Missel du prêtre, missel des fidèles ?

Le missel : Un livre pour servir la communion eucharistique.

En son origine, la liturgie eucharistique est la réponse à la recommandation du Seigneur lui-même : « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Dès ses commencements, la liturgie de l’Église est ainsi faite de paroles, de gestes et d’attitudes afin de faire mémoire de la mort et de la Résurrection du Christ. C’est-à-dire non seulement pour se souvenir d’un fait passé, mais surtout reconnaître que cet évènement nous fait vivre encore aujourd’hui. Pour cela, l’organisation rituelle des gestes et des paroles liturgiques procède du désir de ne rien perdre du Salut de Dieu, tel qu’il a été vécu, annoncé et manifesté par la Pâque du Seigneur. Cette transmission s’est réalisée, dans les premiers siècles, par une tradition vivante faite tout autant de coutumes, de prières écrites ou orales, de lectures qui se rassemblent progressivement jusqu’à constituer des ouvrages. Dès lors, il ne s’agissait plus de transmettre seulement une codification ou une norme à respecter, mais un art de la prière qui fait grandir la foi en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit.

Par la suite, cette action s’enrichit au point qu’elle demande plus qu’une simple fidélité à des règles ou la répétition d’un contenu. Elle devient « sacrement » ou, pour le dire autrement, des signes et des gestes humains vont manifester l’action même de Dieu pour les hommes. À côté des livres liturgiques, on éprouvera bientôt le besoin de rassembler ces gestes plus précieux encore dans des sacramentaires puis des cérémoniaux afin de les inscrire dans la pratique ordinaire de l’Église en prière. Célébrés au rythme de l’année liturgique, ces gestes sacramentels deviennent comme des bornes milliaires sur le chemin d’une vie chrétienne authentique. Progressivement, ces livres deviendront « missel » pour la messe ou « rituels », « pontificaux » pour les autres actes liturgiques. Ils seront non seulement dans la main de l’Église comme les témoins de sa foi, mais également dans celle du ministre qui préside à la prière d’une assemblée afin que celle-ci s’édifie comme un peuple de louange et d’adoration. Quant aux fidèles, ils en recevront leur part, depuis les livres de dévotion ou d’explications sur les rites jusqu’au « missel des fidèles » qui offriront à chacun de pouvoir faire de la liturgie une authentique source de vie spirituelle.

cathopic_1526744219286023Aussi, recevoir un livre liturgique est toujours une étape importante dans la vie de l’Église. Non seulement par le travail qui accompagne sa réalisation, mais également par ce qu’il va construire dans la vie d’une communauté chrétienne. Plus encore quand il s’agit du Missel romain, car ce livre touche à ce que l’Église reconnaît comme « la source et le sommet de la vie chrétienne » (LG 11). C’est ce qu’Henri de Lubac résume dans une formule bien connue et qui exprime la réciprocité du don que Dieu fait aux hommes : « L’Eucharistie fait l’Église, l’Église fait l’Eucharistie ».

Tout d’abord, le missel est souvent considéré avec justesse comme le livre de celui qui, évêque ou prêtre, préside à la prière de tous. Parce qu’il rassemble les formulaires liturgiques, les prières et les normes qui règlent la célébration, il demande un véritable discernement spirituel et pastoral par celui qui le met en œuvre. Comme le rappelle la Présentation générale du Missel romain :

L’efficacité pastorale de la célébration sera certainement accrue si les textes des lectures, des prières et des chants correspondent bien, dans la mesure du possible, et à l’état de préparation spirituelle et à la mentalité des participants. C’est ce qu’on obtiendra au mieux si l’on profite des multiples possibilités de choix qui vont être énumérées ci-dessous. Par conséquent, le prêtre, en organisant la messe, considérera davantage le bien spirituel du peuple de Dieu que ses inclinations personnelles. Il se rappellera en outre que ce choix des différentes parties devra se faire en accord avec tous ceux qui jouent un rôle dans la célébration, sans exclure aucunement les fidèles pour ce qui les concerne plus directement[1].

Les possibilités de choix cherchent donc à servir la prière de toute l’assemblée afin qu’elle s’enracine toujours plus dans le don que le Christ a manifesté dans sa mort et sa Résurrection. Cette synodalité est le reflet de cette « participation active, pleine et entière » (SC 14) qui est requise par la nature même de la liturgie. C’est ainsi que se réalisera le véritable principe du missel, son ministère : le « nous » de la prière du ministre appelle et manifeste la communion ecclésiale dans l’unique Corps du Christ, tête et membres unis dans un même acte de culte.

Ensuite, le missel est également le livre des fidèles qui célèbrent l’action de grâce, dans la diversité de leur condition baptismale. Ici, le chant peut être un exemple. Ainsi, parce que la liturgie repose sur un jeu multiple de paroles et de réponses entre les ministres, le chantre, la chorale et les fidèles, l’assemblée découvre sa place à l’intérieur du grand dialogue entre Dieu et son peuple. En répartissant les prises de paroles, éventuellement chantées, entre les différents membres d’une assemblée, le missel ne cherche pas seulement à donner voix à tous les participants, mais à les établir dans une même stature baptismale. Ainsi, écouter, chanter, parler, répondre, se lever ou s’agenouiller est de nature ministérielle afin de servir l’adhésion de tous à la Pâque du Seigneur, dont l’Eucharistie est le sacrement par excellence. Ils inscrivent corporellement cette profession de foi au cœur de la vie de tout croyant.

Qu’il soit improprement appelé le livre du prêtre ou déployé dans de multiples éditions à destination de tous les fidèles, le missel veut faire naître la prière eucharistique de l’Église. Elle ne peut être une prière isolée ou restreinte seulement à celui qui agit à l’autel, mais elle demande à devenir toujours plus la prière d’un peuple eucharistique. C’est-à-dire que l’Eucharistie soit vécue et célébrée comme la source et le sommet de toute la vie chrétienne. Non pour réduire cette dernière à la liturgie ou la prière, mais pour qu’elle soit irriguée de part en part selon la logique de la Grâce, celle du Don. Le missel est donc bien ainsi le livre de la messe, d’où il tire son nom. Puisqu’il contient ce qu’il faut pour célébrer la messe, ce livre singulier est tout autant le livre du ministre qui préside la messe que le livre du fidèle qui y participe, parce qu’il est le livre de la prière eucharistique de l’assemblée qui fait mémoire de la mort et de la Résurrection du Seigneur.

Article du SNPLS.

[1] PGMR 352 §1 & 2.

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