Laudato Si’, entre désert et jardin : des pistes pour le fleurissement dans la liturgie

Champ de pavots au coucher du soleil.

Cet article présente l’encyclique « Laudato Si’ » en lien avec la mission « Fleurir en liturgie » et suggère des pistes concrètes pour le fleurissement. Cette retranscription de l’intervention d’Elena Lasida donnée dans le cadre de la session nationale Fleurir en liturgie sur le thème « L’Alliance, entre désert et jardin » en novembre 2017 est encore riche d’enseignement aujourd’hui :

Je vais essayer de faire une présentation de Laudato Si’ pensée en résonnance avec ce qu’est votre mission liée à la question de l’art floral. Je ne sais pas faire de bouquets  mais j’admire les fleurs. J’apprécie énormément dans ma paroisse cette présence dans la célébration. Je vais parler de votre mission de l’extérieur, comme quelqu’un qui en bénéficie mais pas du tout comme un acteur. Je vais peut-être dire des choses qui ne vous semblent pas pertinentes mais j’ai trouvé intéressant cet exercice de croiser Laudato Si’ (la question écologique) avec la question des fleurs dans la célébration. Je vais vous présenter Laudato Si’ en vous posant des questions et-ou en  faisant parfois des propositions sur le lien qu’on peut faire autour de l’art floral et de la présence des fleurs dans la célébration.

Quand je songe à nos communautés chrétiennes et aux célébrations, je pense que votre mission, à travers les fleurs, est aujourd’hui un lieu central pour la conversion écologique. C’est vous qui, dans les célébrations, de la manière la plus explicite, y faites rentrer la nature. La question écologique est avant tout la question du lien entre l’être humain et la nature. Et vous, vous nous rappelez en permanence que la nature est là, parmi nous. C’est pour cela que je dis que votre mission dans la liturgie, dans les célébrations, votre mission dans l’Église, est, aujourd’hui, presque prophétique au regard de Laudato si. Vous pouvez véhiculer et aider cette conversion écologique d’une manière toute particulière. C’est ce que je vais essayer de vous exposer et vous me direz si cela correspond à votre travail concret dans les communautés.

Laudato Si’ : principes généraux

C’est un texte historique qui occupe une place particulière et singulière dans les textes de l’Église, et notamment dans la Pensée sociale de l’Église. C’est la première encyclique qui est consacrée entièrement à la question écologique et présentée comme une encyclique sociale. C’est très important de le noter pour comprendre le message de l’encyclique. Quand on dit « écologie », on pense à l’environnement, aux ressources naturelles, aux fleurs et aux animaux. On ne pense pas nécessairement à la question sociale. Le pape nous dit que la question écologique est une question sociale. C’est la raison pour laquelle l’encyclique a toute sa place dans la doctrine sociale de l’Église. C’est déjà une manière particulière que de regarder l’environnement, la nature partir du lien avec le social, avec l’humain.

C’est un texte particulier et nouveau au niveau de la forme. Trois caractéristiques dans ce texte :

1ère nouveauté formelle : le langage

C’est un langage accessible qui n’utilise pas le jargon habituel de l’Église. Il peut donc être lu aussi par les non chrétiens. Le texte est également fondé du point de vue scientifique Le grand défi pour l’Église aujourd’hui c’est d’être comprise par tout le monde, dans un langage de tous les jours. On se plaint qu’il y a de moins en moins de monde dans nos églises avec des personnes de plus en plus âgées mais il y a véritablement un problème de langage. Si nous ne parlons pas le langage du monde comment allons-nous prétendre que le monde vienne à nos événements, à nos célébrations ? L’énorme nouveauté au-delà du contenu est donc le langage.

2ème nouveauté : la structure du texte

L’encyclique comprend 6 chapitres. Ceux-ci sont construits sous forme de dialogue entre l’Église et le monde. Un chapitre qui parle plutôt du monde suivi d’un chapitre qui parle plutôt de l’Église :

Premier chapitre : ce qui se passe dans notre maison (dans notre monde au niveau de l’écologie) ;

Deuxième chapitre : l’Evangile de la création (l’Église réagit par rapport à ce qui se passe dans le monde) ;

Troisième chapitre : la racine  humaine de la crise écologique (on revient au monde, quelle est la cause de cette crise écologique ?) ;

Quatrième chapitre : une écologie intégrale, c’est la notion clé de Laudato Si’. Cette notion est fondée sur tous les principes de la pensée sociale de l’Église (on revient sur l’Église) ;

Cinquième chapitre : quelques lignes d’orientation et d’action (on revient au monde : que fait-on maintenant. On a vu ce qui se passe, quelles sont les pistes d’action ?) ;

Sixième chapitre : éducation et spiritualité écologique (on revient à la question chrétienne et spirituelle pour finir).

