La mort n’est pas la fin de la vie
Par Laurent Denizeau, Docteur en Sociologie et Anthropologie à l’Université Catholique de Lyon
Patrick Baudry fait une distinction stimulante entre la fin de la vie et la mort (2006), qui va l’amener à considérer, de manière un peu provocatrice, que la mort n’est pas la fin de la vie. Paradoxalement, il ne fait pas référence à une croyance en un au-delà, à une vie après la mort, mais veut nous montrer que la mort n’est pas réductible à la fin de la vie. La fin de la vie est un fait constatable de l’ordre de la terminaison d’un processus, de l’arrêt du fonctionnement du corps. La vie est associée au fonctionnement du corps, donc à l’idée de mouvement, et la fin de la vie, c’est la panne. Le terme de décès l’indique : il est de l’ordre de la constatation d’un fait. Le décès se réduit à un fait, qui ne concerne que l’individu et son entourage, et non à un événement qui concernerait la société.
Cette notion de fin de la vie ne cacherait-elle pas le fantasme de vouloir pacifier la mort ? La mort se réduit à l’arrêt du fonctionnement du corps. Lorsque le corps s’arrête de fonctionner, la mort survient, c’est tout. Cette approche biologique de la mort comme arrêt du fonctionnement du corps est vraie, mais la mort ne se réduit pas à l’arrêt du fonctionnement du corps.
On voit le glissement possible dans cette conception de la mort comme se résumant à la fin de la vie. Il s’agit aujourd’hui de ne plus avoir peur de la mort : c’est naturel, c’est normal, c’est dans l’ordre des choses et donc il ne sert à rien de s’en effrayer. C’est dans l’ordre biologique des choses. Il faut aborder la mort avec sérénité car la mort n’est que l’arrêt des fonctions corporelles. Et on peut rechercher cette sérénité par la maîtrise du processus qui aboutit à l’arrêt fonctionnel. L’arrêt d’un fonctionnement peut être en partie maîtrisé : il peut faire l’objet d’une intervention d’ordre technique.
Cette confusion actuelle entre la mort et la fin de la vie peut alimenter le fantasme de maîtriser la mort par une maîtrise de la manière dont cela va finir. Il s’agirait de faire de la mort une fin prévisible, contrôlable voire aménageable. Sous couvert d’humanisation de la fin de la vie, la recherche d’une certaine maîtrise de la mort peut en fait être une manière de vouloir éviter ce que la mort suscite dans la communauté : l’arrêt, la suspension, le silence, le désarroi, le vacillement de la parole qui ne sait que dire. Aucun agir d’ordre technologique ne peut répondre à ce que la mort suscite.
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