La pastorale sacramentelle et liturgique en France (1943-2023)

Où en est la pastorale sacramentelle et liturgique en France ? Lors du colloque organisé les 23-25 novembre 2023 par l’Office national de la Conférence épiscopale italienne pour le soixantième anniversaire de Sacrosanctum concilium, Bernadette MÉLOIS , Directrice du Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle (SNPLS) de la Conférence épiscopale française, s’est attachée à décrire l’évolution de cette pastorale de la création du Centre de pastorale liturgique (CPL) en 1943 à aujourd’hui : Dans le sillage de la constitution conciliaire sur la Liturgie, encouragée par la lettre Desiderio desideravi du pape François, cette pastorale cherche à tenir compte des quatre caractéristiques propres à la liturgie : servir  l’« invitation » de Dieu à entrer en dialogue avec lui, tracer un « itinéraire » dont le mystère pascal du Christ est la clef de voûte, viser la « rencontre » du Dieu vivant, réaliser cette rencontre à travers une « communion » renouvelée avec Dieu, la Création et les frères et sœurs. On trouvera ci‑après une version allégée de l’intervention.

Le colloque qui nous rassemble fête les soixante ans de la Constitution Sacrosanctum concilium, et, pour l’Église d’Italie, les cinquante ans de l’Office national de liturgie. L’Église de France, quant à elle, ajoute au même anniversaire conciliaire celui de la création, il y a quatre-vingts ans, du Centre de Pastorale liturgique (CPL), l’ancêtre de notre actuel Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle (SNPLS).

De la création du CPL au Concile

En effet, à l’initiative des pères dominicains Pie Duployé et Marie-Aymon Roguet, le Centre de Pastorale Liturgique voit le jour à Paris le 20 mai 1943, en présence de dom Lambert Beauduin, figure alors emblématique du renouveau de la liturgie. Cette initiative pionnière – en pleine Guerre mondiale, et vingt ans avant Sacrosanctum Concilium – s’inscrit dans la dynamique du Mouvement liturgique qui s’est surtout développé au début du XXe siècle autour de Dom Lambert Beauduin, de Dom Casel ou de Romano Guardini.
La tâche que le CPL se donne à ce moment-là est de faire découvrir à tous ceux qui pensent que la liturgie est pour Dieu (un culte, un cérémonial) et la pastorale pour les hommes, que la liturgie est au contraire un véritable lieu pastoral. Le CPL veut mener une réflexion à la fois intellectuelle et pastorale à partir des questions nouvelles auxquelles sont confrontés les prêtres. Pour ce faire, il se dote d’une méthode de travail : des sessions de travail pendant 20 ans, de 1944 jusqu’au Concile, et un congrès annuel réunit quelque 400 ou 500 prêtres. Ces congrès sont des lieux d’échanges approfondis qui préparent le terrain à l’événement conciliaire. Tous les acteurs de la future réforme liturgique s’y croisent et lient amitié. En 1946, par exemple, les responsables du CPL rencontrent Annibale Bugnini, la cheville ouvrière de la réforme liturgique conciliaire.
À la fin de la Guerre, le CPL étend son action en s’appuyant sur un bulletin d’information, les Notes de pastorale liturgique et, dès 1945, une revue scientifique de haute tenue La Maison-Dieu, qui se fait l’écho des recherches en cours. En somme, grâce aux rencontres et aux publications, le Centre de Pastorale Liturgique, quoique étant à l’époque une institution privée sans mandat ecclésial, se trouve à l’origine d’un réseau de correspondants dans les diocèses de France, lequel anticipe le développement de la pastorale liturgique que demandera la Constitution sur la liturgie. Dans son souci de formation des clercs et des laïcs, le CPL est également précurseur en suscitant, en 1956, l’Institut Supérieur de Liturgie (ISL), qui allie recherche intellectuelle et pastorale, au sein de l’Institut Catholique de Paris.
La Constitution Sacrosanctum Concilium est promulguée le 4 décembre 1963. D’une certaine manière, elle résume ou confirme la réflexion menée pendant vingt ans au plan théologique ou pastoral, notamment en Allemagne et en France, grâce au CPL. Ce Centre français, relayé largement par les mouvements de jeunesse de l’Action Catholique, par les prêtres de paroisses en milieu populaire, a offert une vision de la liturgie à la fois traditionnelle et neuve : le retour aux sources patristiques de la liturgie, la participation active des fidèles, le lien entre liturgie et vie, tout est en place pour la « réception » de Sacrosanctum concilium.

