mais mieux percevoir comment le mystère du Christ que l’on y célèbre irrigue de façon dynamique l’ensemble de l’année liturgique. C’est aussi mieux comprendre comment la célébration hebdomadaire du jour du Seigneur assume la transcendance du mystère pascal par rapport au temps, pour nous ouvrir à l’éternel aujourd’hui de Dieu.

[1] En particulier pour parler du sacrement du mariage : Louis-Marie Chauvet, « Détendre la sacramentalité », Le sacrement de mariage entre hier et demain (coll. Vivre, croire, célébrer, série Recherches), Paris, éditions de l’Atelier, 2003, p. 236-243.

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