Ce document est construit comme un dialogue. Ce n’est pas l’habituelle logique « voir, juger, agir » qui façonne nos textes. Il est écrit sous forme de dialogue. L’environnement et l’écologie sont abordés dans l’encyclique comme une question concernant la relation. L’environnement est défini par le Pape comme la relation que nous avons avec la nature. L’environnement n’apparaît pas comme le cadre naturel qui nous entoure mais comme la relation que nous avons avec tous les êtres vivants. Et l’encyclique propose d’établir un type particulier de relation : le dialogue. Laudato Si’ est une invitation au  dialogue entre l’humain et la nature. La structure du texte est dialogique. Elle peut dérouter car le texte n’est pas construit avec une introduction, un développement et une conclusion.

3ème nouveauté : le nombre important de références …

… aux travaux d’autres églises locales d’Amérique latine, du sud, d’Asie et quelques pays du nord. Cette pensée venant du haut est nourrie par le bas, elle a été construite par les communautés locales et le pape révèle comment il a été inspiré par les travaux faits dans les communautés locales et leurs contextes particuliers.

Le contenu de Laudato Si’ et quelques liens avec votre mission

De ma lecture de Laudato Si’, je dégagerai trois principes de base :

  • Tout est lié ;
  • Tout est donné ;
  • Tout est fragile.

Pour chacun de ces trois principes, j’aborderai trois points :

  • Une définition ;
  • Lien entre le principe et les fleurs (signe de référence à la nature en général) ;
  • Lien avec la mission en reprenant les termes de la session : « Alliance », « Désert », « Jardin ».

Tout est lié

Pourquoi est-ce un principe clé dans l’encyclique ? La question écologique pour le Pape n’est pas qu’une question de gestion des ressources naturelles ; que le pétrole disparaît et qu’il faut le remplacer par des énergies renouvelables ; que le climat se réchauffe ou que la biodiversité disparaît. Ce ne sont pas que des choses très techniques. On considère la nature comme une ressource naturelle qui nous donne de la matière pour pouvoir vivre. Le Pape nous dit que la nature ce n’est pas que des ressources naturelles au service de l’humain. La nature a une valeur en soi. C’est révolutionnaire pour nous chrétiens. Chaque être vivant de la création, qu’il soit humain, animal ou végétal, a une valeur en soi. Leur valeur n’est  pas due au fait qu’ils sont au service de la vie humaine. La nature en général, chaque être vivant a une valeur en soi. Dans la tradition chrétienne, nous avons, avec raison, mis l’humain au centre de la création mais à un tel point que tout le reste de la création est considéré au service de l’humain. Et donc seul l’humain compte. Certes, l’humain occupe une place centrale. Mais le Pape nous dit « attention », tous les autres êtres vivants ne sont pas uniquement au service de l’humain, ils ont également une valeur en soi. Cela veut dire aussi que la valeur de chaque être vivant dépend des autres êtres vivants. Et c’est là qu’apparaît la question du tout est lié. La vie humaine dépend de la vie des autres êtres vivants. Mais l’inverse est également vrai. La vie des animaux, des végétaux, de la création dépend de nous aussi, humains. Il y a une relation d’interdépendance structurelle entre tous les êtres vivants. Ce n’est pas simplement la nature au service de l’humain. Entre tous les êtres qui constituent la création, y compris les humains, il y a une relation d’interdépendance. C’est un changement radical au niveau anthropologique. C’est une invitation énorme à revisiter l’anthropologie chrétienne. Ce n’est pas uniquement l’homme au centre et tout le reste au service de l’humain et donc une relation instrumentale avec tous les autres êtres de la création. Pas de relation instrumentale entre l’homme et la nature, nous dit le Pape mais une relation d’alliance entre l’homme et la nature.

