Travailler à partir du programme de chant

19 novembre 2013 : Messe de rentrée des étudiants d'Ile-de-France à la cathédrale Notre-Dame, Paris (75), France. November 19, 2013: Opening mass of the academic year in Notre Dame cath. Paris (75) France.

Chorale pendant la messe

Par Pierre Fourney, († 2015) ancien responsable de musique liturgique au diocèse de Dijon

 

Tout reste à faire !

Depuis le Concile Vatican II, et l’extraordinaire foisonnement du répertoire liturgique, une grande partie du travail des responsables a dû être investi dans le choix des chants. Aussi, lorsqu’une équipe liturgique a enfin élaboré son programme, elle croit trop souvent en avoir fait assez, et attend, la conscience tranquille, son exécution. Or ce n’est pas la qualité du programme qui fait la qualité d’une célébration, mais bien ce qui est donne à entendre, à voir et à vivre, aux personnes assemblées. Le programme n’est qu’un projet (un rêve !), et notre mission d’animateur est justement de réaliser ce rêve, de le mettre en œuvre.

L’expérience montre que la réussite d’une telle mise en œuvre repose sur trois éléments principaux : le jeu avec la partition, l’entente entre les partenaires, l’intégration – en vérité – dans la célébration elle-même. Abordons ici le premier élément.

La partition : respect et appropriation

Au commencement est la partition… “ Cette musique vient du cœur, qu’elle aille au cœur ” écrivait Beethoven en marge de son hymne à la joie. Belle définition de la mise en œuvre : une partition mérite d’être analysée avec soin (teste et musique) pour qu’en lui redonnant vie, on ne gomme pas ce qu’il y a de meilleur dans les intentions de l’auteur.

Le respect de la partition est donc nécessaire au départ, particulièrement en ce qui concerne la distribution des rôles, et les alternances (solistes – chœur – assemblée) qui sont constitutifs de la composition. Ainsi le chant coté I 168 Sans avoir vu, chanté en choral uniforme, ne rend pas compte de l’intention de l’auteur, et c’est dommage ! On pourra, en revanche, être plus souple sur les tonalités, certaines partitions, écrites pour chorale ou voix d’enfants, développant un registre trop aigu pour l’assemblée. Le tempo peut être aussi corrigé en fonction de l’acoustique du lieu, sans pourtant dénaturer l’atmosphère du chant qui peut être d’acclamation ou de méditation.
Faut-il rappeler que la “ justice musicale ”, c’est d’abord la justesse mélodique et l’exactitude rythmique, l’erreur la plus commune étant d’écourter les valeurs longues du chant, tout en multipliant les respirations mal-venues. Savoir “ tenir les notes et le phrasé ”, en manifestant le “ souffle ” qui porte la célébration, est l’exigence primordiale du chant liturgique.

Le jeu des possibles en est, lui, l’une des caractéristiques les plus passionnantes. Quel dommage de ne considérer l’assemblée chantante que comme un ensemble uniforme alors qu’elle est la convergence de membres différents et complémentaires, à l’image du Corps qu’elle est appelée à former. Une fois découverte cette richesse, le jeu des possibles sera évidemment d’autant plus ouvert que l’on aura su mobiliser une assemblée plus étoffée ; mais dans presque tous les cas, on pourra jouer sur : Les plans sonores. Le chœur, la nef, le soliste se présentent distinctement dans la forme de plus en plus utilisée du tropaire. Mais la simple alternance soliste – assemblée est déjà très dynamisante (ex. C 128-2 Dieu qui nous mets au monde).

Les types de voix. À chaque strophe, on peut faire alterner les voix d’hommes, de femmes ou d’enfants, chaque registre renouvelant, comme à l’orgue, l’intérêt mélodique.

Les interventions instrumentales. L’orgue, en premier lieu, est précieux non seulement pour soutenir le chant, mais aussi pour le faire pleinement vivre grâce à ses préludes, interludes, postludes, ou même ces courtes ponctuations reliant les strophes d’une hymne, ou s’exprimant en solo à son heure. Les autres instruments (de plus en plus présents avec les jeunes) apportent les couleurs vives de leurs timbres qui dynamisent puissamment la célébration, à condition d’être utilisés à bon escient (plutôt la flûte au Kyrie et la trompette à l’alleluia !). On constate cependant que même le meilleur orchestre peut difficilement se passer d’un clavier dont la fonction unificatrice et régulatrice reste irremplaçable en liturgie, par exemple dans ses improvisations.

