Guide pratique pour la conception d’un autel
Par Claire Mouly et Claire Génin
L’autel doit être visible dès le seuil ; c’est le point focal, à la fois lieu de la rencontre et lieu du passage. Même au repos sa présence doit être remarquable, le Christ est là. Un chemin nous mène à lui. Réfléchir à l’autel ne peut se faire sans parler du lieu où il se situe : l’espace de la liturgie.
L’espace liturgique
La liturgie se déploie autour de trois pôles qui en constituent l’espace: l’autel, l’ambon (lieu de la parole), la présidence (place du célébrant). Un podium délimite cet espace dans lequel s’ancre l’autel. S’il faut le refaire, portons notre attention sur différents points :
- La justesse de sa place dans l’église: à la croisée du transept, en proximité avec (ou dans) le sanctuaire ancien? Comment pourra être aménagé alors l’espace de l’assemblée qui doit permettre de vivre la liturgie à la fois dans la proximité et la distance, suivant les orientations du concile Vatican II ?
L’attention et la réflexion doivent se porter sur la cohérence avec l’ensemble de l’église: l’orientation, le lien avec l’assemblée, la qualité de l’espace au delà de l’autel.
- La hauteur du podium pose la question de la visibilité. Qu’est-ce que voir? Devons-nous vraiment voir de partout? Quelle place faisons-nous à l’Invisible dans le mystère célébré? Respectons-nous l’architecture du lieu? Les questions que nous avons à nous poser sont multiples avant de pouvoir apporter des réponses définitives. La hauteur sera calculée en fonction des éléments donnés par le lieu lui-même, en gardant présente cette exigence de la qualité de participation de l’assemblée.
- La grandeur, la largeur et la profondeur du sanctuaire sont essentielles. L’article de Louis-Marie Chauvet nous montre combien, par sa façon d’être et de se déplacer dans cet espace, le prêtre célébrant donne à l’assemblée de participer pleinement au mystère. D’autres personnes, servants de messe, con-célébrants, diacres, lecteurs, peuvent aussi y être présents. Il est donc nécessaire d’avoir de l’air autour de ces trois pôles pour que les déplacements restent dignes et signifiants, respectueux du sens et de l’action liturgique. Qu’il soit donc suffisamment grand et que sa forme soit en harmonie avec
l’ensemble de l’architecture. - Le choix des matériaux est souvent difficile. Lieu de la célébration du mystère, l’aménagement liturgique donne à notre foi de vivre ce qui la fonde. Marquer ce lieu et l’enracinement de l’autel par un sol spécifique qui en dise la noblesse permet de le qualifier, de le délimiter, de le spécifier. Ce n’est pas forcément la préciosité des matériaux qui sera importante mais bien plus leurs qualités de simplicité et de beauté qui pourront donner une bonne résonance à cet espace dans l’église. L’intégration de nouveaux matériaux devra se faire dans une grande connivence des éléments entre eux et dans un profond respect de l’ensemble.
L’autel
L’autel se tient au milieu des fidèles et de l’architecture avec une qualité de présence toute particulière qui respecte toutes les attentions précédentes. Là aussi se posent les questions de forme et de matériaux. Les exemples présentés montrent qu’il n’y a rien de catégorique ni d’exemplaire. La réussite de l’ensemble dépend de la qualité de la commande : un programme bien défini, un comité de pilotage aux compétences complémentaires, une évaluation préalable des disponibilités financières, le choix du concepteur et, bien sur, se donner du temps. Un dialogue délicat permet d’accompagner l’artiste dans sa réalisation mais aussi de s’effacer au moment opportun. L’autel ne peut être pensé seul. Une des difficultés est de rendre à la fois manifeste la primauté théologique de l’autel et son lien fondamental à l’ambon. Se pose aussi la question de la place de la réserve eucharistique, pour qu’elle ne soit pas en redondance ou en contrariété avec l’ensemble de l’aménagement liturgique.
S’il y a un autel ancien, il ne doit pas gêner l’autel unique de la célébration. Il faut pouvoir l’intégrer autrement. Pourquoi ne pas le traiter comme un retable ou en espace de gloire? La présence de deux autels, sans différenciation liturgique et visuelle forte, est gênante, surtout quand le nouvel autel semble provisoire par rapport à l’ancien.
L’autel doit être pensé «au repos», visible lorsque le passant pénètre dans l’église pour prier ou visiter l’édifice. Il doit aussi envisager la piété de certains fidèles. Comment peut-il alors accueillir les initiatives populaires sans dénaturer sa qualité liturgique première?
De même, pour accompagner de manière juste toutes les célébrations, l’autel doit être pensé « appareillé ». Nous devons avoir le souci d’ornementer l’autel avec une nappe propre, belle et de bonne dimension, avec de beaux objets aussi, il ne faut pas l’encombrer pour qu’il garde sa «noble simplicité». Nous devons envisager l’autel en pensant à la célébration en elle-même, aux concélébrations, jusque dans les détails (tels que la crédence qui ne doit pas être une simple table de cuisine) pour qu’ils ne dénaturent pas les efforts faits.
Enfin, toute transformation de l’espace liturgique, toute création d’autel, doit s’accompagner d’une sensibilisation liturgique et artistique auprès de la communauté paroissiale. Une participation des fidèles peut aider à une meilleure réception des changements et permettre une compréhension et une appropriation du nouvel espace.
La force du maître d’ouvrage et du maître d’oeuvre est de transformer la contrainte en ressource, en veillant à une grande cohérence de l’ensemble à travers les matériaux et l’intégration du mobilier liturgique dans l’architecture, et cela pour une bonne et heureuse mise en œuvre de la liturgie. La conception d’un autel est un réseau de compromis qui découle d’une attention à un environnement spatial, socio-historique et humain. Essayons d’honorer les siècles passés par un témoignage artistique vivant et juste.
Quant à la discussion de savoir si l’autel doit être mobile rappelons simplement le principe général de la nouvelle PGMR (298): « Il convient que dans toutes les églises, il y ait un autel fixe, qui signifie, de manière claire et permanente, le Christ Jésus, pierre vivante (1 P 2,4 ; cf. Ep 2,20) ».
Article extrait de la revue Chroniques d’art sacré, n°78, automne 2001, p 28-29
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C. Mouly et C. Génin – Guide pratique pour la conception d’un autel