La Maison-Dieu n°307 : La science liturgique en ses sources

En tant que « science », la liturgie est une discipline théologique à part entière. Sa particularité tient, non seulement au fait qu’elle est une pratique rituelle, mais qu’elle fait œuvre de Tradition puisqu’elle est mémorial de l’œuvre salvifique de Dieu en Jésus Christ. C’est dire combien est décisive la manière avec laquelle nos théologies liturgiques s’appuient sur leurs sources – en particulier bibliques et patristiques qui fondent toute théologie, mais aussi historiques. On sait combien l’histoire de la liturgie a été, et est encore décisive pour développer une théologie liturgique. Mais comment qualifier ce rapport à l’histoire, comment aborder les sources historiques dont nous disposons ? Le questionnement est d’autant plus crucial que l’on réalise davantage aujourd’hui combien la liturgie elle-même n’a pas été appréhendée de la même façon, selon les différentes époques de la vie de l’Église. Tels sont les aspects de la science liturgique que ce dossier de La Maison-Dieu propose.

Sommaire 

In genere officii, in genere signi, in genere ritus : Petite histoire raisonnée de la compréhension théologique des actions rituelles chrétiennes.

Andrea Grillo

Pour traiter la question liturgique aujourd’hui, on ne peut se contenter de reprendre des catégories anciennes sans faire l’effort herméneutique de comprendre davantage le monde dans lequel ces catégories ont été pensées. L’auteur distingue ainsi trois « genres » successifs correspondant à des manières de penser dans lesquelles la liturgie a été appréhendée au cours de l’histoire : le « genre » traditionnel ancien de l’officium qui considère la liturgie essentiellement d’un point de vue moral et juridique ; le « genre » médiéval de signum-et-causa qui la comprend dans sa capacité sanctifiante comme œuvre divine ; le « genre » de rite qui, au début du xxe siècle, permet de l’appréhender dans son action comme lieu d’expérience et comme mystère. Analysant finement les deux premiers genres pour en dégager les contours et les implications, A. Grillo montre comment le troisième a permis de dépasser les oppositions que les deux premiers avaient suscitées : l’opposition entre action humaine et œuvre de Dieu, entre la liturgie comme culte et la liturgie comme sanctification, entre règles et vérités, entre devoirs et significations, etc., s’en trouve dépassée. Le concept scientifique de rite ouvre à une intersubjectivité entre l’objectivité doctrinale du signum-et-causa et l’objectivité disciplinaire de l’officium : « elle remet du jeu dans la tradition et la projette vers de nouvelles avancées prometteuses. » La mise à jour de cette « complexité historique des sédimentations » nous permet de mieux saisir « le défi que la Réforme liturgique de Vatican II a lancé à la tradition théologique et ecclésiale. » Il nous faut prendre la mesure que la théologie de la liturgie a besoin aujourd’hui de s’appuyer davantage sur une compréhension de celle-ci comme action rituelle, pour échapper aux impasses d’une « dogmatique théologique » et d’une « dogmatique juridique » dans lesquelles les catégories de signum-et-causa et d’officium nous avaient entrainés.

Le recours à l’histoire en science liturgique : contribution à la recherche d’un nouveau paradigme.

Patrick Prétot

L’article se présente comme une contribution en vue d’un nouveau paradigme en histoire de la liturgie, et repose sur l’hypothèse que l’une des tâches actuelles de la science liturgique est de penser une nouvelle approche historique. Dans un monde complexe, l’histoire de la liturgie se présente avant tout comme instance de discernement qui interroge les pratiques actuelles et non une reconstitution archéologique d’un passé révolu. Elle est par conséquent plus que jamais nécessaire mais à condition de mieux en percevoir les potentialités et les limites. Car elle peut être instrumentalisée en vue d’ériger certains de ses acquis en absolus intangibles et, faute de contextualisation, elle sert parfois d’alibi à des manipulations destinées à soutenir des fins idéologiques.

À travers un triptyque (1. – Un cadre pour la réflexion : histoire de la liturgie et tradition ; 2.- Histoire de la liturgie et théologie ; 3.- Pour un nouveau paradigme de l’histoire de la liturgie) le parcours repère un certain nombre d’accents de cette nouvelle donne :  permanence de la nécessité de l’enquête historienne pour asseoir le discernement des mises en œuvre pastorales ; lien indissociable entre histoire et théologie pour ne pas rabaisser l’histoire à un préalable signalant l’antiquité des pratiques ou encore justifiant (ou au contraire critiquant) les institutions actuelles ; souci de tenir compte de la nef et pas seulement des actions des ministres ; considération renouvelée pour l’expérience et donc l’expression de la piété ; et enfin nécessité d’entrer dans l’âge herméneutique.

