Le baptême des petits enfants et l’eucharistie, sacrements de la miséricorde

Pape François baptêmePar Frédérique Poulet, Maître de conférence à la faculté de théologie d’Angers où elle enseigne la théologie dogmatique et la liturgie

Spontanément, lorsqu’on pense sacrement et miséricorde on se réfère au sacrement de pénitence et réconciliation. Or ce sacrement trouve sa source historique dans la nécessité d’un geste de l’Église manifestant la possibilité de renouvellement de la grâce baptismale.

Le baptême des adultes comme celui des petits enfants est le sacrement premier de la miséricorde comme le rappelle le Pape François dans la bulle d’indiction en parlant du ministère de la miséricorde comme de « la reprise de la vie nouvelle du Baptême1 ». L’eucharistie renouvelle et actualise ce don de la miséricorde.

Si cette dimension semble aller de soi dans le cas de l’initiation chrétienne des adultes – le baptême est reçu alors que la personne a posé des actes ou /et prononcé des paroles contraire à l’amour de Dieu et des frères– il est plus difficile de l’envisager en ce qui concerne le baptême des petits enfants qui, pourtant, est tout autant un sacrement de la miséricorde qui libère de l’emprise de la mort et du péché et en cela rejoint la définition qu’en donne le Pape François : « La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché.2 »

La miséricorde, un aspect central du baptême des petits enfants

En effet, les praenotenda du rituel du baptême des petits enfants mentionnent que lorsque le baptême a lieu lors d’une eucharistie il n’y a pas de liturgie pénitentielle3. De fait, le baptême inaugure une vie sous le signe de la victoire du Christ sur le péché. Il est le geste inaugural, l’expression première sacramentelle de la miséricorde de Dieu. « Nous te supplions pour ces petits enfants : qu’ils soient rachetés du péché originel, qu’ils resplendissent de ta présence, et que l’Esprit Saint habite en eux.4 »

Un sacrement qui appelle l’Eglise à exercer sa mission de miséricorde

Il n’est pas sûr que la dimension de miséricorde soit très présente dans les demandes explicites des parents qui demandent le baptême pour un petit enfant, pourtant elle est un aspect fondamental et même central du baptême. En effet, le baptême des petits enfants exprime sacramentellement un aspect fondamental de la Révélation d’un Dieu Père plein de miséricorde. L’initiative de Dieu rejoint librement, gracieusement, miséricordieusement la vie du petit enfant pour la transformer par sa miséricorde. Cette élection est signe d’un amour de prédilection qui ne repose pas sur les qualités de celui qui est appelé « car vous êtes le moins nombreux d’entre tous les peuples. » (Dt 7, 7). Et l’appel de Dieu n’est jamais de l’ordre du privilège « je fais grâce à qui je fais grâce et j’ai pitié de qui j’ai pitié » (Ex 33, 19).

Un sacrement qui révèle l’absolue gratuité de la miséricorde

« La miséricorde, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre.5 » Le baptême des petits enfants permet de comprendre ce qu’est vraiment la miséricorde, il ne s’agit pas d’abord d’une réponse aux efforts de conversion de l’homme, il s’agit d’un don qui dilate le cœur profond et l’ouvre aux dimensions de l’amour divin. « La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché.6 »

La pastorale du baptême des petits enfants est sans aucun doute l’un des lieux qui proclame le plus la gratuité de la miséricorde au sein de l’Église. L’Église inscrit sacramentellement l’enfant sur un chemin où « la miséricorde sera toujours plus grande que le péché7 » et actualise la promesse que « nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne8 ». Cette promesse est faite au petit enfant, une vie nouvelle s’ouvre devant lui. L’Église, en célébrant le baptême des petits enfants, proclame que, bien qu’ils ne soient pas capables d’un acte personnel d’adhésion de foi pas plus que d’un engagement, les petits enfants reçoivent la grâce baptismale et sont sauvés absolument gratuitement, par pure miséricorde.

