L’esprit de la Présidence

Cathèdre de la cathédrale de Nanterre

Cathèdre de la cathédrale de Nanterre

Par Paul de Clerck, Curé de paroisse à Bruxelles (Belgique), professeur honoraire et ancien directeur de l’institut supérieur de liturgie de l’Institut Catholique de Paris 

Toute action liturgique est l’œuvre d’une assemblée, réalisation concrète de Église, Corps du Christ, en un lieu et en un temps donnés. Cette assemblée, où tous sont égaux en fonction de leur commun baptême, est aussi structurée un de ses membres est chargé d’en assurer la présidence. Que de difficultés n’entend-on pas évoquer à ce propos. Non seulement quant à ses capacités personnelles, mais aussi à son rôle, et à la nécessité de celui-ci, trop souvent on considère cette question au sein d’une ecclésiologie fracturée entre prêtres et laïcs.

Il s’agit, dans les perspectives renouvelées depuis le Concile, des relations du prêtre (ou de l’évêque) avec les autres membres de l’assemblée. C’est de ce corps qu’il faut partir, pour réfléchir sainement ce corps dont tous sont appelés à être membres. Le ministère du prêtre a longtemps été conçu en termes de pouvoir; on parlait du « pouvoir d’ordre » et du « pouvoir de juridiction ». Ces manières de voir ne sont pas réellement surmontées lorsqu’on affirme que ce pouvoir doit s’exercer comme un service. Allons plus profond.

« Et avec votre esprit »

On ne devient prêtre ni par concours ni par nomination administrative, mais pour la prière de l’Église que l’on appelle communément l’ordination. La prière centrale s’adresse à Dieu pour lui demander d’envoyer son Esprit sur ceux qui sont ordonnés : « Répands une nouvelle fois, au plus profond d’eux-mêmes, l’Esprit de sainteté ». « Une nouvelle fois », c’est-à-dire après la première effusion, celle du baptême-confirmation. Selon la prière de l’Église, que Dieu sonde « les reins et les cœurs »). Ainsi donc, quand Les chrétiens répondent au souhait du prêtre en lui disant « Et avec votre esprit », ils lui souhaitent à lui également de se tenir en présence du Ressuscité. Mais les Pères de l’Église n’ont pas manqué de faire le lien entre cette réponse et la prière d’ordination mentionnée ci-dessus, et à expliquer que les fidèles souhaitaient donc au prêtre de pouvoir effectivement présider l’assemblée dans l’Esprit Saint Jean Chrysostome, par exemple, commente : « S’il n’y avait pas de Saint Esprit, il n’y aurait pas de pasteurs et de docteurs dans l’Église; car eux aussi ne le deviennent que par l’Esprit, comme le déclare Paul Dans ce troupeau, l’Esprit Saint vous a établis comme pasteurs et épiscopes (Ac 20,28). Ne voyez-vous pas que cela aussi est l’œuvre de l’Esprit ? S’il n’y avait pas d’Esprit Saint dans le Père et Docteur commun que voici2, lorsque, il y a un instant, il est monté à ce saint autel et qu’il vous adonné à tous la paix, vous ne lui auriez pas répondu tous ensemble « Et avec ton Esprit ». Aussi, ce n’est pas seulement quand il monte à l’autel, ou quand il nous parle ou quand il prie pour vous, que vous lui adressez ce souhait mais, aussi, lorsqu’il se tient à cette table sainte, quand il va offrir ce sacrifice redoutable (les initiés savent ce que je veux dire), il ne porte la main sur les oblats qu’après avoir demandé pour vous la grâce du Seigneur et que vous lui avez répondu : « Et avec ton Esprit ». Par cette réponse, vous vous remettez en mémoire que celui qui est visiblement présent ne produit rien, que les dons qui sont là ne sont pas œuvre de la nature humaine, mais que c’est la grâce de l’Esprit survenant et couvrant tout de ses ailes qui accomplit le sacrifice mystique ».

La fin du texte dit admirablement que l’auteur principal de la liturgie est l’Esprit de Dieu, Ces vues permettent de ne point confondre l’acteur liturgique et l’auteur de la grâce, et de considérer donc le prêtre comme celui qui exerce, par fonction ecclésiale reçue de l’Esprit; le ministère du Christ.

L’épiclèse

Cette théologie du ministère est plus saine que celle de beaucoup d’images d’ordination sacerdotale, qui sur le sacrifice du Christ, ou que c’est lui qui, selon une expression malheureuse, «rendrait le Christ présent». Ici encore, l’écoute de la prière de l’Église peut nous en détourner avant la consécration, la prière invoque Dieu en ces termes « Nous te supplions de consacrer toi-même les offrandes que nous apportons ; sanctifie-les par ton Esprit, pour qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de ton Fils, Jésus Christ, notre Seigneur »4.

Cette prière, introduite dans la prière eucharistique depuis le Concile, s’appelle épiclèse, c’est-à-dire demande adressée au Père de nous donner l’Esprit Saint, pour qu’il sanctifie, ici les dons, et, après la consécration, l’assemblée qui communiera aux dons sanctifiés.

Cette conception peut paraître nouvelle. Elle est tout simplement celle que reflète la prière de l’Église. On perçoit ici, une fois de plus, à quel point il est malheureux que les chrétiens ne l’aient pas entendue pendant des siècles, lorsqu’elle s’énonçait en une langue qu’ils ne comprenaient pas. Aujourd’hui que son audition nous est rendue, efforçons-nous de l’entendre, de manière à en être imprégnés, et à saisir que tous, prêtres et laïcs, membres de l’assemblée du peuple de Dieu, nous sommes conviés à célébrer, dans l’Esprit, les mystères du Christ qui sauve le monde.

Article extrait des Chroniques d’art sacré n°63 « La Présidence » 2000

1. Pontitical romain, L’ordination de l’évêque, des prêtres. des diacres, Paris, Oesclée-Mame, 1996, p. 97.

2. L’auteur désigne l’évêque Flavien en présence de qui ii prêche.

3. Jean Chrysostorne. Homélie sur la Pentecôte 1,4: PG 50, 458- 459, traduite pari. Lécuyer, « et avec ton esprit’. Le sens de la formule chez les Pères de ‘Église d’Antioche», dans « Mens concordet voci ». pour Mgr A.G. Martimort, Paris, Desclèe, 1983, p.449.

4. Missel romain, première épiclèse de la prière eucharistique n°3.

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