Chant, musique et temps pascal

partition 3Par Emmanuel Bellanger, Célébrer n° 374

 

Le temps Pascal est le temps de la lumière, de l’acclamation, de la foi joyeuse en la résurrection, de l’espérance annoncée en la vie éternelle. Comment la musique et le chant peuvent-ils contribuer à mieux rendre sensibles toutes les richesses spirituelles contenues dans ces 50 jours, de Pâques à Pentecôte ?

Une remarque préalable

Deux réalités essentielles de la fonction musicale doivent être présentes à l’esprit de ceux qui ont mission du choix des chants : si le répertoire mis en œuvre doit être adapté à l’assemblée locale et en respecter les capacités, il ne faut pas oublier l’autre dimension tout aussi importante du chant liturgique : ouvrir les cœurs au Christ dans l’accomplissement des rites qui sont ceux de toute l’Église. Il y aurait autrement risque d’enfermer cette assemblée sur elle-même.

Or, en ce qui concerne le temps liturgique, la liturgie nous offre la possibilité de lui donner à chaque fois sa couleur sonore propre, comme la nature en nos contrées tempérées dispense de façon variable lumière et chaleur. Pourquoi alors le répertoire de nos chants liturgiques est-il devenu de plus en plus uniforme et passe-partout, comme on l’entend dire souvent, non sans raison ?

Pourquoi, la fonction du chant et de la musique en liturgie nécessite l’utilisation d’un répertoire approprié, suivant une distinction désormais classique : le chant ou la musique qui constituent le rite, et le chant ou la musique qui accompagnent le rite. Mais, dans les deux cas, et de façon peut-être encore plus évidente aujourd’hui, quarante ans après le Concile, cela suppose aussi des manières de les mettre en œuvre différenciées : ainsi sera mieux manifesté le lien étroit entre chant, musique, et rite célébré, dans un espace et un temps liturgiques bien déterminés, et pour une assemblée précise.

C’est seulement ainsi que, dans l’acte liturgique, la musique et le chant peuvent véritablement apporter une contribution efficace pour aider les fidèles à vivre plus intensément, personnellement et collectivement, la rencontre que le Seigneur leur propose.

Voyons maintenant comment mettre en œuvre cela concrètement dans nos célébrations du Temps pascal.

Un répertoire adapté à l’intelligence du mystère pascal

Au temps de la retenue, de la préparation intérieure propre au Carême succède l’éclat sonore des dimanches de Pâques célébrés dans la joie des membres assemblés manifestant, par le chant, leur « enthousiasme », au sens littéral de ce mot : emplis de Dieu présent en son Fils ressuscité.

Cette joie se manifeste déjà par une posture tout à fait favorable au chant et à l’exultation : la station debout. En effet, dans l’église primitive, les chrétiens étaient invités à rester debout le dimanche et pendant tout le Temps pascal. Plusieurs conciles ont même légiféré sur ce point (1). Car la station debout est symbolique de la résurrection, de l’acclamation de grâce, de l’attente de la venue du Seigneur qui marquent particulièrement le Temps pascal.

Sur le plan musical, sans vouloir chercher des solutions compliquées, repérons simplement quelques moments privilégiés où la musique et le chant peuvent remplir un rôle important our enrichir la liturgie du Temps pascal : le rite d’aspersion, le Gloire-à-Dieu, l’acclamation à l’Evangile, la préparation des dons et l’acclamation d’anamnèse.

Des moments liturgiques à privilégier

Le rite d’aspersion

Lorsque le chant accompagne le rite, il est étroitement lié à un texte et à des gestes auxquels il apporte un surcroît de sens. La Liturgie du Temps pascal offre dans les choix qu’elle propose de belles occasions de la vivre plus intensément par le chant et la musique.

Ainsi du rite de l’aspersion. Il ouvre la célébration sous le signe de l’eau par laquelle chaque baptisé est entré dans la promesse pascale. Le rite de l’aspersion appelle le chant : soutenu par le jeu de l’orgue, ce chant emplit la nef, signe sonore de cette eau répandue sur toute l’étendue de l’assemblée jusqu’aux derniers rangs. Il y a là un beau « signe sensible » à mettre en œuvre. Plusieurs formes de chant sont possibles : une hymne, un chant responsorial, une psalmodie avant antienne. Le manuel Chants notés de l’Assemblée (CNA), promu par les évêques francophones, propose plusieurs solutions (n° 191 à 193).

