Ordination diaconale : enracinement humain et inscription ecclésiale
Par Serge Kerrien, Diacre permanent du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier et conseiller pastoral du SNPLS
Fête de l’Église rassemblée autour de son évêque, l’ordination diaconale n’en est pas moins une fête pour celui à qui elle est conférée, pour sa famille, ses amis, ses relations sociales. Dans la célébration, la prise en compte de l’enracinement familial et social est légitime. Pour autant, il ne convient pas de personnaliser à outrance une célébration sacramentelle au risque de réduire la dimension ecclésiale de l’appel au ministère diaconal. Si on oublie l’un ou l’autre de ces aspects, on bascule soit dans une rigidité rituelle déshumanisée, soit dans une hyperpersonnalisation de la célébration. Se souvenir de ce qu’est la liturgie, connaître le Rituel et ses intentions permettent de tenir un bel équilibre.
Ce qu’est la liturgie
« La liturgie est l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ » (Sacrosanctum concilium n°7).
Dire cela, c’est dire que la liturgie plonge ses racines dans l’œuvre de la rédemption du Christ présent dans les actions liturgiques. C’est affirmer que, dans la célébration chrétienne, nous célébrons le Christ mort et ressuscité. La liturgie est chrétienne dans la mesure où elle est polarisée par le Christ et qu’elle nous construits en sujets croyants au sein de l’Église. Elle ne saurait être l’expression d’idées, d’idéaux, de sensibilités particulières, de valeurs si nobles soient-elles. Au risque de se trahir, elle n’appartient pas à une personne, à un groupe identitaire, à une expression personnelle. Elle est ce que nous donne l’Église pour nourrir notre foi, nous structurer en croyants et annoncer le Salut. Parce qu’elle nous fait faire l’expérience du mystère pascal, la liturgie ne peut se transformer en auto-célébration. Avec les mots et les rites qu’elle nous donne, elle nous fait célébrer, Dieu, Père, Fils et Esprit.
Un enracinement humain
Pour autant, une célébration d’ordination n’est pas désincarnée. Par les rites qu’elle déploie, elle prend en compte l’enracinement humain et social de l’ordinand. Les rites de présentation et d’envoi des candidats en sont le reflet. A l’appel des candidats, l’évêque demande des paroles personnelles. Ce sont généralement des membres de l’équipe d’accompagnement qui témoignent des aptitudes humaines et spirituelles de l’ordinand à exercer le ministère diaconal. La composition de ces équipes est souvent révélatrice des différents enracinements humains : famille, milieu professionnel ou associatif, communauté paroissiale. Puis, pour les ordinands mariés, la demande adressée à l’épouse reflète encore ce souci de prise en compte d’une réalité essentielle de la vie de l’ordinand : sa vie de couple et sa vie de famille.
Quant à l’envoi, il manifeste au nouveau diacre que sa mission est pour le monde et dans le monde. Reprenant en partie ce que dit la prière d’ordination, la bénédiction finale lui rappelle qu’il est appelé au service des autres, particulièrement des pauvres et des affligés, qu’il a pour charge d’annoncer l’évangile du Christ, de vivre en conformité avec la Parole, d’imiter le Christ en servant, dans le monde, l’unité et la paix. Venu du monde, le diacre repart au monde, pour témoigner dans ses différents milieux de vie, de l’amour du Christ pour les hommes.
La composition de l’assemblée manifeste aussi l’enracinement humain. Famille, amis, collègues de travail, compagnons de loisir ou d’engagement forment une assemblée au visage inhabituel. C’est une humanité, tissu de relations, qui se retrouve dans une même action liturgique. Ces présences-là sont prises en compte dans l’art de célébrer pour que les rites, les gestes, les paroles, les chants permettent à Dieu de toucher les cœurs et de faire passer chacun du visible humain à l’inouï divin.
L’inscription ecclésiale
Le Rituel donne une place réelle à l’enracinement humain. Cependant, le risque existe de trop mettre en avant la personnalité et les qualités de l’ordinand, au point que l’appel de l’Église semble une formalité. La sagesse du Rituel évite cet écueil. Lors de l’appel des candidats, celui qui les appelle dit à l’évêque : « La sainte Église, notre Mère, vous présente notre frère et demande que vous l’ordonniez… ». On ne saurait être plus clair : l’ordination n’est pas l’aboutissement d’un désir de l’ordinand mais bien un appel de l’Église réitéré lors du questionnement de l’épouse : « L’Église me demande d’ordonner diacre votre mari ».
Par ailleurs, le Rituel d’ordination est celui de l’Église. Même s’il laisse quelques plages de liberté, il est un don de l’Église à ses enfants. Savoir que le même Rituel sert sur tous les continents inscrit l’ordination dans la dimension universelle de l’Église, manifestée dans la litanie des Saints.
Cette dimension ecclésiale est aussi exprimée par l’assemblée, venue de tout le diocèse, Église rassemblée autour de son évêque. Pour que cette dimension soit honorée, il convient de veiller à ce que le lieu de célébration ne soit pas confisqué par les proches de l’ordinand, au détriment du peuple de Dieu.
Venant d’un monde où il est enraciné par son histoire et son quotidien, le diacre est appelé par l’Église et rendu au monde, enrichi de la grâce sacramentelle. Ce va et vient montre bien l’enracinement humain et l’inscription ecclésiale mis en œuvre par le Rituel.