Ritualité et ritualisation de la mort
Par Laurent Denizeau, Docteur en Sociologie et Anthropologie à l’Université Catholique de Lyon.
La professionnalisation du funéraire engendre une logique de concurrence qui encourage une diversification des offres rituelles en fonction des demandes. Il s’agit alors pour les professionnels du funéraire de produire un rite adapté. Bien souvent, l’« expert en rituel » construit un rite funéraire en fonction des attentes de la famille (avec l’idée de faire un enterrement à l’image de la vie de la personne décédée). Le rite ainsi produit devient une mise en scène de significations individuelles.
Dans cette ritualisation du funéraire, il s’agit d’être utile, de soutenir les individus, de gérer le désordre introduit par la mort par le biais du rite. Le rite suit alors une logique de canalisation des affects, de dédramatisation, finalement une logique de management des émotions et des relations. La mort y semble soumise au contrôle d’un dispositif pacificateur. Si la ritualité funéraire tend à se sophistiquer sur le plan de la mise en scène, celle-ci se fait néanmoins au détriment de la mise en sens. Le rite semble y perdre de son sens, de son énergie symbolique pour se réduire à une mise en scène, à une fabrication de significations qui font du bien.
Cette ritualisation prend l’allure d’un lieu d’expression des affects vécus par les vivants en présence du mort, vu comme un ancien vivant à qui il s’agit de rendre hommage, dans une sorte de relation poursuivie. Fabriquer du rite consiste alors à produire et mettre en scène des significations plus « appropriées », plus singulières (et du coup moins partageables). La ritualisation devient un rite commenté, où l’on va insister sur la fonction expressive du rite. Elle se justifie par le souci du service et de la signification (ou plutôt du service par la mise en signification) : ça fait du bien parce que ça donne du sens au malheur, ça permet aux émotions de s’exprimer. Mais le danger serait de réduire la ritualité à un ensemble de significations produites autour de la mort que l’on va mettre en scène : il ne s’agit plus d’un rituel mais d’un commentaire.
La ritualisation ne produit pas du rite mais une scission entre soi et l’acteur du rite (où le rituel est une mise en scène) : on se regarde y assister, on s’écoute y participer, en ressentant sa présence sur le mode du rôle qu’on a à jouer dans le rite. En insistant sur les significations du rite, on perd le sens du rite qui n’est pas de signifier mais de travailler, et pour le sujet, de se laisser travailler par cette reprise collective de l’expérience du désarroi face à la mort.
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