Premier terme de la session : « Alliance »

Mot que nous utilisons très volontiers pour parler des relations humaines. Mais le Pape nous dit qu’avec les autres êtres vivants, il faut aussi une relation d’alliance. Evidemment, elle ne va pas prendre la même forme qu’entre les humains. Il ne s’agit pas de personnifier les fleurs ou les animaux. Ce n’est pas le même type de relation, ce n’est pas le même type d’alliance. Mais avec tous les êtres de la création, on peut aussi établir des relations d’alliance. Voilà une première chose qui est énorme. Le Pape ouvre un chantier à creuser pour les théologiens et pour tous les chrétiens car il nous faut déplacer ces schémas que nous avons dans la tête qui sont parfois figés et dire que dans la relation avec la nature, il se joue quelque chose d’essentiel qui n’est pas uniquement d’ordre physique.

Tout est lié : la relation entre l’humain et la nature, entre toutes les dimensions de la vie, les dimensions émotive, économique, politique, sociale. Tout cela doit être lié, tout cela est en communication. Cela va à l’encontre de la manière dont nous vivons aujourd’hui que ce soit en église ou en société. Tout est bien séparé : il y a d’un côté la politique sociale, d’un autre la politique économique, d’un autre coté l’éducation, d’un autre la santé. Chacun a son ministère, ses guichets, ses affaires, ses experts. Chacun est roi dans son domaine. Le Pape dit le contraire : on ne peut pas faire de l’économie sans la santé ; on ne peut pas faire de la santé sans la politique, on ne peut pas faire de la politique sans l’éducation. Tout cela est lié.

Regardez nos églises. Chacun a sa mission, « ma mission à moi et que personne ne vienne se mêler de ma mission » ! «Moi c’est la catéchèse, moi la liturgie, moi les fleurs, moi la solidarité. Laissez-moi faire, je sais faire !» Le Pape nous dit que cela ne doit pas se passer comme cela. Tout est lié. Cela veut dire que la liturgie doit se croiser avec la solidarité, la solidarité avec la catéchèse, etc.  Cela veut dire que l’écologie aujourd’hui – c’est là qu’intervient la notion d’écologie intégrale – n’est pas qu’un problème des ressources énergétiques. L’écologie dans une église ce n’est pas uniquement de savoir le type d’énergie que l’on utilise pour le chauffage ; ce n’est pas remplacer les gobelets en plastique par des gobelets recyclables ; ce n’est pas uniquement le tri des déchets. Cela, il faut le faire et c’est déjà des chantiers énormes. Mais l’écologie ce n’est pas uniquement cela. L’écologie c’est relier toutes les dimensions de la vie d’une communauté chrétienne et les faire communiquer, les faire entrer en dialogue. C’est là le défi majeur de l’écologie. C’est une révolution culturelle. C’est le terme que le pape utilise : l’écologie intégrale c’est une révolution culturelle.  Cela veut dire que cela va à l’encontre de la manière dont nous sommes aujourd’hui habitués à vivre, à agir chacun dans son domaine, dans son expertise.

Quel lien avec les fleurs ?

Dans la vie d’une communauté, notamment dans la célébration, les fleurs apportent un langage nouveau qui ne passe pas par la parole (dans une célébration nous parlons beaucoup, nous chantons). Les fleurs sont un langage symbolique. Nous vivons dans un monde de misère symbolique. Nous avons besoin de symboles. Nous voulons tout traduire en termes de concepts, en termes de discours, de mots. Plus que jamais, nous avons besoin de symboles pour dire ce à quoi nous tenons, ce à quoi nous donnons de la valeur, ce qui nous fait tenir ensemble. Les symboles sont importants pour dire le sens de notre vie. Le langage symbolique est absolument essentiel pour dire la foi, qui est toujours difficile d’enfermer dans des mots. Les fleurs donnent un langage nouveau à nos célébrations, elles participent de la célébration avec un langage symbolique.

