La paramentique, notion, sens liturgique, confection et conservation

 Par Maud Cassanet, responsable du département d’Art Sacré du SNPLS

Détail d'une chape (broderies en fils d'or), Sylvanès (12), France.

Détail d’une chape (broderies en fils d’or), Sylvanès (12), France.

Du latin parare, préparer, apprêter, la paramentique désigne l’ensemble des vêtements, coiffes, tentures, parements et ornements utilisés dans les liturgies. Patrimoine religieux rare et précieux, toujours vivant dans nos liturgies, elle est pourtant un patrimoine méconnu et souvent délaissé.

Histoire du vêtement liturgique

Des origines gréco-romaines

Le vêtement liturgique chrétien s’inscrit dans seize siècles de tradition et a beaucoup évolué au cours de l’histoire. Il n’est pas le fruit d’une création mais n’est qu’une adaptation aux fonctions sacrées du costume civil gréco-romain en usage dans l’empire aux premiers siècles du christianisme. En 382, une loi des trois empereurs Gratien, Valentinien et Théodose fixe le nombre et la nature des vêtements concédés à chaque classe de la société. Des sénateurs jusqu’aux esclaves, chacun a ainsi son vestiaire réglementé.

Tandis que l’ordre monastique retiendra l’uniforme des esclaves en signe d’humilité (tunique, ceinture et coule), l’Eglise adopte pour ses ministres le costume de ville des sénateurs. A ceux-ci, la loi de 382 prescrit de revêtir, à Rome, une tunique de dessous, le colobus, appelé encore colobium, tunica interior, et un vêtement de dessus, la paenula ou byrrhus. Sur cette tunica interior et sous la paenula, le sénateur, et aussi tout romain honorable, portait, pour raison d’élégance, un second colobium, plus riche, appelé aussi dalmatica. Si, à ce costume, on ajoute quelques accessoires tels que la mappa ou mouchoir de cérémonie et l’orarium ou faciale, écharpe de lin oblongue qui se portait sur les épaules, on aura les principales pièces de notre costume liturgique latin.

L’aube

Durant l’Antiquité, l’aube, du latin albus (blanc), était un vêtement de dessous, une tunique de lin qui descendait jusqu’aux talons. L’aube a évolué au cours des siècles. Elle s’est ornée d’abord d’une sobre dentelle qui, au XIXème siècle, s’est démesurément agrandie jusqu’à en devenir la partie principale.

L’étole

L’étole, du grec stola, était une sorte de tunique qui se caractérisait par une bande brodée entourant l’encolure et descendant de part et d’autre de l’ouverture médiane, jusqu’aux pieds. Cet habit évolua assez rapidement. Petit à petit, on supprima la tunique ou la robe pour n’en garder que la bordure brodée. Comme la plupart des vêtements liturgiques, elle resta réservée aux clercs quand les laïcs l’abandonnèrent. L’étole, primitivement composée d’une bande, a vu ses extrémités s’élargir en forme de triangle ou de battoir.

La chasuble

C’est le vêtement liturgique qui s’est le plus transformé au cours de l’histoire. C’était, dans le costume romain, un manteau de forme circulaire (paenula ou casula) destiné à se garantir des intempéries, du froid en particulier. Ce manteau était commun aux hommes et aux femmes.

On trouve la chasuble dans les mosaïques chrétiennes. Longtemps elle fut le vêtement de tous les clercs, à Rome du moins, avant d’être réservée aux seuls évêques et prêtres, alors que la dalmatique devient le vêtement propre aux diacres (mais certains évêques la portaient également). Aujourd’hui, elle est le vêtement habituel du prêtre qui célèbre la messe.

De l’Antiquité jusqu’au XVIIème siècle, la chasuble subit des allégements successifs de tissu et connut diverses formes : la forme romaine, la forme espagnole et la forme française qui aboutira à la chasuble « en boîte à violon ».

Le sens liturgique de la paramentique

Le P. Jean-Claude Crivelli, ancien responsable de la pastorale liturgique et sacramentelle en Suisse romande, insiste sur le rôle significatif du vêtement dans l’action liturgique : « C’est un vêtement qui a une fonction, un but précis (…). Il doit faire percevoir que nous sommes dans une action qui est « mystère et foi » (…). C’est pourquoi, il doit être assez intemporel pour lui permettre de s’effacer dans le mystère qu’il célèbre ».

Sur sa forme, le vêtement liturgique chrétien doit être l’héritier des seize siècles de tradition mais il doit également s’adapter à notre sensibilité d’aujourd’hui avec la marque de son époque, de son pays, du lieu où il doit être porté, avec son éclairage propre et la communauté pour laquelle il est fait.

Dans l’assemblée célébrante, le vêtement est un signe d’identité. Il manifeste le ministère dont telle personne a été littéralement « investie » (du latin vestis, le vêtement). Avec les symboles qui tissent la célébration (gestes, objets, musique, architecture), il situe aussi le culte chrétien du côté de la beauté, de cette suavitas dont parlent les Pères de l’Eglise et qui caractérise l’acte de foi.

