Vivre et célébrer le Temps ordinaire

Enfant bougie

Par Monique Brulin, Chargée d’enseignement à l’Institut catholique de Paris, Ancien membre du SNPLS.

Si les phénomènes et les processus du monde ont une durée qu la science s’efforce de mesurer et de comprendre, l’être humain vit le temps comme une expérience qui le constitue et le maintient dans la continuité éprouvée d’une vie changeante et partagée collectivement.

Scansion du temps dans les sociétés

Afin d’établir une continuité dans une durée marquée par des ruptures, les sociétés ont structuré leurs activités selon des rythmes collectivement reconnus.

Le christianisme, comme toutes les religions fondées, met en place une organisation du temps conçue à partir d’un événement fondateur censé ouvrir une ère nouvelle et qui détermine le moment à partir duquel tous les événements sont datés. En même temps, il projette sur un cycle cosmique le récit des étapes de sa fondation en prenant comme centre de la commémoration, non pas le jour de la naissance de son fondateur – le Christ Seigneur – mais le moment crucial de son passage « de ce monde à son Père », du temps de ce monde à un autre temps.

L’expérience chrétienne du temps

Si l’expérience chrétienne du temps consiste à faire mémoire des principales phases de la vie du Christ réparties au cours de l’année (Nativité, Épiphanie, enseignement, et ministère, Passion, mort et Résurrection, Ascension), plus encore est-elle marquée par ce passage majeur qui est celui de la Pâque. En elle, s’inscrit le geste sauveur décisif et efficace en lui-même et pour tout le temps qui reste à venir jusqu’à la Parousie. Faire mémoire de ce geste en le replaçant au centre du temps chrétien, sauve le temps de son épuisement, car met en contact avec la plénitude du temps1.

Dans cette perspective, les cycles liturgiques peuvent apparaître en contradiction avec la révélation d’une source constante du salut : un événement qui s’est produit « une fois pour toutes » marque une rupture avec la conception religieuse archaïque du temps dans son « éternel retour ». L’homme accède ainsi à une autre manière de vivre le temps, en accueillant Dieu qui en transcende la finitude.

Un processus adapté à la condition humaine

Le christianisme introduit une solution originale. L’Église a considéré que le fidèle pouvait entrer plus profondément dans le mystère de Dieu à travers un processus qui reprend la manière dont Dieu s’est révélé et communiqué au monde dans le Christ : un processus adapté à la condition de l’homme qui a besoin de phases d’initiation et de maturation au long des jours. Il s’est centré dans les premiers siècles sur la célébration hebdomadaire de la Pâque, puis sur la fête annuelle comme lieu mémorial de sa fondation. En même temps, pour le chrétien, la prière doit être constante et la fête perpétuelle.

A partir du IVe siècle, les cycles de l’année liturgique2 sont jalonnés de fêtes qui chacune présente la totalité du Mystère central contemplé sous un aspect particulier. De l’avent à la Pentecôte, l’accent est mis sur la mission du Fils avec les temps forts que constituent le cycle de Pâques et le cycle de Noël ; de la Pentecôte à l’Avent, l’œuvre de l’Esprit Saint est mise en évidence dans la mission de l’Église. Entre le Baptême du Seigneur et le mercredi des Cendres, puis entre la Pentecôte et l’Avent, se déroule le Temps dit « ordinaire », au sens d’habituel (ordinarius), plus familier, plus proche du déroulement quotidien de l’existence. Cependant, ce « tempus per annum », qui se présente comme un long pèlerinage, n’est pas sans fête (Trinité, Saint-Sacrement, Sacré-Cœur, Assomption de la Vierge, Exaltation de la Croix, Toussaint, Christ-Roi, etc.). Il ne s’estompe pas non plus dans la monotonie des jours sans qualité ou sans saveur.

Spécificité du Temps ordinaire

Le Temps ordinaire s’inscrit dans des cycles courts, plus proches de l’observance religieuse que du temps festif. Il reste en effet scandé par les dimanches qui, malgré l’absorption actuelle du « premier jour de la semaine » dans le week-end, proposent le cadre d’une mémoire collective toujours centrée sur la source fondatrice, en l’occurrence Jésus Christ en son mystère pascal. Ces dimanches, le fidèle peut faire l’expérience d’un temps audacieusement différent : autre que celui de l’immédiateté à laquelle il se trouve si souvent confronté ou encore celui qu’imposent les rythmes de travail ou d’autres activités contraignantes.

Contrairement à certains aspects effervescents, voire excessifs de la fête profane, qui expriment le désir compulsif d’une vie différente de la vie de tous les jours ou qui cherchent à fuir les contraintes du temps présent, les célébrations chrétiennes du Temps ordinaire donnent aux réalités de ce monde leur juste place par cette capacité d’accueillir le présent comme temps de l’inachèvement.

Il ne va pas de soi que ce regard sur le présent s’accorde avec les perceptions actuelles du temps où tout se montre sous l’aspect du mouvement et de l’irruption de l’événement. Tout change si rapidement que l’on n’a plus le temps de recueillir ce qui surgit dans son espace d’expérience et un certain éloignement de l’horizon d’attente, l’individu ne peut plus se projeter vers l’avenir.

Par rapport à l’exaltation ou plutôt l’exultation des temps forts, le Temps ordinaire peut être vécu comme temps d’apaisement, de clarification, comme une mystagogie des temps de ressourcement. Toutefois, il ne nous laisse pas en repos dans le confort de l’habituel. Chaque dimanche vient réveiller notre semaine et chaque eucharistie entrouvrir pour nous la perspective d’un temps nouveau et d’un regard nouveau sur le monde.

Sur cet itinéraire jalonné de fêtes (qui peuvent être aussi l’occasion de ressourcer une historie commune : celle de la paroisse, la vie d’un saint local, etc., ou encore rite de passage : baptême d’un enfant, mariage, funérailles), chaque fidèle peut y enrichir sa foi, approfondir sa relation au Christ, accroître sa charité, vivre plus intensément de l’Évangile.

  1. Ga 4, 4 – 5 « Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils (…) afin de nous conférer l’adoption filiale. »
  2. On relira avec profit le dossier sur le temps liturgique dans Célébrer n° 317

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