La forme biblique de la liturgie : un défi pour son étude.

Jean-Claude Reichert

La liturgie est « faite de Bible », sans cesser pour autant d’être liturgie. Les rapports étroits qu’entretiennent la Bible et la liturgie ont déjà été largement soulignés, de Louis Bouyer à Louis-Marie Chauvet. L’auteur va plus loin : la Bible n’est pas seulement une source de la liturgie mais en constitue la matrice. En prenant en compte le vocabulaire précis que le Concile utilise, il montre comment Sacrosanctum concilium – dont Dei Verbum donne une clef d’interprétation décisive – ne s’appuie pas seulement sur la Bible pour argumenter son propos et ne se contente pas de vouloir davantage de lectures et de références bibliques dans la liturgie, mais est véritablement structurée par les Saintes Écritures. En réelle osmose avec elles, au point que la liturgie s’en trouve pleinement affectée. La liturgie apparaît alors comme « la résultante d’une soumission religieuse aux Écritures et à ce qu’elles disent » pour porter la parole de Dieu à sa manière propre, toute pétrie de Bible. C’est pourquoi, l’Église fait vraiment œuvre liturgique lorsqu’elle « reconfigure » les Saintes Écritures dans la liturgie, par le choix des péricopes, l’insertion d’incipit ou en supprimant tel ou tel verset. Elle le fait pour faciliter « la jointure avec les rites », dans un langage propre, interprétant les textes bibliques dans une tradition vivante travaillée par le « goût qu’elle y a déjà trouvé » au sein des communautés chrétiennes au long de son histoire. D’où la nécessité d’étudier la liturgie à partir de la Bible, « en cherchant ce que la Bible fait de la liturgie ».

Le ressourcement dans la tradition patristique.

Emmanuel Borsotti

Même s’il nous faut prendre garde au risque toujours présent de « mystifier un hypothétique âge d’or liturgique », il n’en demeure pas moins que le renouveau opéré par le Mouvement liturgique et le concile Vatican II doit beaucoup à la (re)découverte des écrits des Pères de l’Église. Ce ressourcement, qui s’est fait au long du xxe siècle et qui avait commencé déjà au xixe s. (et déjà au xvie s.), a permis notamment à la science liturgique de retrouver la dimension du mystère de la liturgie (Odo Casel), qu’une théologie classique, plus conceptuelle, avait quelque peu perdue. Une attention nouvelle à cette catégorie a conduit à la redécouverte, à l’étude et à l’appréciation de la mystagogie ancienne, à la fois comme pratique d’initiation (cf. le Rituel de l’initiation chrétienne des adultes) et comme méthode de lecture associant Bible et liturgie. En nous appuyant sur ces écrits, nous avons pu déployer une théologie de la liturgie fondée sur le culte dans sa ritualité, intégrant « l’intellect et la volonté, la pensée et l’action, le corps et l’esprit ». Mais si les Pères nous enseignent qu’une théologie de la liturgie part du rite, et le prend pour horizon, ils nous disent surtout qu’elle doit être capable d’intégrer dans le fondement de la foi l’expérience religieuse qui la fonde et la transforme, en mettant à jour « le lien inextricable entre la Bible, la liturgie, la vie et l’accomplissement eschatologique ». Les Pères nous enseignent aussi combien leur théologie mystagogique est diverse et variée, élaborée dans un contexte spécifique, et référencée à des pratiques différenciées. Cela nous invite à un travail herméneutique permanent, échappant à toute nostalgie esthétisante, pour imaginer et retraduire l’expérience liturgique dans le temps présent. La manière avec laquelle a été traitée la Tradition apostolique du pseudo-Hippolyte en constitue un exemple particulièrement significatif.

L’évolution des chants processionnaux en français.