Le Gloire à Dieu, les cloches et l’orgue

Cette hymne pascale que l’on retrouve après quarante jours d’abstinence (à l’exception des solennités et du jeudi saint) marque le passage de l’Ancien au Nouveau Testament, au cours de la vigile : elle mérite donc une attention toute particulière dans le choix de la musique, car cette dernière devra être la même tout au long du Temps pascal, jusqu’à la Pentecôte incluse.

On n’oubliera pas que, là où c’est possible, cette hymne est accompagnée, lors de la vigile pascale, du jeu des cloches et marque le grand retour du plein-jeu de l’orgue qui s’est tu depuis le Gloire-à-Dieu du jeudi saint.

En dehors de ce rite, la volée de cloches annonçant le début et la fin de la messe pourrait aussi être maquée de manière plus solennelle, les dimanches de Pâques.

L’acclamation avant l’Évangile

Elle est l’exemple type de l’acte musical comme acte liturgique : on ne fait rien d’autre que chanter sa joie d’accueillir celui qui se rend présent par sa Parole. Ce chant de l’Alléluia sera bien sûr adapté aux capacités de l’assemblée, mais il doit aussi disposer à l’écoute du Seigneur qui parle. Surtout, c’est le chant par excellence du Temps pascal : il sera choisi avec soin et sera réservé, de préférence, à ce temps liturgique. En ce sens, les Alléluias grégoriens du Temps pascal, avec leur grand jubilus, sont de vrais modèles. L’organiste (mais ce peut être aussi un flûtiste, un clarinettiste ou tout autre instrumentiste) pourrait prolonger ce chant de quelques mesures, afin de lui donner le temps d’un déploiement plus solennel.

La préparation des dons

Autre moment privilégié : celui de la préparation des dons. La musique peut accompagner la procession là où cela se pratique, elle peut aussi tout simplement être là. Tout acte musical comporte un élément de gratuité, notes aussitôt envolées, jouées gratuitement, comme un « acte de grâce » pour le bien de l’assemblée et la gloire du Seigneur. Ici trouveront place les musiciens qui auront à cœur d’offrir le meilleur d’eux-mêmes. Au don de Dieu répond le don de la musique. Le Temps pascal, temps de la joie et de l’exultation, sera donc tout à fait propice pour signifier, par la musique, cette gratuité jubilante en réponse au don gratuit de Dieu manifesté en son Fils, mort et ressuscité pour nous.

L’acclamation d’anamnèse

L’autre moment qui peut être mis en valeur durant le Temps pascal est celui de l’acclamation d’anamnèse. L’enchaînement des trois verbes qui le composent – nous rappelons, nous célébrons, nous attendons – oriente l’assemblée vers la perspective du temps chrétien, celui de la venue à la fin des temps du Christ « dans sa gloire ». Il existe de nombreuses propositions d’acclamation pour l’anamnèse. Peut-être le Temps pascal est-il le temps idéal pour en inscrire une nouvelle au répertoire de l’assemblée ? Là encore, le CNA propose un choix qu’on n’a pas forcément exploré (entre les n° 261 et n° 277). Sinon, celle du missel romain, après l’invitation à « proclamer le mystère de la foi » conviendra particulièrement bien, insistant par sa finale exclamative sur la dimension eschatologique si propre au temps Pascal : « Gloire à Toi qui es vivant… Viens, Seigneur Jésus ! ».

Unité liturgique, unité musicale

On l’a bien compris, il ne s’agit pas de redonner au musicien une place qu’il a l’impression d’avoir perdue au cours du Carême, mais il s’agit de penser toujours plus étroitement le rapport entre l’acte musical et l’acte liturgique.

Un dernier point qui n’est sans doute qu’un rappel : après les ornements violets qui ont manifesté visiblement le Carême, il est souhaitable de manifester par le chant comme par le blanc des ornements l’unité du Temps pascal : cela implique un seul « ordinaire », un seul Alléluia, une seule acclamation d’anamnèse, pour toute la durée de ce temps à vivre « comme un grand dimanche ».