5. Vivre l’Epiphanie et le Baptême du Christ

La liturgie, accès à la grâce du temps présent durant le confinement (9)

La série « La liturgie, ressource spirituelle », dont cet article fait partie, a été proposée fin 2020 par le SNPLS pour accueillir les conditions particulières du confinement national. La réflexion proposée demeure largement actuelle pour qui souhaite mieux vivre la liturgie selon la « couleur » du temps liturgique.

La méditation de l’Écriture sainte irrigue toute liturgie, à travers les multiples lectures et les diverses prières proclamées, mais aussi les gestes et attitudes, qui en reçoivent leur signification profonde. Cette signification se renforce encore par son enracinement dans l’année liturgique qui déploie le mystère du Salut en Christ tout au long du temps. Le deuxième moment de confinement s’est inauguré alors que l’année liturgique arrivait à son terme. Ce contexte rend plus pressante encore l’invitation à suivre les grandes lignes de force mises à disposition par la liturgie pour aider chacun à entrer dans la grâce du temps présent, en toute occasion.

Épiphanie

         L’évangile ne dit pas qu’ils étaient rois. Il ne dit pas davantage qu’ils étaient trois. Il dit seulement qu’ils étaient mages (Mt 2, 1), avec tout le prestige, tout le vague, tout le mirage oriental qui entoure ce terme. Ils étaient hommes, surtout. Des hommes partis à l’aventure, sur le tard, comme il s’en rencontre parfois. Des hommes tombés amoureux d’une étoile et unis de compagnonnage par la simple décision de marcher au pas du ciel, de naviguer sur la terre au gré d’une exceptionnelle constellation, puisque aussi bien l’étoile, si singulière qu’elle fût, en appelait maintes autres à sa suite, et ne cesse d’en appeler de nouvelles. Réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux (Lc 17, 20). Des « cosmonautes », au sens propre, c’est-à-dire des hommes qui naviguent à travers le cosmos. Des nomades qui pouvaient dire, avant les disciples eux-mêmes : Voici que nous avons tout quitté pour te suivre (Mt 19, 27). Des voyageurs sans bagages (ils n’ont que des cadeaux), jusqu’au bout de la Nuit. L’on n’avait pas vu pareil détachement, pareille audace, pareille confiance aussi, depuis le patriarche Abraham : Va vers le pays que Je te montrerai (Gn 12, 1). L’on ne peut rêver scénario plus sobre, plus stylisé, plus tonique : cela fait du bien, après toutes les lourdeurs que, même chez les plus raisonnables et les plus fervents, peuvent entraîner dans leur cortège les « fêtes de fin d’année ». D’ailleurs, pour beaucoup, dans le monde mondain, ces « fêtes de fin d’année » sont déjà finies, ne laissant après elles que vide, satiété et tristesse. Qui pense à l’Épiphanie, rayonnante d’une joie que nul ne peut nous ravir (Jn 16, 22) ?

         Car enfin l’Épiphanie, traditionnellement fixée au 6 janvier, est l’ancêtre et la doyenne de Noël : c’est cette fête qui est apparue la première, en Orient, avant que, vers la fin du IVe siècle, celle du 25 décembre ne vînt en quelque sorte la concurrencer, ou du moins partager avec elle le contenu événementiel et théologique de la mémoire liturgique dont le Mystère de la Nativité fait l’objet. Son nom va directement au cœur de ce Mystère qui n’est autre que la « manifestation » ou « l’autorévélation » de Dieu dans la chair et l’histoire de l’homme, dans le sens du salut : Car la grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, s’est manifestée… Le Jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes… (Tt 2, 11 et 3, 4). Cet Événement-là, qui se décline à travers une pauvreté de moyens étonnante (un enfant, des bergers, une étoile, du pain et du vin, des poissons, et pour finir une croix), cet Événement-là possède en réalité une énergie « atomique » : il est au cœur de notre foi chrétienne et, pour se déployer à travers le monde, n’attend et ne veut rien d’autre que notre pauvreté. Si précieux que fussent les cadeaux de nos « visiteurs du soir », l’or, l’encens et la myrrhe (Mt 2, 11), c’est d’abord vers leurs cœurs brisés (Ps 50, 19) de fatigue, de repentir, d’émotion et de joie tout ensemble, que regardait l’Enfant en majesté, lui qui sait ce qu’il y a dans l’homme (Jn 2, 25).

Mosaïque des Rois mages, VIe siècle, Basilique St Apollinaire, Ravenne.

Mosaïque des Rois mages, VIe siècle, Basilique St Apollinaire, Ravenne.

