Chant et silence dans la liturgie

prière, chaisePar Serge Kerrien, Diacre permanent du diocèse de Saint–Brieuc et Tréguier et conseiller pastoral du SNPLS

Le titre pourrait sembler paradoxal. Pourtant, lorsque l’on parle du chant et de son rapport à la liturgie, la question du silence devient incontournable. Pourtant le silence fait partie intégrante de l’acte liturgique et de toute action musicale. Et l’expérience du silence est nécessaire pour que le chant prenne toute sa dimension.

L’expérience du silence

Le chant liturgique est fondamentalement parole inspirée par la Parole de Dieu. Le Christ, Verbe incarné et Parole d’Alliance, nous fait saisir, à travers son mystère pascal, que le silence, le silence de Dieu dans le langage de la croix, ne peut être séparé de la Parole. Dieu parle dans son apparent silence. Car le silence du Samedi saint n’est pas vide ; il est signe d’une attente, d’une espérance. Dieu y poursuit son œuvre de salut. Pour le chrétien, le silence est bien un lieu où Dieu agit et se priver de silence, c’est priver Dieu d’une part de son action.

Par ailleurs, dans un monde où tout n’est que bruit, l’envie de calme et de silence se fait souvent désirer, comme une manière d’équilibrer sa vie. Dans la liturgie, la demande est la même, tant nous avons tendance à multiplier les paroles et les chants, comme si le silence était inutile et faisait peur. Pourtant, il nourrit, lui aussi, la participation active. Tout autant que le chant, le silence construit la communion ecclesiale, si du moins il est le fruit audible d’une prière nourrie par la Parole de Dieu ou d’une attitude intérieure préparant l’assemblée à écouter le Seigneur, à lui adresser une prière, à accueillir le don de sa vie. Il tient de l’expérience spirituelle qu’il enrichit.

Chant et silence

« Pour promouvoir la participation active, on favorisera les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré » (Sacramentum Concilium n° 30). Comment dès lors équilibrer chants, musique et silence ?

La première attitude à avoir consiste à se mettre soi-même en état de silence intérieur avant même le début de la liturgie. Nous avons là de considérables efforts à fournir. Il est tout à fait légitime de se saluer en arrivant à une célébration, mais comment une chorale peut-elle, par son chant, ouvrir l’assemblée à la rencontre du Seigneur si ses membres, les premiers, n’ont pas pris le temps d’une mise en présence silencieuse ? Et que dire aux acteurs liturgiques qui s’agitent juste avant la célébration au lieu de s’ouvrir à la présence du Seigneur, oubliant que, par eux aussi, Dieu parle à l’assemblée ?

En dehors de ce temps qui précède la liturgie, d’autres moments de silence ont leur place comme autant de respiration nécessaires : avant une oraison, la proclamation de la Parole, la fraction du pain, le credo… Dans son rapport au chant, le silence aura sa place avant de chanter la préparation pénitentielle, donnant ainsi à chacun le temps de prendre la bonne attitude spirituelle. Entre le Gloire à Dieu et la prière d’ouverture, le silence aidera à passer de la louange à la supplication. Après la lecture ou l’homélie, il permettra d’intérioriser la Parole reçue, et même si l’orgue intervient avec justesse, la musique portera le silence intérieur. Quant à la prière universelle, elle mériterait d’intégrer, si son écriture le permet, un temps de silence entre l’intention de prière et le refrain qui est la prière puisqu’il s’adresse à Dieu. Le modèle que propose l’Eglise le Vendredi saint pourrait inspirer nos mises en œuvres. La prière prendrait alors une tout autre tournure, donnant à chacun le temps de mettre des noms et des visages sur les catégories de personnes pour lesquelles la prière est adressée au Seigneur. Reste la communion, où il convient d’équilibrer chant et silence. Si l’on chante pendant la procession de communion, un temps de silence doit suivre et permettre la méditation. Si l’on chante après la communion, soit le silence précède le chant qui rend grâce pour les bienfaits reçus, soit il prolonge le chant avant la prière finale.

La redécouverte du silence dans la liturgie est importante. En effet, lorsqu’on y chante, il ne s’agit pas de produire du son ou de meubler un vide. Il s’agit de mener une assemblée à une rencontre intérieure. Par contraste, il donne au chant toute plénitude, offre des espaces de respiration à des liturgies où l’on a tendance à trop chanter ; il ouvre les cœurs au mystère de la rencontre avec le Seigneur et relie, en un seul chœur, la liturgie de la terre à la liturgie du ciel.

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