Les fleurs ce n’est pas uniquement de la décoration, ce n’est pas simplement pour faire beau. C’est participer à la célébration avec un langage différent, c’est dire ce que l’on est en train de célébrer ensemble avec autre chose que des mots et des chants. Cela permet de dire l’indicible. Au niveau de la foi, on sait combien il est difficile de mettre des mots à l’indicible, à la transcendance, à l’expérience spirituelle. Les fleurs sont de l’ordre de la présence, du langage et non du décor. Les fleurs devraient aider à créer des alliances dans une communauté chrétienne. Comment ? L’alliance, c’est relier, c’est articuler, c’est croiser. Donc les fleurs peuvent nous aider à lier ce que nous célébrons avec le reste de la vie ; mettre en alliance la vie de la nature avec l’expression spirituelle ; l’expérience de foi avec le reste de la vie.

Se demander aussi comment vous participez dans la préparation des célébrations. Est-ce que simplement vous vous occupez à faire un beau bouquet de fleurs pour la célébration ou est-ce que vous avez une part active dans la préparation ? Parce que si justement les fleurs c’est une manière de dire avec un autre langage ce qu’on va célébrer, vous êtes une partie essentielle dans la préparation de la célébration. Par exemple, chaque texte de l’évangile renvoie à des couleurs. Se dire alors : ce texte à quelle couleur me fait-il penser ? Et en fonction du partage, on décide de faire un bouquet où cette couleur sera dominante, de l’imaginer ensemble avec les personnes avec qui nous préparons la célébration. A travers les fleurs, on peut faire dire plein de choses différentes. On fait participer la nature à la célébration. Nous pouvons aider à ce dialogue entre l’humain et la nature. Mais, il faut créer l’espace pour que cela soit possible. Cela dépend de nous mais aussi de toute la paroisse. Cela dépend de l’équipe liturgique, du curé, de toutes les personnes qui animent la vie de la paroisse. Ce n’est pas gagné mais Il y a là un combat qui vaut la peine de porter et nous pouvons dire que c’est le Pape François qui nous le demande.

Tout est donné

Principe clé, fondamental de l’encyclique. Le pape a des mots très forts au niveau symbolique aussi, il dit que la clameur de la terre et la clameur des pauvres, c’est la même chose. La terre crie de douleur à cause de la crise écologique. C’est une terre qui est en souffrance, qui est épuisée, abîmée, dégradée. Cette clameur de la terre est la même que la clameur des pauvres. Or la première chose à faire avant de voir comment réparer tout ce mal fait à la terre, c’est de commencer par reconnaître que cette terre nous a été donnée.

La première chose à faire aujourd’hui par rapport à cette nature en souffrance c’est de nous reconnaître comme bénéficiaires d’un cadeau énorme que nous avons reçu et que nous n’avons pas mérité, que nous n’avons pas acheté. La terre ne nous appartient pas. Et pourtant, regardons comment nous nous conduisons. La terre est devenue une propriété privée. On s’en est approprié pour mieux la gérer. Mais ce faisant, elle est devenue une ressource à notre service. Le Pape nous invite à la « conversion » écologique : c’est une question spirituelle et non seulement une question matérielle. Il faut nous rappeler que cette terre ne nous appartient pas, elle nous a été donnée, nous ne pouvons donc pas faire n’importe quoi avec cette terre et c’est à partir de là que nous pourrons commencer à voir comment établir une relation nouvelle avec elle. Cela veut dire retrouver le sens de la gratuité dans ce monde où tout s’achète et tout se vend, où tout se mérite.

C’est cela aujourd’hui la logique de notre monde, même à l’intérieur de l’Église. Il faut mériter de faire certaines missions, il faut mériter à pouvoir parler. Le Pape dit que l’écologie intégrale nous permet de retrouver cette expérience première, majeure, humaine, qui est celle de la gratuité.

Donc tout est donné. On gagne en liberté quand on fait l’expérience de la gratuité. La gratuité nous rend libres Quand on est propriétaire de quelque chose, on le défend car on se sent le maître. Par rapport à ce qui nous est donné, on est beaucoup plus libres. Libre ne veut pas dire irresponsable, libre veut dire que je ne vais pas le garder pour moi. Si ça nous a été donné, ça nous appartient à tous. Cette idée rejoint un des grands principes de la Pensée sociale de l’Église qui est « la destination universelle des biens ». Ce principe considère que tous les biens de la terre ont été donnés à toute l’humanité. Et si l’Église reconnaît le droit de propriété privée sur ces biens c’est pour mieux les gérer.

