La miséricorde dans l’Islam

21 Mars 2015: La chorale islamo-chrétienne Le Temps de la Miséricorde lors du Premier Rassemblement islamo-chrétien "Ensemble avec Marie" à la basilique de Longpont-sur-Orge (92) France. March 21th, 2015: First muslim-christian gathering "With Mary" in Longpont-sur-Orge basilica (92) France.

21 Mars 2015: La chorale islamo-chrétienne Le Temps de la Miséricorde lors du Premier Rassemblement islamo-chrétien « Ensemble avec Marie » à la basilique de Longpont-sur-Orge (92).

Par Christian Salenson, Prêtre du diocèse de Nîmes, membre et ancien directeur de l’ISTR de Marseille

La miséricorde est très présente dans l’islam aussi bien dans le Coran que dans la sunna (tradition). Elle fait partie des « Très Beaux Noms de Dieu ». Le musulman se confie en sa miséricorde et est invité lui-même à se montrer miséricordieux. Elle participe à la Parole commune des juifs, des chrétiens et des musulmans.

Le pape François a voulu une année jubilaire extraordinaire pour « contempler le mystère de la Miséricorde ». L’Église le contemple aussi en ces autres croyants qui confessent leur foi en la miséricorde1 . L’Église qui « ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les religions »2, se réjouit que les musulmans « Avec nous adorent le Dieu unique et miséricordieux »3.

Le terme miséricorde

Le terme de miséricorde est très présent dans le Coran. À une exception près4, les cent quatorze sourates commencent toutes par « Au nom d’Allah le Tout Miséricordieux, le Très miséricordieux ». La racine Rhm est présente trois cent trente-neuf fois. Comme le terme hébreu Rahum, il a une connotation féminine et renvoie aux entrailles maternelles. La Bible ne dira-t-elle pas de Dieu qu’il a des entrailles de miséricorde ? Le mot français de miséricorde a hélas, en langage courant une connotation quelque peu condescendante et contrit alors même que l’étymologie signifie un « cœur sensible à la misère »5 .

« Le Miséricordieux »

Dans le Coran, parmi les noms de Dieu, se trouvent deux termes : al Rahman, le Très miséricordieux et aussi par al Rahim, le tout miséricordieux. Al Rahman, peut-être simplement traduit par « Le Miséricordieux »6, et selon Ghazzali ne peut être attribué qu’à Dieu seul. On distingue parmi les noms de Dieu ceux qui désignent des qualités d’essence comme Al Rahman7 et ceux qui désignent des qualités d’action de Dieu comme al Rahim . Ainsi on a deux acceptions, l’une renvoie à l’être même de Dieu et l’autre à son agir8 . Là s’engage un dialogue positif avec la révélation chrétienne.

La miséricorde, expression de l’être même de Dieu

Le cardinal Kasper, fait remarquer que « la miséricorde ne peut pas être considérée comme un attribut divin… placé après les attributs qui découlent de l’être métaphysique de Dieu… La miséricorde est bien plutôt l’expression de l’être même de Dieu qui est amour »9. Ainsi chrétiens et musulmans – et juifs- s’accordent à dire que la miséricorde avant de désigner un agir de Dieu définit son être même. Ce qui faisait dire à Jean-Paul II : « Chers musulmans, mes frères, les chrétiens, tout comme vous, nous cherchons le fondement et le modèle de la miséricorde en Dieu lui-même.10 » Si Dieu est Le Miséricordieux, alors il faut en conclure que la miséricorde est au-dessus de tous les attributs de Dieu, y compris de sa justice. La Miséricorde c’est la manière de Dieu de pratiquer la justice.

Des signes tangibles de la miséricorde

La miséricorde de Dieu se donne à voir dans une multitude de signes : les éléments de la création comme le vent11 ou la pluie : « C’est lui qui fait tomber l’ondée lorsque les hommes sont désespérés… il est digne de miséricorde »12. « Dans sa miséricorde, il a disposé pour vous la nuit pour que vous vous reposiez et le jour pour que vous recherchiez ses bienfaits »13. Des hommes sont des miséricordes : Moïse, Mohammed14 , et aussi Jésus comme Dieu en fait la promesse à Marie : « Nous ferons de lui un signe pour les hommes, une miséricorde venue de nous. Le décret est irrévocable. »15

La foi en la miséricorde de Dieu

Le musulman se confie dans la miséricorde de Dieu. En disant la Fatihah, dix-sept fois par jour, il invoque « Le Miséricordieux » ! Le pèlerin qui se rend à La Mekke dit cette prière : « Je viens à toi espérant en ta miséricorde, me plaignant de la dureté de mon cœur, l’âme oppressée… Ô très miséricordieux, fais-nous goûter la fraîcheur de ta clémence et la douceur de ton pardon ». Et au moment de la sépulture, on implore en ces termes : « Pardonne lui, fais lui miséricorde élargis lui l’entrée ; Lui, il a besoin de ta miséricorde et toi tu peux te passer de le châtier ».

Appelé à devenir le reflet de la miséricorde de Dieu

Le musulman doit vivre de cette miséricorde envers ses proches, parents, enfants, époux et envers toutes les créatures, y compris les animaux, en faisant preuve de compassion et envers les pécheurs en étant indulgent. Comme le dit Christian de Chergé, « l’homme n’a pas d’autre fonction dans l’univers que d’être le reflet de la présence miséricordieuse de son Créateur ».16

« Venons-en à une parole commune entre vous et nous », dit le Coran17 . Cette parole commune est offerte aux uns et aux autres. Plutôt que de creuser le fossé des différences, juifs chrétiens et musulmans peuvent contempler le mystère qui les unit : celui de la Miséricorde de Dieu et en témoigner. Christian de Chergé faisait remarquer que « Le monde serait moins désert si nous pouvions nous reconnaître une vocation commune, celle de multiplier au passage les fontaines de miséricorde ».18

 

  1. FRANCOIS,Miséricordiae vultus, bulle d’indiction du jubilé de la Miséricorde, n° 23.
  2. Nostra Aetate, n° 2
  3. Lumen Gentium n° 16
  4. Sourate n°9
  5. Alain REY,Dictionnaire historique, art, Miséricorde
  6. Denise MASSON,Le Coran, Ed de la pléiade. Gallimard. Note clé.
  7. Azzedine GACI,L’islam et la miséricorde
  8. Denise Masson fait remarquer que cette distinction ne doit pas être durcie, chacun des deux termes pouvant se déplacer.
  9. Cardinal Walter KARPER, La Miséricorde, notion fondamentale de l’Évangile, Clé de la vie chrétienne, EdB, coll. Théologia, avril 2015, p. 94
  10. JEAN-PAUL II, déclaration de Mindao, aux Philippines, Documentation catholique, n° 1804, 1981, p. 276.
  11. Coran 7,57 : C’est lui qui déchaîne les vents comme une annonce de sa miséricorde.
  12. Coran 42, 28.
  13. Coran 28, 73
  14. Coran 21, 107
  15. Coran 19,21

 

Bibliographie

JEAN-PAUL II, Encyclique, Dieu riche en Miséricorde.

FRANÇOIS, Misericordiae vultus, Le visage de la miséricorde, bulle d’indiction du jubilé extraordinaire.

Le Coran, Présentation et traduction Denise Masson, La Pléiade, Gallimard.

Christian DE CHERGE, L’invincible espérance, Bayard, 1996, p. 67-108.

Denis GRIL, « La miséricorde dans le Coran et la Sunna » revue Chemins de Dialogue, n° 43, p. 171-177.

Walter KASPER, La miséricorde, EdB, 2015.