La Maison-Dieu n°305 : La nouvelle traduction du Missel romain

La publication de la nouvelle traduction du Missel romain, en langue française, est bien sûr un évènement. Non parce qu’elle apporte des changements absolus dans la liturgie eucharistique de l’Église, mais parce qu’elle marque une évolution dans sa longue tradition et – comme le souligne Mgr de Kerimel, président de la Commission épiscopale française de liturgie et de pastorale sacramentelle (CELPS) – parce qu’elle offre l’occasion d’approfondir notre intelligence de la messe et d’en développer la dimension pastorale.

Les rites ne changent pas, du moins dans leur réalité concrète, mais des mots changent. Et donc aussi, la perception que l’on peut avoir des rites. D’où la nécessité d’un effort d’accompagnement et de formation auquel ce dossier de La Maison-Dieu souhaite contribuer. Et la « matière » proposée ici est riche ! Elle s’appuie notamment – mais pas seulement – sur la journée de formation organisée par le Service national de pastorale liturgique et sacramentelle (SNPLS), le 3 mars 2021 en visio-conférence, à destination principalement des responsables diocésains (voir aussi la demi-journée supplémentaire proposée le 9 juin 2021).

Sommaire 

Accueillir la nouvelle traduction du Missel romain.

Henri Delhougne

La nouvelle traduction du Missel romain est le fruit de la demande opérée par l’instruction Liturgiam authenticam (2001) pour se rapprocher de l’original latin, en fixant un certain nombre de règles, et ainsi sauvegarder l’unité de la liturgie romaine dans la diversité des langues. Ce travail fut mené, en langue française par une Commission internationale – la COMIRO – placée sous l’autorité de la Commission épiscopale francophone pour les traductions liturgiques (CEFTL). Un travail long, persévérant, intelligent et précis pour faire droit au mieux aux trois fidélités – pas toujours conciliables – dont parle le pape François dans son motu proprio Magnum principium (2017) : fidélité au texte original, fidélité à la langue dans laquelle le texte est traduit, et fidélité à l’intelligibilité du texte par nos contemporains. L’auteur, qui coordonna le travail de la COMIRO, donne plusieurs exemples de ce travail très méthodique de traduction, pour des oraisons et pour l’Ordo Missae, donnant au passage les clés qui furent employées pour effectuer les choix et parfois sortir des dilemmes. Si la procédure imposée par Liturgiam authenticam conduisit à des blocages du côté de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Magnum principium vint heureusement les lever en affirmant l’autorité des Conférences épiscopales pour ce qui concerne la traduction (mais pas pour les adaptations) permettant d’aboutir à une publication dont on espère qu’elle sera bien reçue.

Nouvelle traduction du Missel romain : enjeux théologiques et pastoraux d’une réception.

Gilles Drouin

Le principal enjeu de la nouvelle traduction du Missel romain est sa réception, tant par les fidèles que par le clergé. Cette traduction se situe à une étape décisive d’un long itinéraire, commencé avec le Congrès de 1965 sur les traductions liturgiques, conduisant à l’instruction Comme le prévoit (1969) qui établissait le cadre de l’élaboration du Missel de 1970 en langue vernaculaire. Elle est le résultat de la demande de retraduction opérée par l’instruction romaine Liturgiam authenticam (2001) qui en modifia les règles, dans le sens d’une plus grande littéralité et du rééquilibrage opéré par le motu proprio Magnum principium de 2017 du pape François. Ce Missel n’est pas à proprement parlé nouveau : il est marqué par la même sobriété rubricale que le précédent. Trois exemples de changements sont retenus pour en désigner les enjeux : la double proposition « au choix » pour l’Orate fratres (traduction littérale ou adaptation française en vigueur depuis 1970) permet de souligner l’enjeu ecclésiologique dans le rapport entre les fidèles et le ministre ordonné, même si ce choix comporte le risque de devenir un marqueur de sensibilités différentes. Le passage de la reconnaissance de notre état de pécheur à la prise en compte de nos péchés (dans l’Acte pénitentiel et l’Agnus Dei) souligne la responsabilité individuelle et le caractère libre du péché, mais éloigne de la conscience des structures de péchés à l’œuvre dans le monde. Le changement dans le Credo pour le « consubstantiel au Père » pose la question de l’intelligibilité d’un langage métaphysique peu accessible à nos contemporains, et qu’il convient d’accompagner. L’un des principaux bénéfices de ce Missel est de fournir l’occasion de parler de la liturgie, y compris entre ministres ordonnés, d’envisager à frais nouveau des formations pour tous, situées moins sur le registre explicatif que mystérique, et de promouvoir un véritable art de la mystagogie, à savoir l’art de la mise en récit de l’expérience rituelle, avec les mots de l’Écriture pour exhorter à une vie évangélique.