La création des vêtements liturgiques

Les vêtements liturgiques représentent de longues heures de tissage à la main, de finitions et de coutures. Pour certains, ils sont de véritables œuvres d’art. Ce fut le cas de ceux créés par Jean-Charles de Castelbajac, lors des JMJ de 1997 à Paris. Sur la demande du pape Jean-Paul II, il avait conçu et réalisé les chasubles dont étaient revêtus les évêques, et en particulier celle du pape. Ce dernier dira au couturier : « Vous avez utilisé la couleur comme ciment de la foi et de l’espérance. »

Aujourd’hui, rares sont les lieux de création de vêtements liturgiques. Les textiles continuent cependant à être confectionnés par des petites mains habiles et discrètes, à l’ombre des cloîtres, telles celles des religieuses du monastère de la Merci-Dieu. Sœur Annie, cistercienne de l’atelier du monastère, nous livre un enseignement vivant sur la création contemporaine et sur l’esprit que ces créatrices veulent insuffler aux vêtements liturgiques :

« Nous avons opté d’emblée pour la création de pièces uniques : le but premier de ce choix a été de créer des vêtements pour un lieu ; nous avons voulu, dans la mesure du possible, connaître le style architectural, la dimension de la nef, la couleur des vitraux, du sol, du mobilier, l’intensité de l’éclairage, tout cela entrant en ligne de compte pour l’intensité et la couleur des décors de chasubles. Pour nous, la création d’un vêtement liturgique se traite vraiment au cas par cas et je dirais qu’il faudrait qu’il en soit de même pour les tailles de ces vêtements. Nous privilégions le contact avec les prêtres, avec les paroisses. Notre idéal demeure un vêtement pour un lieu et à la taille de celui qui doit le porter ! (…) La liturgie porte la mémoire d’une tradition qui véhicule des modèles : la chasuble dans sa forme ample en est un. Il faut savoir ménager la mémoire collective qui se nourrit de ce qui lui est donné à voir. Attenter à cette mémoire conduirait à une impasse. Plus simplement il faut que le chrétien de base reconnaisse le prêtre célébrant par les vêtements qu’il porte et ne soit pas troublé par un changement radical de ce vêtement. C’est dans cet esprit que nous abordons nos créations de chasubles. »

Leur ligne de travail est issue de l’influence de la revue l’Art sacré dans les années 1950 et des articles des pères dominicains Pie-Raymond Régamey et Marie-Alain Couturier. C’est dans ces années-là que de grands artistes se sont de nouveau intéressés à l’art sacré, comme Manessier, Plasse, Le Caisne, Matisse qui créeront notamment des chasubles. Leur travail se fait connaître à la fin des années 1950 à travers la participation à des expositions proposées par le Comité national d’art sacré.

Restauration et conservation des vêtements liturgiques

La paramentique est un patrimoine rare et précieux qui a souvent subi des dégradations dues à un manque d’entretien ou à des mauvaises conditions de conservation. Des moyens de protection technique et juridique sont mis en œuvre pour y pallier et mettre en valeur ce patrimoine.

Une meilleure conservation passe par une restauration. Isabelle Bedat, conservateur-restauratrice de textiles, nous en rappelle ici l’objet :

« La restauration des textiles, civils, militaires ou religieux, a pour but essentiel d’approfondir nos connaissances pour l’étude de l’objet durant la restauration, d’en prolonger l’existence et d’en permettre la compréhension ainsi que la lisibilité. Les techniques utilisées ainsi que les matériaux doivent être identifiables et réversibles, tout en respectant l’esthétique ainsi que l’utilisation de ces tissus aujourd’hui pour la plupart rangés dans leur sacristie ou bien exposés dans les trésors. »

Aujourd’hui, une nouvelle génération de conservateurs-restaurateurs de textiles se lève ; ils sont de véritables acteurs de protection des textiles religieux.

Une meilleure conservation passe également par une exposition et un mode de stockage conformes aux techniques de conservation des textiles (conditions de température etd’hygrométrie, etc…) On remarque que de plus en plus de dépôts diocésains ou publics sont créés dans les différents diocèses, souvent à l’initiative des Conservateurs des antiquités et objets d’art (CAOA) et des CDAS. C’est le cas par exemple du dépôt de Saint-André de-Bohon créé par le conseil général de la Manche, qui est un lieu à la fois de conservation et d’exposition des vêtements liturgiques. La création de ces lieux permet de mettre en valeur ce patrimoine et de le faire « revivre » tout en lui garantissant une protection optimale.

Madame Judith Kaghan, chef du bureau de la conservation du patrimoine mobilier et instrumental au ministère de la culture et de la communication rappelle combien les liens entre les CDAS et les CAOA sont primordiaux pour réaliser un travail complémentaire d’inventaire et de protection. La base de données Palissy, disponible sur le site du ministère, constitue d’ailleurs une ressource utile pour les CDAS et les intéressés, puisqu’elle permet d’accéder à la base de biens mobiliers – donc des vêtements liturgiques – qu’ils soient protégés au titre des monuments historiques ou non

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