Parole de Dieu et liturgie des Heures

23 mars 2012: Mains de femme en prière avec un chapelet sur un livre de psaumes.Egl. Saint Pierre de Montmartre, Paris (75), France. March 23rd, 2012: Woman's hands praying with a rosary on an open book of psalms. Saint Pierre de Montmartre Church, Paris (75), France.

Par Frère Vincent, moine à l’abbaye Sainte Marie de la Pierre-qui-Vire

Toute prière liturgique est réponse à une invitation du Seigneur. Les gestes effectués, les paroles prononcées, les temps de prière silencieuse s’intègrent dans une démarche qui vise à approfondir la relation d’alliance avec notre Dieu.

L’expression «parole de Dieu» est la manière la plus courante pour désigner toute la Révélation chrétienne, c’est-à-dire le fait que Dieu prenne l’initiative de se manifester tel qu’il est, par une présence active au cœur de l’histoire. L’attitude de l’homme croyant n’est pas de l’ordre de la possession (du voir) mais relève d’une attitude de disponibilité, d’accueil, d’écoute; de l’écoute d’une parole, la parole de Dieu.

La Bible est elle-même l’attestation de l’aventure historique de la Révélation, vécue en Israël et trouvant son accomplissement dans la figure concrète de Jésus de Nazareth. Le Christianisme n’est pas, comme on le dit parfois, une religion du livre, comme l’est l’Islam, par exemple, mais une religion de la Parole. Il est l’événement de la rencontre, initiée par des événements historiques et proposée à tout homme disponible et prêt à la recevoir.

Quand Dieu parle aux hommes, cela commence toujours par une bénédiction: «Dieu vit que cela était bon». La Parole de Dieu est toujours initialement une bénédiction, inconditionnelle, gratuite, gracieuse, créatrice, ou recréatrice. Et parce qu’elle est bénédiction, la parole de Dieu fonde la possibilité de la relation de Dieu à l’homme; un dialogue s’offre à tous. La parole de Dieu s’annonce donc comme une Bonne Nouvelle puisqu’elle ouvre à l’homme une relation à Dieu. Elle atteint l’homme comme la parole amoureuse d’un Dieu qui se met en route pour aller à sa rencontre. La Liturgie de la Parole a quelque chose d’une déclaration d’amour. Elle crée la communion. Elle engendre l’action de grâce. Kierkegaard disait : « Lire la Bible comme un jeune homme lit la lettre de sa bien-aimée ». Et Saint Augustin : « Ouvre l’Écriture; peu importe la page. Partout elle chante l’Amour.»

Le Seigneur s’adresse à son peuple lorsque la parole de Dieu, célébrée dans la liturgie, retentit à nos oreilles. Pour nous aussi se réalise la parole de Jésus rapportée par Saint Luc : «Aujourd’hui cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez» (Lc 4, 21).

Si nous nous rassemblons pour honorer Dieu, pour prier, pour présenter nos demandes, il convient que nous commencions par écouter ce que Dieu veut nous dire. Dieu nous parle, sa grâce nous appelle. Alors seulement, nous pouvons nous tourner vers Lui avec notre réponse. La parole de Dieu est vraiment au cœur même de la Prière de l’Église.

Il est alors aisé de définir la prière des Heures comme une liturgie de la Parole ! Psaumes, antiennes, lectures, réponds, cantiques… tout ces textes s’inspirent de l’Ancien et du Nouveau Testament. Mais il est possible d’en dire autant pour les textes des hymnes et prières d’intercession, de louange ou de supplication ! Bref, la Liturgie des Heures est un réel « festin » de parole de Dieu. L’exhortation apostolique Verbum Domini du pape Benoit XVI écrit même : « la Liturgie des Heures constitue une forme privilégiée d’écoute de la Parole de Dieu parce qu’elle met en contact les fidèles avec l’Ecriture Sainte et avec la Tradition vivante de l’Eglise » (§ 62). Par la prière quotidienne de la Liturgie des Heures, la journée du croyant est rythmée par la parole de Dieu !

Cette insistance du Pape sur l’importance de la Liturgie de la Parole ne date pas de l’exhortation ! Elle rejoint d’autres textes majeurs d’après le Concile Vatican II qui parle de la parole de Dieu comme présence du Christ dans sa Parole. Sans la Constitution sur la Liturgie par exemple : « Le Christ est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures » (SC 7). Ou encore dans la Constitution sur la Révélation (Dei Verbum 21) : « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle l’a toujours fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table de la parole de Dieu et sur celle du corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles ».

Croire alors que le Seigneur n’est présent que dans la « présence réelle » de l’hostie n’est donc pas juste, car comme le disait le Pape Paul VI dans son instruction sur le Mystère Eucharistique : « cette présence du Christ sous les espèces est appelée réelle, non à titre exclusif, comme si les autres ne l’étaient pas, mais par excellence ».

Ces textes sont primordiaux car ils soulignent l’importance de la Parole : Dieu s’est incarné dans sa Parole : « Au commencement était le Verbe, la Parole, et la Parole était auprès de Dieu,  et la Parole était Dieu » (Jn 1). Ou encore : « ce que nos mains ont touché du Verbe de vie » c’est à dire de la Parole de Vie, de la parole de Dieu (1 Jn 1,1).

Il est clair que la Liturgie permet de faire l’expérience de la rencontre avec le Christ, parole de Dieu, Verbe fait Chair. La Liturgie de l’Alliance Nouvelle met le croyant en contact avec le corps des Écritures comme avec le Corps du Ressuscité.

Le chrétien d’aujourd’hui qui entend dans sa langue tel ou tel passage d’Écriture entre ainsi dans un vaste mouvement qui s’enracine dans l’expérience de l’Église, et du peuple de la première Alliance.

Oui, il faut le redire avec le Concile: « Dans la célébration de la Liturgie, la sainte Écriture a une importance extrême… Dans la Liturgie, Dieu parle à son peuple; le Christ annonce encore l’Évangile. Et le peuple répond à Dieu par les chants et la prière » (SC 24.33)

Bien sûr, il n’est pas facile de reconnaître dans la parole entendue le Christ en personne, surtout si cette Parole n’est pas bien lue ! Reconnaître le Christ, c’est cependant l’acte de foi qui nous est demandé, c’est pourquoi la Liturgie de la parole a une telle valeur. Quand Mme Un-telle lit, c’est Lui qui parle ! Nous faisons dans chaque célébration, la même expérience que fit Marie-Madeleine au matin de Pâques, devant le tombeau vide : »Elle ne savait pas que c’était lui ! » Nous avons du mal à reconnaître le Ressuscité, et pourtant c’est bien Lui, et sa Parole provoque notre foi : « Au commencement était la Parole… la Parole était Dieu… et la Parole a habité parmi nous … »

C’est donc une tâche magnifique et redoutable que celle du lecteur : il donne sa voix au Seigneur ! Il faut donc s’y préparer spirituellement Le Père Duchesneau disait que c’est une faute grave, à l’égard du Seigneur, de l’assemblée et du lecteur lui-même, que de demander à quelqu’un de faire une lecture, seulement une minute avant le début de la célébration.

Il est aisé alors de comprendre l’importance de l’ambon, qui ne doit servir qu’à la parole de Dieu. C’est le lieu où Dieu se donne dans sa Parole ! Un lieu propre, beau, réservé et suffisamment éloquent par lui-même, pour dire la dignité de ce qu’il permet. Nous pouvons dire de même dans le fait de lire dans un beau livre et non dans des revues qui sont nécessaire pour la préparation. Proclamer la Parole, c’est rendre le Seigneur présent, alors cela vaut la peine de le faire bien !<