Mais l’Église le dit très clairement (voir Vatican II) : le principe de destination universelle des biens est premier sur le principe du droit à la propriété c’est-à-dire qu’on ne peut pas, selon l’Église, empêcher quelqu’un d’accéder à un bien s’il risque de mourir de faim. Cette personne aurait le droit, selon le principe de la destination universelle des biens, de « voler », c’est-à-dire de prendre un bien qui appartient à une autre personne, si elle risque de mourir. Car les biens appartiennent à tous avant d’appartenir à celui qui les gère. C’est énorme ce que dit l’Église. Dans le « tout est donné », le Pape nous rappelle que tous les biens dont nous bénéficions aujourd’hui sur terre, tous ces biens nous ont été donnés et qu’ils ne nous appartiennent pas.

Quel lien avec les fleurs ?

Les fleurs sont quelque chose qui peuvent facilement exprimer cette gratuité et cette création donnée. A la différence des autres ressources naturelles, les fleurs ne sont pas utiles, ne servent à rien, leur finalité première ce n’est pas de nourrir, c’est la beauté. Les fleurs, plus que d’autres objets de la nature, permettent de nos rappeler cette création qui nous a été donnée, cette expérience de gratuité. Elles sont un rappel permanent que la terre ne nous appartient pas.

Les fleurs nous invitent à faire cette expérience de la gratuité. Je vois des compositions qui suscitent mon admiration, on voit un vrai savoir-faire. Mais ce que j’aime dans un bouquet de fleurs, ce n’est pas sa perfection technique,  son caractère sophistiqué, la maîtrise et le « savoir-faire », mais au contraire, la manière dont le bouquet me rappelle la gratuité de la création. Cela peut être quelque chose de très simple, pas forcément très élaboré. La composition florale dans une célébration doit être évaluée par ce qu’elle transmet. Un bouquet qui n’est pas très abouti techniquement mais qui évoque, qui provoque un sentiment, qui nous rappelle justement que nous ne pouvons pas tout maîtriser, pour moi c’est un bouquet beaucoup plus réussi. Se poser la question : « Que provoque cette présence florale dans la célébration ? » avant de se demander si elle est parfaite et si elle correspond bien à la technique apprise.

Deuxième terme de la session : « Désert »

C’est une expérience spirituelle majeure que celle du désert. Le désert est la condition sine qua non pour pouvoir recevoir un don. Quand on est dans le tout plein, on n’apprécie pas un cadeau. Pour l’apprécier, il faut avoir un manque, sinon ce qu’on nous donne c’est du surplus. On apprécie le don quand on a fait en nous ce vide. Quand on fait l’expérience d’une perte, d’un manque, c’est à ce moment-là qu’on apprécie un don et qu’on peut l’accueillir. Quand on est dans la plénitude, on est déjà plein. Le désert c’est cela, l’expérience du manque, du vide et, pour moi, c’est la condition pour recevoir le don.

Le lien avec la nature, avec la terre, mettre les mains dans la terre, toucher les pétales d’une fleur, c’est une expérience qui touche les sens, l’émotion, le physique, le spirituel et qui n’est pas uniquement d’ordre matériel. Le travail avec la terre, avec la nature est quelque chose qui aide à se reconstruire. La terre parle à tout le monde. Toucher la nature permet de se reconstruire. Ce n’est pas une expérience intellectuelle. Admirer un grain qui germe c’est magnifique. Il y a beaucoup d’expériences, avec des immigrés, avec des personnes en situation d’exclusion, de handicap, etc. qui proposent le travail avec la terre pour les aider à se remettre debout. Cette mission autour des fleurs dans l’église, ne pourrait pas être associée aux actions de solidarité ? Les fleurs pourraient être un lieu d’accueil des personnes qui sont en situation de fragilité (immigrés, pauvres, malades, …). Permettre à ces personnes de rentrer en lien avec la nature en participant à l’élaboration des bouquets, c’est une manière de les faire sentir une force de vie qui nous dépasse.  Le bouquet devient non seulement une manière d’accompagner les célébrations mais aussi les personnes qui sont dans le désert. La mission florale devient alors une mission sociale. A ceux qui sont dans le manque, on ne comble pas leur manque, mais on leur donne la possibilité de « toucher la vie ».