            Allons nous aussi au vif du Mystère, marchons à l’étoile vers le Soleil, mendions la Lumière à travers les lumières modestes et vacillantes qui nous sont données, car présentement nous cheminons dans la foi (2 Co 5, 7). Pourvu que nous soyons attentifs à toutes les prévenances de Dieu dans nos vies, à tous les « sacrements » grands et petits, officiels et non officiels, de sa présence, chacun de nous peut attester de la grande affirmation johannique : La Vie s’est manifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle (1 Jn 1, 2). Les rois, dans l’histoire, les véritables rois de l’Épiphanie, ce sont tous les baptisés qui sont aussi, de condition native, même s’ils viennent à l’oublier,  tous prêtres et prophètes.

Baptême du Seigneur

            Lorsque j’étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant. Mais maintenant que je suis devenu homme… (1 Co 13, 11). Ainsi parlait Paul. Ainsi a pu parler Jésus lui-même, étant donné la réalité de sa croissance humaine, physique, psychologique, spirituelle (la patiente incarnation de Dieu ne fait de lui ni un génie, ni un monstre). Ainsi pouvons-nous parler nous-même au sortir du Temps de Noël qui ne va jamais, si âgés que nous soyons, sans quelque nostalgie. L’enfance, une certaine enfance, attire sur nos lèvres le temps grammatical de l’imparfait – lorsque j’étais –, cependant que nous sommes entraînés à grands pas vers l’Homme Futur (Rm 5, 14) qui est aussi l’Homme parfait (Ep 4, 13), Prototype d’une humanité nouvelle qui laisse loin derrière lui tous nos rêves de transhumanisme. Il nous faut désormais remiser les décors de Noël pour accompagner le Christ en son âge d’homme. Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes (Lc 2, 52).

            Luc est le seul évangéliste qui nous ait rapporté, en quelques épisodes choisis, l’enfance de Jésus. Matthieu ne nous offre guère que le récit midrashique de la venue des mages. Jean, lui, remonte très haut, puisque, silencieux sur les premières années de Jésus, il envisage – il contemple d’emblée la génération éternelle du Verbe. Encore qu’il soit bel et bien présent dans les quatre évangiles, le baptême de Jésus fait figure, chez Marc (Mc 1, 9-11), de commencement absolu, ce qui met singulièrement en valeur l’importance de cette étape. Commenté par la voix du Père, sanctionné par la descente de l’Esprit sous le signe de la colombe, le Baptême est en effet une théophanie, comme le sera plus tard la Transfiguration (Mt 17, 5), et entre, avec l’adoration des mages et le miracle de Cana (Jn 2, 1-11), dans le bouquet des trois grandes « manifestations » qui composent la fête liturgique de l’Épiphanie du Seigneur. D’une certaine manière, le Baptême entre encore dans « l’Évangile de l’enfance » au sens large, et par conséquent dans le cycle de la Nativité, dans la mesure où il représente, à un titre éminent, une préface du ministère public de Jésus, une « signature » publique de son Acte de Naissance, une reconnaissance de sa légitimité filiale par le Père, une investiture du « Serviteur » (Is 42, 1-9) dont « Enfant » (en grec païs) est l’autre nom, souvent retenu par la tradition chrétienne primitive.

            Mais le Baptême du Seigneur s’impose aussi à notre contemplation esthétique, à notre réflexion théologique, à notre mémoire liturgique, en un mot à notre action de grâce, pour cette raison qu’il est la source, le modèle et le générateur de notre propre baptême, acte de naissance de notre être-nouveau en Christ (Ga 6, 15). Chacun de nous peut se mettre sous la voix du Père et sous le pennage de la Colombe pour s’entendre dire qu’il est un fils bien aimé (Mt 3, 17), car il y a place pour nous dans l’Unique, ce qui fait le fond de la Bonne Nouvelle. C’est ainsi que le Père nous a élus en lui, dès avant le commencement du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour, déterminant d’avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ (Ep 1, 4-5). Le ciel qui se déchire aujourd’hui, au-dessus de l’Homme frais émoulu des eaux, est le toit de notre adoption : notre genèse est inscrite dans la Sienne. C’est dans cet espace, dans ce temps de maturité parfaite du Premier-né (Lc 2, 7 ; Col 1, 18), révélé au bord du Jourdain, que pourra se déployer le véritable esprit d’enfance ; une enfance qui n’est plus simplement l’âge tendre de la vie dont on demeure nostalgique, mais le plein épanouissement de la vie vers lequel on chemine et dont on fait croître le désir. Car à tous ceux qui L’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jn 1, 12).

Frère François Cassingena-Trévedy o.s.b., moine de l’Abbaye de Ligugé, artiste et poète, enseignant à l’Institut Supérieur de Liturgie à Paris

La liturgie, ressource spirituelle

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