Miséricorde et eucharistie

Cette miséricorde « première » sera renouvelée de manière sacramentelle sur le chemin de la vie, à chaque eucharistie, sacrement de la miséricorde, quand l’enfant sera en âge d’y participer. L’eucharistie est en effet également sacrement de la miséricorde puisque elle est toujours célébrée « pour la multitude en rémission des péchés » reprenant ainsi la clausule de l’Évangile de Matthieu au chapitre 26 : « Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, en disant : ‘Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude en rémission des péchés’9 » (Mt 26, 27-28). En effet, « lorsqu’il instituait l’Eucharistie, mémorial pour toujours de sa Pâque, [Jésus] établissait symboliquement cet acte suprême de la Révélation dans la lumière de la miséricorde10 » Participer à l’eucharistie, c’est donc s’ouvrir également à la miséricorde, celle du Christ qui se livre totalement aux hommes pour les sauver de l’emprise du péché et de la mort. Le concile de Trente dans sa XXIIe session11 précise d’ailleurs cette dimension de l’eucharistie largement développée chez les Pères de l’Église :

« Si nous annonçons la mort du Seigneur, nous annonçons la rémission des péchés. Si, chaque fois que son sang est répandu, il est répandu pour la rémission des péchés, je dois toujours le recevoir, pour que toujours il remette mes péchés » dit Saint Ambroise.12

Ainsi, dans l’eucharistie la miséricorde, « attribut de Dieu13 » se répand dans le cœur des hommes. C’est ainsi qu’ils deviennent à leur tour missionnaire de la miséricorde puisque « la liturgie eucharistique, célébrée en mémoire de celui qui dans sa mission messianique nous a révélé le Père par sa parole et par sa croix, atteste l’inépuisable amour en vertu duquel il désire toujours s’unir à nous et ne faire qu’un avec nous, allant à la rencontre de tous les cœurs humains . » Dès lors, la miséricorde vécue dans les sacrements de l’initiation chrétienne, devient une mission à accomplir, la source de la vie avec pour et pour les autres qui s’ouvre à l’orée de la vie chrétienne.

1. FRANÇOIS, Bulle d’indiction Misericordiae Vultus n° 18.
2. Ibid., n° 2.
3. Rituel du baptême des petits enfants, Paris, Mame/Tardy, 1984 n° 64.1.
4. Ibid., n° 85.5. FRANÇOIS, Bulle d’indiction Misericordiae Vultus n° 2
6. Ibid.
7. Ibid., n° 3.
8. Ibid.
9. Traduction officielle liturgique de la Bible, Paris, Mame, 2014.
10. Feançois, Bulle d’indiction Misericordiae Vultus n° 7.
11. « Parce que, dans ce divin sacrifice qui s’accomplit à la messe, ce même Christ est contenu et immolé de manière non sanglante, lui qui s’est offert une fois pour toutes de manière sanglante sur l’autel de la croix He 9, 14 He 9, 27 le saint concile enseigne que ce sacrifice est vraiment propitiatoire , et que par lui il se fait que, si nous nous approchons de Dieu avec un cœur sincère et une foi droite, avec crainte et respect, contrits et pénitents,  » nous obtenons miséricorde, et nous trouvons la grâce d’un secours opportun  » He 4, 16 Apaisé par l’oblation de ce sacrifice, le Seigneur, en accordant la grâce et le don de la pénitence, remet les crimes et les péchés, même ceux qui sont énormes. C’est, en effet, une seule et même victime, c’est le même qui, s’offrant maintenant par le ministère des prêtres, s’est offert alors lui-même sur la croix, la manière de s’offrir étant seule différente » Concile de Trente, 22e session, chapitre 2, Denzinger n° 1743.
12. SAINT AMBROISE DE MILAN, De Sacramentis, Livre IV, 28, Paris, Cerf, coll. « sources chrétiennes » n° 25, 1949, p.87.

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