Tout est fragile

Notre maison commune, la terre, est en souffrance. Elle est extrêmement fragile. Toute l’encyclique parle de la fragilité de cette terre. Elle est épuisée, dégradée, abimée au point qu’aujourd’hui, elle compromet les possibilités de vie des générations futures. Et le Pape dit, dès les premières pages de l’encyclique, que cette fragilité de la terre n’est pas une fragilité à réparer. Elle peut être source de nouveauté. C’est ainsi que dès les premiers articles, il cite l’épître aux Romains 8, 22 « la création gémit dans les douleurs de l’enfantement ». Il fait le lien entre ce qui se passe aujourd’hui au niveau écologique et les douleurs de l’enfantement. Les douleurs de l’enfantement sont des douleurs terribles mais elles permettent la naissance de quelque chose de nouveau. Ce sont des douleurs que, plus que d’autres, on accepte d’avoir parce qu’on sait qu’elles sont associées à la naissance de quelque chose de nouveau. Et le pape nous dit que les douleurs de la terre aujourd’hui sont des douleurs d’enfantement.

Aujourd’hui cette fragilité, cette crise écologique, que l’on voit partout est une promesse d’une création nouvelle, une promesse d’une nouvelle manière de vivre ensemble sur terre. C’est énorme de dire que cette fragilité n’est pas à réparer mais à féconder. Pour répondre à la crise écologique, il ne s’agit pas de remplacer uniquement le pétrole par des énergies renouvelables, cela il faut le faire. Mais le problème n’est pas que technique. Il est beaucoup plus fondamental, il interroge nos modes de vie et la finalité même de notre vie. Le Pape nous invite à chercher une nouvelle définition du « progrès » parce que dans nos sociétés, on ne pense le progrès qu’en termes de bien-être matériel.

Le progrès devrait se mesurer plutôt par la qualité des relations que nous avons les uns avec les autres. C’est la qualité relationnelle qui nous fait vraiment vivre  plutôt que l’accès aux biens. Les biens nous permettent tout juste de « survivre ». Il faut définir autrement le progrès. On peut le faire aujourd’hui parce que le modèle actuel de progrès n’est plus viable. On ne change pas lorsque tout va bien. On peut se poser la question de faire autrement lorsque cela ne marche pas. La fragilité actuelle de la terre devrait être, selon le Pape, une opportunité pour inventer du nouveau. Profitons de cette fragilité extrême pour inventer une autre manière de vivre : de nous déplacer, de consommer, de produire, de construire nos maisons, de vivre en communauté, une autre manière aussi de faire Église.

Quel lien avec les fleurs ?

Les fleurs sont très fragiles, éphémères. Elles sont signes de fragilité extrême et nous rappellent cette expérience première de fragilité. Cela va aussi en opposition avec la recherche de perfection dans le bouquet. Si le bouquet reste  imparfait, il nous rappelle encore plus l’expérience de fragilité.

Troisième terme de la session : « Jardin »

Il est un lieu que l’on cultive, où l’on fait naître des fleurs et autres fruits. Le lien avec le jardin serait une invitation à chercher à faire le lien entre ces fleurs que l’on met au milieu de la célébration et leur origine : comment ont-elles été produites, cultivées ? D’où viennent-elles ? Est-ce qu’on a agressé la nature avec des produits chimiques pour les produire ? Est-ce qu’on a respecté la dignité des travailleurs dans les entreprises qui les produisent et les commercialisent ? Penser par exemple, à créer un jardin partagé dans la paroisse pour cultiver ensemble, avec la communauté, les fleurs qui seront destinées à la célébration.  Cette manière de faire de « l’art floral » serait l’occasion de créer de nouveaux liens dans la communauté. Les jardins partagés sont des lieux qui créent du lien entre les personnes qui les travaillent. Et si ce n’est pas possible, on peut essayer d’acheter des fleurs qui proviennent des producteurs locaux (on favoriser le développement local) et des fleurs surtout de saison (on rappelle le temps cyclique de la nature). Mais on peut également organiser une promenade communautaire de la paroisse pour aller cueillir les fleurs pour la célébration du dimanche. Le lieu d’où viennent ces fleurs est aussi important que leur présence au milieu de la célébration.

Intervention d’Elena Lasida, chargée de mission au pôle « Écologie et société » au sein de la Conférence des évêques de France

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