Le Kyrie eleison
Par Serge Kerrien, Diacre permanent et délégué épiscopal au diocèse de Saint-Brieuc pour les questions de catéchèse et catéchuménat, pastorale sacramentelle et liturgique, formation, pèlerinages et pardons.
Parmi les possibilités qu’offre le missel pour l’acte pénitentiel, le Kyrie eleison tient une place particulière. En effet les acclamations qu’il comporte sont exprimées en « nous », ce qui le situe d’emblée dans la dynamique ecclésiale du chant d’entrée.
Les origines
Très ancienne supplication, utilisée dans l’antiquité païenne, elle est reprise par l’Eglise primitive qui lui donne un caractère nettement christologique. Sa place a beaucoup varié dans la liturgie. D’abord dans le Lucernaire ; puis, à la messe, après l’Evangile, au moment où le diacre renvoie les catéchumènes. Il s’agit en fait du refrain de la prière uiverselle. Progressivement, la liturgie occidentale va déplacer le Kyrie eleison, là où il se trouve aujourd’hui. Vers le VIIIe siècle, les nombreuses invocations sont réduites à neuf : trois kyrie, trois Christe, trois kyrie. Bien que les triples invocations aient reçu pendant plusieurs siècles une signification trinitaire (cela pour lutter contre l’arianisme qui niait que le Christ fût Dieu, à l’égal de son Père), c’est bien au Christ que l’on s’adresse. Le missel rappelle qu’il s’agit d’une acclamation au Seigneur (Présentation générale du missel romain, P.G.M.R. n° 52) puisque le kurios grec, c’est le Seigneur, le Christ. Les invocations que le missel a jointes au Kyrie montrent clairement que l’on s’adresse au Christ.
Depuis Vatican II
Il est nécessaire de bien comprendre l’esprit du Kyrie, et donc l’intention de l’Eglise, pour bien le traiter musicalement. La PGMR dit, au n° 46, que le rite pénitentiel doit avoir le caractère d’une ouverture, d’une préparation. Il faut donc du temps, l’essentiel étant la mise en présence et la reconnaissance du Christ qui nous invite, nous rassemble et nous accueille. C’est dans cette mise en présence que peut jaillir le cri d’appel au Christ : « Seigneur, prends pitié ». La musique doit donc porter cet appel et il convient de chanter le Kyrie, même si on n’est que deux ou trois. Nous n’avons jamais trop raison d’en appeler à la pitié du Seigneur.
Que signifie cet appel au Seigneur ? Pour bien le comprendre, relisons Exode 34, 6. Au Sinaï, Dieu, se révélant lui-même, se définit : « Dieu de tendresse et de grâce, lent à la colère, riche en vérité et en pitié, lent à la colère, riche en vérité et en pitié, gardant sa pitié jusqu’à mille générations ». Le mot « pitié » définit la bonté miséricordieuse et fidèle dont Dieu entoure son peuple. Avec le Christ sauveur, se manifeste en plénitude la pitié de Dieu pour l’homme (Tite 3, 4 – 7). Et, dans l’Evangile, combien de pauvres ne poursuivent-ils pas Jésus de leurs Kyrie eleison comme une litanie de misère, aveugles quémandant la lumière, Cananéenne se jetant à ses pieds ? En reprenant cette litanie à la suite des pauvres de l’Evangile, l’Eglise tend la main vers son Seigneur. Elle sait qu’elle ne peut vraiment écouter sa Parole et recevoir son Corps et son Sang que si Dieu manifeste sa pitié à son égard. Le Christ, pitié de Dieu manifestée, n’a pas dédaigné ce cri des infirmes et des malades. Il y a même discerné le premier cri de la foi. A ceux qui réclamaient son secours, il l’a donné ; de ceux qui criaient pitié, il a eu pitié. Donnant sa vie, il est allé jusqu’au bout de la pitié ! l’Eglise sait que ce n’est pas en vain qu’elle implore sa pitié.
Enfin, le Kyrie comporte une dimension eschatologique. L’Eglise implore inlassablement la pitié de son Seigneur jusqu’à sa venue dans la gloire où le peuple, qui a obtenu miséricorde, sera rassemblé et présenté au Père des miséricordes.
En pratique
Implorer la miséricorde du Seigneur, c’est nous placer face à Lui en nous rappelant qu’il est notre Sauveur. Musicalement, la forme litanique est certainement la meilleure avec celle qui utilise les tropes, comme le grégorien, qui n’en a gardé que les premiers mots : « Lux et Origo….De Angelis…Cum jubilo ». Elle donne le temps de prendre et de déployer l’attitude spirituelle qui convient.
La musique a pour but de favoriser l’attitude spirituelle et non, comme trop souvent, la contrarier tant elle est légère, inconsistante, aux antipodes d’un cri et d’une acclamation. Le choix de la musique n’est guidé ni par la mode, ni par le goût personnel, mais par sa capacité à créer la bonne attitude face au Christ.
Le Kyrie est un chant de l’assemblée : le cri du peuple. Mais une mise en œuvre binaire (soliste et assemblée ; chorale et assemblée) lui convient très bien.
Il suppose une attitude commune : vers le Christ, à qui on s’adresse. Et l’attitude concerne tous les participants : célébrant, chorale, animateur, assemblée. Ici encore, dans une même supplication, l’assemblée se construit en Corps du Christ unanime vers son Seigneur.
Ce sont des enjeux dont il faut avoir conscience pour la justesse de notre chant.