Chants à couplets. Si l’on a su combiner le jeu des possibles (de la voix nue a capella jusqu’au tutti de la nef et des instruments), on aboutit à une mise en œuvre évolutive sans aucune répétition à l’identique. D’autre part, on évite l’ennui de chanter toujours les même premiers couplets en les choisissant à chaque fois, en lien avec la parole. Leur nombre doit être juste suffisant pour l’accomplissement du rite, en laissant, à la fin, comme un reste d’appétit !

 Les partenaires : une animation en trio

On n’anime pas tout seul, mais toujours en équipe. Et l’on s’aperçoit vite que cette équipe comporte trois pôles : le coordinateur, le chantre et l’instrumentiste. Même le soliste – animateur s’accompagnant à la guitare prend vite conscience qu’il réunit en sa personne ces trois rôles. À l’autre extrême, une grande célébration diocésaine peut voir le premier pôle s’étoffer d’un chef de chœur et d’un animateur d’assemblée ; le deuxième pôle réunir plusieurs solistes au sein d’un chœur polyphonique ; le troisième pôle combiner petit orgue et groupe instrumental dans le chœur, avec le grand orgue et un ensemble de cuivre de la tribune !

Dans tous les cas, le coordinateur a la responsabilité d’unifier tous ces éléments, ce qui peut nécessiter : la rédaction d’un conducteur précis de mise en œuvre pour tous les intervenants ; l’organisation des répétitions nécessaires ; la distribution à l’assemblée des éléments indispensables à sa participation.

Enfin, un partenaire annexe, mais néanmoins important, ne doit pas être oublié : c’est la chaîne d’amplification (micros, amplificateur, haut-parleurs) qui peut anéantir au dernier moment tout le travail préalable par ses stridences, ses bruits tonitruants ou insuffisances manifestes ! Charger une personne compétente de vérifier (à l’avance et en continu) l’efficacité de la chaîne sonore fait partie de la mise en œuvre liturgique.

La célébration

Un peu de calme après tous ces préparatifs, un instant de silence, puis une cloche qui tinte, des lumières qui s’éclairent, l’orgue qui retentit : il faut que l’on sente que “ ça commence ! ”
À partir de ce moment, il suffit d’être là, discrètement, présent à chaque étape de la célébration, mais comme un priant parmi les priants : par sa voix, qui n’est pas la même au chant de méditation ou à l’alléluia ; par son attitude, toujours en accord avec l’action liturgique.

Cela nécessite deux qualités qui restent encore à souligner : la faculté d’adaptation, en lien avec le célébrant principal, qui doit permettre au programme le mieux conçu de se modifier pour écourter un chant trop long, ou accompagner la durée imprévue d’une séquence.
La connivence entre partenaires qui permet de réaliser, sans heurt, les adaptations nécessaires, et qui apparaît comme la juste récompense d’un vrai travail d’équipe.

La liturgie est le lieu où l’Église se rend visible dans sa prière, non par la qualité intrinsèque des éléments qui la composent, mais par ce que nous laissons percevoir à travers eux dans nos mises en œuvre. Animateurs, notre rôle n’est pas seulement d’élaborer des programmes, mais de les “ mettre au monde ” en leur donnant toutes leurs chances potentielles.

Que l’on se rassure cependant, une fois cette prise de conscience assurée, et acceptée une formation minimale, l’utilisation d’un répertoire adapté aux rites permet peu à peu d’aboutir à cette expression spontanée qui seule est apte à manifester la joie de la rencontre avec Dieu.

Le chant alors n’est plus objet de travail mais œuvre d’art (au sens d’acte d’amour), non seulement parce qu’il est beau, mais parce qu’il est juste, vivant et vrai.

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P. Fourney – travailler à partir du programme de chant

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