Faire son deuil ? Approches du processus

7 octobre 2015 : Messe de funérailles. Rite de la lumière, qui consiste à prendre la flamme du cierge pascal pour allumer les cierges qui entourent le cercueil. Egl. Saint-Jean-de-Montmartre. Paris (75), France. October 7th, 2015: Funeral mass. Church of St-Jean-de-Montmartre, Paris, France.Les équipes paroissiales qui rencontrent les familles en deuil le savent : la perte d’un être cher est une épreuve déstabilisante, affectant l’équilibre personnel et les relations sociales. Il importe de « faire son deuil » pour le dire avec cette expression courante qui désigne le processus psychologique par lequel se met peu à peu en place un nouvel équilibre. Le dialogue avec les personnes endeuillées, la préparation de la célébration, la célébration elle-même peuvent contribuer à ce processus. Mais de quoi s’agit-il plus précisément ?

Le processus de deuil est souvent décrit en plusieurs étapes. Sa durée varie selon les individus et les contextes. Chacun doit réapprendre à vivre autrement, sans oublier son proche mais en assimilant les conséquences de sa perte et en visant une reconstruction qui ne sera jamais un retour à la stabilité connue avant l’épreuve mais opérera un nouvel équilibre. Pour décrire ce processus, des modèles ont été largement diffusés, tels celui d’Élisabeth Kübler-Ross décrivant des étapes successives : déni, colère, marchandage, dépression, acceptation ; mais des recherches récentes proposent des approches plus nuancées.

Modèles classiques : les quatre étapes successives du deuil

Traditionnellement la psychologie identifie quatre étapes successives que chacun doit traverser comme un chemin en apparence bien balisé.

  1. Choc et déni : À l’annonce du décès, la personne endeuillée peut ressentir un choc intense, parfois décrit comme une « sidération », à savoir une forme de paralysie émotionnelle où la réalité de la perte est difficile à accepter. « Ce n’est pas possible ». Cette réaction initiale sert de mécanisme de protection contre l’intensité de la douleur.
  2. Déstabilisation : Une fois la réalité de la perte intégrée, des sentiments tels que la tristesse profonde, la colère, la culpabilité ou la révolte peuvent émerger. Cette phase est marquée par une instabilité émotionnelle où l’absence de l’être cher est ressentie de manière aiguë. Elle prend parfois les allures d’une dépression mais en réalité le ressenti opère un passage nécessaire et « normal », où s’entremêlent des sentiments ou attitudes apparemment contradictoires. Ces réactions permettent de traverser le deuil.
  3. Adaptation : Il faut du temps, des semaines, des mois, pour que ce temps commence à laisser place à la troisième étape. Progressivement, la personne commence à s’adapter à la vie sans le défunt. Elle réorganise son quotidien, trouve de nouveaux repères et commence à reconstruire son univers personnel et social. La perte devient plus supportable.
  4. Rétablissement : Cette dernière étape est caractérisée par une réintégration dans la vie quotidienne, avec la capacité de faire des projets et de trouver un nouveau sens à la vie, tout en conservant le souvenir de l’être perdu.

(Source : Elizabeth Kübler-Ross, “Les derniers instants de la vie”, 1969 et l’actualisation de son modèle par divers chercheurs)

 

Approches contemporaines du deuil :

En réalité, ce processus de reconstruction est plus ou moins long et compliqué selon les personnes, leur fragilité ou leur capacité de résilience (selon l’expression popularisée par Boris Cyrulnik), les circonstances du décès et la force du lien avec la personne disparue. De plus l’ordre des étapes varie et le processus n’emprunte pas toujours un tel itinéraire prédéfini : il peut être fait d’avancées, de longues haltes et même de retours en arrière inattendus. 

Les recherches actuelles soulignent donc que le deuil n’est pas un processus linéaire et universel. Des modèles tels que le “Dual Process Model” de Stroebe et Schut mettent en avant l’oscillation entre deux types de processus :

  • Orientation vers la perte : Concentration sur les émotions liées à la perte, comme la tristesse et le manque.
  • Orientation vers la restauration : Adaptation aux changements de vie, engagement dans de nouvelles activités et relations.

Ce modèle reconnaît la flexibilité et la variabilité des réactions de deuil, permettant une adaptation plus personnalisée aux besoins de chacun. C’est là que l’écoute, la proximité dans la durée sont essentiels, car cela permet de « mettre des mots sur les maux » et de soigner les blessures. 

(Source : Stroebe et Schut, Dual Process Model, 1999)

 

Les facteurs qui influencent le processus

Le cheminement du « travail de deuil » dépend de plusieurs éléments :

  • Le lien avec le défunt : plus la relation était forte, plus le deuil peut être intense.
  • Les circonstances du décès : une mort soudaine ou violente rend souvent le deuil plus complexe.
  • Le soutien social : l’aide d’amis, de proches ou de groupes de parole peut soulager l’endeuillé.
  • Les ressources personnelles : la résilience, c’est-à-dire la capacité à rebondir face aux épreuves, joue un rôle clé.

(Source : Boris Cyrulnik, “La résilience : l’art de naviguer dans les torrents”, 2013)

Quand le deuil devient problématique voire pathologique

Mais parfois la plongée est si violente que la personne reste au fond de l’abîme et ne peut s’en sortir seule. On parle alors de deuils pathologiques au sens où la reconstruction par soi-même devient impossible. Si cette incapacité à accepter la perte subsiste trop longtemps, occasionnant une douleur émotionnelle persistante et une difficulté durable à reprendre une vie normale, une intervention professionnelle est alors recommandée pour accompagner la personne dans son cheminement.

(Source : CN2R – Centre National de Ressources et de Résilience, “Le trouble de deuil prolongé”, 2023)

 

Ce qu’il faut retenir

Le deuil est un processus nécessaire, jalonné d’émotions parfois contradictoires. Même si les modèles théoriques peuvent aider à mieux comprendre cette expérience, chaque individu le vit à sa manière. La célébration à l’église sera vécue différemment selon l’étape où chacun en est. Par sa symbolique, elle déploie  un itinéraire qui n’occulte en rien le processus psychologique mais offre les ressources de la foi pour soutenir les personnes dans le déplacement intérieur qu’elles ont à vivre.