La mue du CPL en organe officiel

Le 27 janvier 1965 se produit un événement considérable : le conseil permanent de l’Episcopat français annonce la création du Centre National de Pastorale Liturgique (CNPL), institution ecclésiale sous l’autorité des évêques de France, classé au rang des grands secrétariats nationaux de l’Episcopat. Mgr Boudon, président de la Commission épiscopale de liturgie, rend hommage au CPL en expliquant que le CNPL « relaie et prolonge » l’action du CPL.
Entre la création du CPL, institution jusque-là indépendante et sa reconnaissance institutionnelle comme CNPL, il existe donc une continuité organique. Les experts en science liturgique, en musique, en art sacré et en pastorale trouvent dans cette « mue » une légitimité accrue dans leur action. Au nom des évêques de France, le CNPL a pour tâche de mettre en place la réforme liturgique. Le personnel de l’époque est d’une impressionnante qualité : il est impossible de ne pas mentionner les pères A.-G. Martimort, Pierre-Marie Gy o.p., Joseph Gelineau s.j., Pierre Jounel, et tant d’autres qui se sont donnés sans compter dans les divers chantiers ouverts par le Concile.

Le Centre National de Pastorale Liturgique et son travail

La période post-conciliaire fourmille d’initiatives pastorales. Il faut travailler sur tous les fronts afin d’accompagner la réforme, mais le sceau institutionnel offre les moyens de conduire une réelle pastorale sacramentelle et liturgique. Par ailleurs le CNPL est le lieu matriciel de tous les livres liturgiques de la réforme conciliaire, pour la langue française, entre 1964 et 1982. Le Missel Romain en français est publié en 1970. La même année, un livre d’office en un volume, Prière du temps présent, anticipe sur la parution, à partir de 1980, des quatre tomes de la Liturgie des Heures. Le CNPL, avec des équipes motivées et compétentes, est à la manœuvre.
Dans les diocèses et les paroisses se créent des équipes de pastorale liturgique et sacramentelle où des laïcs prennent peu à peu leur place. C’est le fruit d’innombrables sessions, stages de formation, d’articles de revues ou de modestes brochures. En 1979, le bulletin Notes de pastorale liturgique devient la revue Célébrer qui publiera jusqu’en 2015 pas moins de 406 numéros.
Cependant, les défis ne manquent pas : d’une part les diocèses manquent toujours de personnes compétentes prêtes à s’engager dans ce service complexe et vital ; d’autre part, ceux qui s’engagent manquent de formation dans l’ensemble des disciplines théologiques et pas seulement en liturgie. Pour remédier à ces difficultés, à partir des années 80, le CNPL va organiser, dans les provinces, des cycles de « formations de formateurs » à l’intelligence de la liturgie et à l’animation liturgique (les CYFFAL), et aussi orienter vers l’Institut Supérieur de Liturgie (ISL) ceux qui deviendront les cadres responsables dans les diocèses, voire au niveau national.

Le déploiement de la formation pastorale

En 2007, la reconfiguration de l’ensemble des services de l’Église de France provoque un nouveau changement d’intitulé : le CNPL devient le SNPLS. Au sein de la maison de la Conférence des évêques de France, il prend place comme « Service national » et non plus comme « Centre ». Ses missions demeurent celles indiquées par la Constitution sur la liturgie, mais deviennent aussi, plus spécifiquement, celles demandées par les évêques, comme à tout autre service national.
Il apparaît clairement que les diocèses de France ont besoin d’une instance qui stimule la réflexion en matière de pastorale liturgique, au moment où les mutations du tissu ecclésial s’accélèrent : les regroupements de paroisses en « secteurs paroissiaux », la chute des ordinations et de la pratique dominicale, la perte du sens même du dimanche chez nos contemporains.
Par ailleurs un retour à la théologie de la liturgie exprimée par le Concile s’avère nécessaire à un moment où la liturgie semble parfois à nouveau concentrée sur l’exacte exécution des cérémonies plutôt que sur la possibilité pour le peuple chrétien d’y trouver la source vitale où puiser ce qui le fait vivre. Le SNPLS s’attèle à un travail d’écoute pour reconsidérer l’organisation du réseau sur le terrain afin de rester en contact avec les réalités pastorales. Soucieux aussi de la prière des fidèles, le SNPLS travaille à faire mieux connaître et aimer la Liturgie des Heures, dans des sessions destinées aux laïcs.

La révision de la traduction des rituels de la réforme liturgique

À côté de ce travail pastoral, le SNPLS est occupé continument à la publication des rituels. Au fil de nouvelles éditions romaines, les travaux de traduction et d’adaptation des versions françaises incombent à ses membres : c’est un peu sans fin. Un long chantier a vu aboutir la Traduction officielle liturgique de la Bible (2013) et par conséquence la révision des lectionnaires. Tous les textes nouveaux (révisés) demandent un accompagnement quant à leur réception. De même, la nouvelle traduction du Missel romain, fruit d’un autre long chantier (quinze années de travail) a également concentré l’attention du SNPLS jusqu’à sa présentation aux fidèles le premier dimanche de l’Avent 2021. Cette nouvelle traduction a d’ailleurs permis un nouvel élan de formation à travers des publications et des colloques, mais aussi au sein des diocèses ou des paroisses pour aider les fidèles à redécouvrir le sens de la célébration eucharistique comme mémoire du Mystère pascal.