Philippe Robert

Dans cet article, l’auteur développe une étude détaillée des chants processionnaux en français depuis le milieu du siècle dernier. Si ces chants traditionnels de l’Église avaient au départ surtout une forme antiphonique, ils ont assez vite pris une forme responsoriale pour souligner la dimension de fête et accompagner les processions de toute l’assemblée, et au cours de la messe, l’entrée des ministres, puis les offrandes et enfin la communion. La publication des psaumes de Gelineau en français avant le Concile Vatican II favorisa leur emploi dans les processionnaux. La distinction faite entre les messes lues, chantées ou solennelles conduit au développement plus ou moins important de ces processionnaux. Avec le concile Vatican II, se développe l’emploi pour ceux-ci de cantiques et de tropaires. Dans l’esprit et la forme, ces derniers correspondent très bien aux processions qu’ils accompagnent mais ils ont du mal à s’imposer dans les assemblées, sans doute en raison d’une difficulté de mise en œuvre. De nombreuses publications explorées par l’auteur, en particulier Église qui chante, et la collection Kinnor (éd. Fleurus), montrent tout le travail de recherche mené par nombre de liturgistes et musiciens compétents, parmi lesquels il faut citer notamment le Père Joseph Gelineau. C’est ainsi que des « Propres » et nombre de cantiques et tropaires vont être composés. Mais avec le nouvel Ordo Missae, les chants processionnaux vont progressivement laisser place à des chants d’entrée, d’offrande ou de communion, certes toujours associés au rite qu’ils accompagnent, mais celui-ci étant davantage compris dans sa visée spirituelle que dans sa réalité concrète.

Un ministère dans et pour l’Église : la charge d’une abbesse et d’un abbé.

Maximilien Launay

L’étude théologique du Rituel de la bénédiction abbatiale permet de dégager l’identité du ministère particulier d’un abbé ou d’une abbesse. L’auteur montre, par son analyse systématique du rituel et de la prière de bénédiction, que ce sacramental donne à l’abbé les moyens spirituels « pour vivre sa charge par la sainteté de sa vie et la droiture de son enseignement », et lui permettre d’être signe au milieu de ses frères. Son autorité est d’ordre spirituel : il soutient la construction de la vie fraternelle et veille à ce que la communauté qu’il conduit soit signe du mystère et de l’appel universel à la sainteté. Cette autorité se distingue de la charge pastorale de l’évêque, pasteur propre d’une portion du peuple de Dieu : « alors que l’évêque a la charge d’être le sacrement du Christ-tête, l’abbé est sacrement du Christ-frère, qui au milieu de ses frères, doit maintenir la fraternité. » Ainsi la fonction abbatiale se fonde-t-elle davantage sur la triple mission sacerdotale, prophétique et royale reçue au baptême. La similitude entre le rituel de bénédiction d’un abbé et celui d’une abbesse autorise à penser que le ministère de cette dernière pourrait lui être semblable. Mais quelques différences dans la prière interrogent et montrent le chemin encore à parcourir « pour penser théologiquement la vie religieuse féminine ».

La dimension pascale de l’eucharistie à travers les enrichissements de la nouvelle traduction du Missel romain.

Pascal Thuillier

La célébration de la messe constitue bien le mémorial du sacrifice du Christ qui se donne en son Corps et en son Sang, perpétuant ainsi « le sacrifice de la Croix au long des siècles » comme le rappellent largement le concile Vatican II et le Missel romain issu de ce concile. La nouvelle traduction francophone de 2021, permet d’en redécouvrir davantage la portée et de la renouveler par les quelques changements de vocabulaire qui ont été intégrés. L’auteur les étudie particulièrement dans l’introduction au rite pénitentiel, dans l’invitatoire à la prière sur les offrandes, dans les acclamations de l’anamnèse et dans l’invitation à la communion. Cela n’introduit pas une autre théologie de l’eucharistie, mais souligne celle de Sacrosanctum concilium s’inscrivant dans la longue tradition de l’Église, et permet peut-être d’en mieux percevoir la dimension de mystère, à la suite d’Odo Casel.

Feuilleter cet extrait sur la nouvelle traduction du Missel romain

Chronique

Rentrée 2022 : une refondation de l’offre ISL.

Gilles Drouin

L'offrande eucharistique

Collection Célébrer - Vie reçue vie donnée

L'autel, lieu de célébration

autel visuel

Sur TV.catholique.fr

Qu'est-ce que l'anamnèse ?

Dimanche dans la ville : s'arrêter, écouter la Parole. Chaque semaine, une vidéo proposée par les dominicains de Retraite dans la ville.