Notes théologiques sur le vocabulaire du Missel.

Jean-Louis Souletie

Cet article reprend des notes prises lors d’une intervention orale du Pr. Jean-Louis Souletie clarifiant quelques mots de vocabulaire du Missel romain lors d’une session sur la nouvelle traduction du Missel romain. Il précise ainsi successivement : le terme consubstantiel, marqué en son origine par la philosophie grecque, mais qui prit par la suite une signification chrétienne particulière pour exprimer que le Père et le Fils sont de même nature, de même substance ; le terme sacrifice appliqué à la messe, terme qui a reçu des interprétations diverses au long des siècles et conduit à des représentations qu’il convient d’éclairer aujourd’hui ; le terme mystère pascal qui désigne l’ensemble de la séquence narrative de l’Écriture qui va de la passion à la Pentecôte, comprenant le don de l’Esprit et associant la résurrection du Christ à la constitution de son corps qu’est l’Église.

La liturgie comme « mystère ». Réflexions théologiques, questions pastorales.

Louis-Marie Chauvet

Le mot « mystère », ou l’adjectif « mystérieux » est déjà très présent dans l’euchologie de notre Missel en français depuis 1970, et le sera davantage encore dans la nouvelle traduction. Pourtant ce vocabulaire n’est pas souvent bien compris et passe « au-dessus de la tête » des fidèles, alors qu’il est porteur d’une richesse remarquable. À travers son histoire, depuis les premiers siècles en langue grecque (mustèrion) puis latine (mysterium mais aussi sacramentum), jusqu’à aujourd’hui, en passant par le Moyen Âge, l’auteur en approfondit le champ sémantique pour nous faire saisir combien la liturgie est un mystère dans lequel Dieu agit pour nous faire entrer dans le mystère pascal, le mystère du Christ lui-même. Dès lors, il convient de s’interroger sur les efforts à déployer en pastorale pour aider les fidèles à mesurer davantage ce qu’ils entendent et ce qu’ils disent dans la prière liturgique : un véritable travail de « ré-inculturation », nécessaire et urgent est à opérer. Il passe notamment par des homélies et par la manière de prononcer et d’incorporer les oraisons, les prières, dans une liturgie plurielle qui tient compte de l’espace d’audibilité du mystère dans la culture en constante évolution.

Pour une grammaire du don. Le langage sacrificiel dans la traduction de la première prière eucharistique.

Christophe Lazowski

La nouvelle traduction du Missale romanum (2021) offre l’occasion d’approfondir la réflexion sur la dimension sacrificielle de l’eucharistie, car ce vocabulaire se trouve sensiblement amplifié, en particulier dans le Canon romain. Un travail absolument nécessaire, tant nombre de fidèles et de pasteurs ignorent sa compréhension théologique complexe révélée par la liturgie. A partir d’une recherche très poussée, et très documentée, l’auteur étudie le vocabulaire latin en rapport étroit avec cette dimension – les verbes qui expriment l’action divine et/ou humaine (accipio, perfero in altare, acceptum habere, offero), les substantifs qui expriment ce qui est offert (donum, munus, sacrificium, sacrificium laudis) ainsi que les substantifs qui expriment ce qui est donné, reçu et offert (panis, prœclarus calix, oblatio, hostia, munus, sacrificum) – chacun véhiculant des significations et harmoniques particulières, notamment dans l’euchologie romaine. Il montre par-là, et en analysant la structure chiastique du Canon, combien la structure littéraire porte une théologie de l’eucharistie qui permet de comprendre le sacrifice eucharistique comme échange de dons : le don que Dieu fait du sacrifice de son Fils, dans lequel nous sommes sauvés, don de son corps que devient l’Église, que nous accueillons et recevons en lui rendant grâce et en nous donnant nous aussi avec lui.

