L’aménagement liturgique : « asseoir une assemblée »

Abbaye de bénédictines à saint-Thierry (51)

Abbaye de bénédictines à saint-Thierry (51)

Par  et Isabelle Renaud-Chamska

Puisque l’assemblée retrouve aujourd’hui pleinement la place qui est la sienne dans la liturgie, il est bon que les Commissions diocésaines d’art sacré soient consultées pour l’acquisition ou le renouvellement des sièges sur lesquels les fidèles vont s’asseoir pendant les offices. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Pourtant les enjeux sont importants, et une réflexion de fond est souvent nécessaire avec les responsables pastoraux et les maires.

La disposition et la qualité des sièges déterminent l’impression d’ensemble de celui qui entre dans une église vide, s’il est vrai que les sièges donnent comme l’image en creux de la forme de l’assemblée, absente et présente à la fois, comme une invitation à venir la rejoindre pour l’écoute de la Parole et la louange eucharistique. On comprend aisément que des bancs d’école à piètement tubulaire ou les chaises en plastique moulé qu’on trouve encore dans tant de lieux soient d’un effet exécrable. les chaises pliantes prêtées par la mairie ou entassés sans soin dans un coin de l’église ajoutent à cette impression de tristesse.

La premier souci d’un pasteur est de donner aux participants d’une cérémonie la possibilité de s’asseoir. Aux obsèques, par exemple, toute la communauté ou même tout le village est là, et plus encore. Le comble de l’incorrection consiste à laisser des gens debout. C’est pourquoi il y a souvent dans l’église une réserve de chaises dépareillées. Ces occasions, quoique exceptionnelles, comptent beaucoup dans la vie d’une paroisse, et il n’est pas toujours facile d’ajuster le nombre des sièges à des assemblées à géométrie variable. L’important est d’arriver à garder des espaces de respiration et de circulation, surtout autour des pôles principaux de la célébration.

Les chaises de paille restent le modèle le plus courant de la chaise d’église. Individuelles, fragiles, chères, même assujetties entre elles pour respecter les règles de sécurité anti-panique elles restent d’un usage plus souple que les bancs, beaucoup plus lourds et raides. Souvent fabriqués par des artisans locaux, les bancs sont moins onéreux et plus simples d’exécution, mais souvent trop grands, rectiligne, et sans intérêt, voire laids. Ils peuvent donner à certains la satisfaction de l’œil : une église remplie de bancs donne l’impression d’être rangée, propre, confortable et facile d’entretien.

Les bancs clos à l’ancienne, avec des estrades isolantes et des portes, subsistent encore dans quelques églises rurales. Ces habitacles formaient des espaces attribués. Aujourd’hui, les assemblées sont très mobiles. Mais autrefois, et encore dans certaines paroisses, chacun avait sa place attitrée. On était installé. Encore aujourd’hui, le siège indique cette hospitalité de l’assemblée des frères offerte à chacun, la place marquée de ceux qui arrivent là. Le siège est signe de l’accueil, de la politesse : « Prends un siège, assieds-toi là parmi nous, tu es ici chez toi. » D’où la nécessité de ne pas se gêner, de ne pas être trop au coude à coude, pour respecter l’assise et la corpulence de chacun. (Les assises des chaises, plus larges qu’autrefois, laissent penser que la population a grandi et forci en une génération).

Des exigences de confort s’ajoutent aujourd’hui. S’il est vrai qu’au Moyen âge le peuple était debout ou assis par terre, la vie moderne et l’influence de la Réforme protestante, toute axée sur l’écoute de la parole de Dieu, ont introduit puis généralisé les bancs. On écoute mieux, on suit mieux les cérémonies assis plutôt que debout, disent les bons auteurs. C’est une conquête de la modernité sociale et intellectuelle que de pouvoir s’asseoir ; les chaises sont entrées dans les églises après la Révolution, avec le triomphe de la bourgeoisie. Mais les sièges, chaises et bancs, ont un aspect contraignant pour l’oeil, ils rivalisent avec l’architecture, cachent les sols, dénaturent l’espace. Souvent le dossier est trop haut, et de simples tabourets paraissent plus élégants et modulables.

Car il ne faudrait pas que les sièges, trop raides ou trop lourds, deviennent des «  empêcheurs de tourner en rond », comme on le faisait par exemple naguère le Vendredi saint pour le Chemin de croix, où les fidèles suivaient de tout leur corps et sans bouger le prêtre pérégrinant de station en station. De même, quand le curé montait en chaire, tous les premiers rangs de chaises se retournaient pour le regarder. Cette cinétique essentielle à la bonne dynamique de l’assemblée vient s’ajouter aux modulations inévitables en terme de taille et de morphologie des assemblées formant une paroisse : dans les églises neuves, les architectes doivent penser à cette plasticité de l’assemblée lorsqu’ils décident du mobilier de l’église, de sa forme et de son emplacement.

En réalité, on a besoin de s’asseoir seulement pendant la liturgie de la Parole (surtout si le sermon est long !). Pendant le reste de la liturgie, seules quelques personnes âgées ou fatiguées peuvent réclamer un siège. Les jours où nos assemblées dominicales sont moins nombreuses, pourquoi ne pas déranger les espaces, à l’entrée de l’église pour faire une liturgie de l’accueil, et autour de l’autel, pour permettre aux fidèles de s’y tenir comme les invités à la Table du Seigneur. Il suffit de masser les chaises nécessaires à la liturgie de la Parole autour d’un ambon qui peut être placé, comme nos chaires autrefois, au milieu de la nef. Nos églises deviennent alors toujours mieux des espaces où l’œil peut écouter, et le corps respirer.

Article tiré de la revue Chroniques d’Art sacré n°63