La retraite itinérante : une prière et une musique originales

pelerins-en-marchePar le père Jean-René Fracheboud, Foyer de Charité de Bex en Suisse

La retraite itinérante au niveau spirituel se vit dans le même esprit et les mêmes dispositions que les autres retraites. La marche, le fait d’être ensemble et le contact avec la nature apportent une tonalité spécifique.

Marcher

C’est une belle manière de plonger dans le réalisme de l’incarnation. La prière, la méditation de la Parole, la communion avec le Christ passent par « les pieds ». Nous rejoignons par là toute l’histoire du salut qui est une longue marche vers la lumière et la vie. Le peuple de Dieu est un peuple nomade, qui dans le pas à pas du quotidien exerce la confiance fondamentale à son Seigneur. Depuis le « Va » d’Abraham, inaugurant l’histoire sainte jusqu’au « Viens »final de l’Apocalypse, toute l’aventure spirituelle n’est qu’un long chemin de fidélité, d’errance, de commencements et de recommencements. Que d’exodes et d’exils ont jalonné le chemin d’alliance !

La retraite itinérante nous fait entrer dans cette démarche de cheminement, de croissance, de maturation avec le Christ. L’inspiration biblique passe par le transpiration, l’effort, le dépassement.

Avec les cailloux du chemin, les montées rudes et les descentes abruptes, nous apprenons le rythme du « pas à pas », une forme de lenteur et de vérité qui sont bien à l’opposé des rythmes effrénés et déshumanisants de notre société moderne. Une forme de conversion se propose ainsi à nos pas, à nos coeurs, dans l’humilité.

La marche nous permet d’intégrer la nouveauté et l’accomplissement apportés par le Christ : la fidélité du chemin, la vocation au devenir de lumière qui intègre les faux-pas, les chutes et les échecs.

Un coup de coeur, un éblouissement devant le paysage grandiose qui se dégage au sommet de la montagne n’interroment pas le silence ; au contraire ils viennent le nourrir, l’enrichir et lui donner la touche somptueuse de la louange.

Marcher ensemble

Ce qui est très fort et souvent souligné par les retraitants comme lien spirituel, c’est le fait d’être en « file indienne », sur le sentier de montagne, chacun mettant ses pas dans les pas de celui qui le précède. Nous prenons alors conscience de l’influence que la manière d’être que chacun exerce sur l’autre. Il y a des pas qui rassurent le frère ou la soeur qui me suit, qui met en confiance, qui encourage, qui dynamise. Il y en a d’autres qui déstabilisent, qui appportent le doute, la suspicion….

Cette dimension ecclésiale de la marche s’inscrit aussi dans les multiples signes d’attention et d’entraide qui jalonnent la progression du groupe : la main qui se tend pour franchir un passage délicat, porter le sac à dos de celui ou celle qui peine, le partage de l’eau rafraîchissante, d’un mot d’encouragement… Autant de délicatesse qui sentent bon le parfum de Dieu.

Marcher en pleine nature

Au cours d’une retraite itinérante, le chemin de la prière se fait moins intellectuel, moins livresque, moins abstrait. Il rejoint toutes les harmoniques de notre humanité, corps-coeur-esprit, appelées à s’unifier, à se densifier. Le contenu de la parole de Dieu passe par tous les sens. J’aime à me souvenir de cette phrase de pensée orientale :

Dieu pèse dans la pierre, Dieu jaillit dans la plante,

Dieu respire dans l’animal, Dieu aime en l’homme.

Sans tomber dans le panthéisme, la marche nous élève et nous fait toucher des yeux et du doigt cette présence mystérieuse du Seigneur dans sa création. Cette contemplation devient source de paix et de réel bonheur. Saint Bernard de Clairvaux disait :

J’en ai beaucoup plus appris dans le silence des forêts

que dans les plus beaux manuels de théologie.

Le Jésus de l’histoire a été pour ses disciples et pour ses contemporains un merveilleux éveilleur de vie, un éducateur du regard. Il les a ouverts au mystère par le culte de l’attention. Il leur a donné par les paraboles la faculté de dépasser l’écorce des choses, des êtres et des événements, pour découvrir l’en dedans de la vie. Le Royaume de l’amour qu’il venait révéler, dont il était l’épiphanie vivante, est moins un au-delà qu’un en-dedans.

Ce que Jésus de Palestine a fait pour ses disciples, le Christ de la gloire continue de le faire pour nous aujourd’hui dans le mystère de l’Eglise par le don et l’action de l’Esprit Saint. C’est ce que nous vivons très concrètement au cours de la marche par le renouvellement du regard, par le sens de l’étonnement et de l’émerveillement.

Pélerins d’Emmaüs

Dans l’expérience d’une retraite itinérante, il nous est donné d’emboîter le pas à tous les marcheurs de l’Evangile, des mages de l’Epiphanie jusqu’aux disciples d’Emmaüs. Les participants arrivent avec toute l’épaisseur de leur humanité. Certains sont profondément blessés, en échec, sans avenir, meurtris et défaits par la souffrance. D’autres ont des décisions à prendre, des choix à faire, à re-faire. D’autres entendent confusément un appel à changer, à vivre autrement. Tous sont guidés par une étoile. Ensemble, nous nous mettons en route. Le Christ nous rejoint. Il marche avec nous.

Dans le silence, c’est la longue mise en contact entre la vie et la Parole qui va ouvrir des chemins dans le coeur. La fécondité dépend toujours du contact entre une terre et une semence.

Le bonheur n’est pas dans le bonheur, il est dans l’incessante marche.

Sortez, vivez tant que vous êtes vivants …

– Jean Sulivan

D’après un article du père Jean-René Fracheboud, Revue Célébrer n°361

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