Le Missel romain, acte de discernement ecclésial de la tradition eucharistique. La liturgie à l’heure de la synodalité.

Patrick Prétot

Issu d’une conférence donnée dans le cadre de la publication à venir de la traduction francophone de la Tertia typica du Missel romain, cet article déploie le titre de la conférence proposé à l’auteur en réfléchissant sur les trois grands axes : 1) le Missel romain 2) un acte de discernement ecclésial et 3) un discernement sur la tradition eucharistique.

Le contexte actuel de l’Église catholique à la suite de l’annonce d’un synode sur la synodalité en 2023 préparé par une année de travail (2022) dans les diocèses, éclaire sous un jour nouveau les questions posées au sujet des traductions des livres liturgiques. La réflexion dépasse donc son objet premier en essayant de tracer quelques orientations sur ce que devient la liturgie à l’heure d’une vie en Église sous le signe de la synodalité.

Un Missel renouvelé pour l’aire germanophone. Les efforts de la Commission Ecclesia Celebrans de 2005 à 2013.

Winfried Haunerland

L’histoire de l’élaboration de la nouvelle traduction du Missale Romanum en langue allemande est mouvementée et a connu plusieurs rebondissements sans pour autant aboutir. L’instruction romaine Liturgiam authenticam avait demandé que soit revue complètement la traduction du Missel de 1970 – qui avait été très bien reçue dans les pays germanophones – pour être plus proche de l’expression latine. À côté des groupes de travail mis en place par les Commissions de liturgie des Conférences épiscopales, la Congrégation romaine pour le culte divin et la discipline des sacrements avait constitué, de sa propre autorité, une commission d’évêques germanophones chargée de la traduction : Ecclesia Celebrans (de 2005 à 2013). Le travail réalisé n’a finalement pas été approuvé par les Conférences épiscopales d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse, compte tenu de la réaction négative de nombreux évêques au projet. De ce fait, le travail d’une autre Commission sur les adaptations possibles, mise en place par les Conférences épiscopales, est lui aussi resté en attente. La publication en 2017 du Motu proprio Magnum Principium du pape François redéfinissant les rôles respectifs des Conférences épiscopales et de la Congrégation romaine pour le culte divin et la discipline des sacrements pour ce qui concerne les traductions liturgiques, a permis de clore – au moins momentanément – le débat et a mis fin, de facto, à la Commission Ecclesia Celebrans. L’édition du nouveau Missel ne semble pas être une priorité actuelle dans les pays germanophones.

Varia
L’ordonnance d’une prière eucharistique protestante.

Bruno Bürki

Si dans les siècles passés, la tension théologique – mais aussi liturgique –, entre les catholiques et les Églises protestantes s’est cristallisée sur l’eucharistie, on peut constater aujourd’hui une relative convergence, grâce aux travaux et recherches bibliques, dogmatiques et liturgiques. L’auteur le souligne grâce à l’étude de la « Prière de sainte Cène » en monde protestant (ici, l’Église évangélique réformée de Suisse) et de la prière eucharistique II du Missel romain issue du concile Vatican II. Certes, il demeure des différences rituelles et surtout des divergences d’interprétation théologique. Mais les sources juives – à présent bien connues – sont aujourd’hui largement partagées, avec la prise en compte de l’eucharistie comme repas, le rôle de la préface eucharistique aboutissant au chant du Sanctus, la place centrale du récit de l’institution prononcée par le ministre au nom du Christ en mémorial, l’importance de l’anamnèse et de l’épiclèse qui caractérisent l’eucharistie, ainsi que ses dimensions ecclésiale et eschatologique majeures. « La prière eucharistique a pour fonction de situer – par des moyens liturgiques ordonnés – l’acte de célébration de la sainte Cène entre, d’une part, la révélation initiale de Dieu dans l’histoire du salut dont témoignent les Écritures, et d’autre part, l’accomplissement eschatologique de cette histoire du salut qu’attendent les disciples quand ils confessent leur foi et leur attente de Dieu, Père, Fils et Esprit. »

Chronique
Le ministère des femmes dans la liturgie. « La saine Tradition » et « un progrès légitime ».

Cesare Giraudo