Les accents actuels

Aujourd’hui, la lettre du pape François, Desiderio desideravi (29 juin 2022) arrive à point pour réorienter la pastorale liturgique et sacramentelle du SNPLS. Ce texte ouvre en effet une nouvelle étape dans la réception de la réforme conciliaire. Il s’agit de revenir au fondement de la liturgie : elle est la source première de la vie spirituelle du peuple chrétien. Au cours des décennies passées, nous avons mis en place un certain nombre d’outils nécessaires – livres liturgiques, production musicale et artistique, etc.  – maintenant, il nous faut lier formation à la liturgie et formation par la liturgie. En mai 2023, sous la présidence de Mgr Viola deux Journées nationales ont rassemblé largement les acteurs de la liturgie et de la formation des diocèses français. Elles constituent une sorte de charte de la formation liturgique pour les années à venir en France.
La nouvelle voie ouverte s’appuie, entre autres, sur une collection d’ouvrages thématiques Célébrer que nous mettons en œuvre depuis 2018. Chaque volume offre au lecteur un itinéraire liturgique et spirituel de formation et de discernement des pratiques, à la lumière de l’enseignement de l’Église. Une même architecture à partir de trois axes – théologique, mystagogique et liturgique – est mise en œuvre pour traiter chaque sujet. Les articles mystagogiques partent des rites liturgiques et des symboles (objets, déplacements, paroles, etc.) et permettent un croisement avec l’Écriture et la Tradition, mais également avec l’expérience humaine vécue spirituellement. La collection Célébrer a certes été inaugurée avant la Lettre du pape François, mais cette Lettre nous confirme que c’est bien le chemin à prendre pour permettre aux croyants de discerner la richesse des célébrations liturgiques : qu’il s’agisse des liturgies de la Parole, de la liturgie eucharistique, des liturgies de pèlerinage ou des bénédictions, du dimanche ou des liturgies domestiques. Toutes ces célébrations poursuivent un même but rappelé par le pape François : « L’émerveillement devant le fait que le dessein salvifique de Dieu nous a été révélé dans la Pâque de Jésus dont l’efficacité continue à nous atteindre dans la célébration des mystères ». Ainsi, la collection offre aux différents acteurs de la liturgie une formation permanente en complément et en soutien à la formation diocésaine ou nationale.

Axes nouveaux pour la formation, et conclusion

Ce que le SNPLS met en œuvre dans les ouvrages Célébrer correspond à la recherche sur le travail pastoral. Dans Desiderio desideravi, le pape François développe une intelligence spirituelle de la liturgie parce qu’il l’envisage comme le lieu privilégié où la vie et la prière du croyant se conjuguent pour leur donner « forme » chrétienne. C’est à partir de ce constat que le Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle poursuit le projet de développer une pastorale qui tient compte des quatre caractéristiques propres à la liturgie :

  • elle est une « invitation » de Dieu à entrer en dialogue avec lui,
  • elle trace un « itinéraire » (rituel, biblique, temporel, etc.) dont le mystère pascal du Christ est la clef de voûte,
  • elle a pour but la « rencontre » du Dieu vivant,
  • qu’elle réalise dans la « communion » avec Dieu, la Création et les frères et sœurs.

Comme les initiateurs du CPL, les membres du SNPLS sont à l’écoute des besoins et pensent des réponses pour aujourd’hui, sachant que demain d’autres continueront ce travail inlassable d’adaptation et de mise à jour permanente.
Fêter l’anniversaire de la Constitution sur la liturgie n’est pas un acte de souvenir d’un événement. Il s’agit de faire mémoire, maître mot de la liturgie, c’est-à-dire d’entrer dans le dynamisme initié par Vatican II et dont l’Église doit vivre pour lui être fidèle. La liturgie fonde ce dynamisme dans la puissance de résurrection du Mystère pascal. En prenant en compte « les joies et les espoirs, les peurs et les craintes des hommes » qu’elle assume, la liturgie, « par laquelle s’exerce l’œuvre de notre rédemption » n’a pas d’autre but que de conduire l’humanité à la rencontre de son Sauveur. C’est ce à quoi ces journées d’étude invitent tous les responsables de liturgie.
Et comme il n’y a pas, en régime chrétien, d’anniversaire sans action de grâce, c’est une joie de remercier Dieu pour ces 80 ans de service de la liturgie de l’Église de France et de rendre grâce également pour tant de serviteurs, certains très célèbres, d’autres tout à fait cachés, au long de ces années. Deo gratias.

Bernadette MÉLOIS,
Directrice du Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle de la Conférence épiscopale française, colloque organisé par l’Office national de la Conférence épiscopale italienne pour le soixantième anniversaire de Sacrosanctum concilium  23-25 novembre 2023.