Former à la liturgie en s’appuyant sur sa « fonction formatrice et transformatrice »

Avant même sa lettre apostolique Desiderio desideravi, le pape François insistait sur l’importance de la formation liturgique. S’adressant le 14 février 2019 aux participants à l’assemblée plénière de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements,  il invite à ne jamais oublier qu’avant tout, « la liturgie est une vie qui forme et non une idée à apprendre ». Pour former à la liturgie, il importe d’apporter des connaissances, mais surtout de créer les conditions pour que la liturgie puisse elle-même « accomplir sa fonction formatrice et transformatrice ». Voici les principaux extraits de son discours.

 

Du 12 au 15 février 2019, les membres de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements se sont réunis en assemblée plénière sur le thème de « la formation liturgique du Peuple de Dieu ». Trois ans plus tard, le pape François consacrera lui-même à ce thème sa lettre apostolique Desiderio desideravi publiée le 29 juin 2022. Il y distinguera alors deux aspects de la formation liturgique : « la formation pour la liturgie et la formation par la liturgie. La première est fonctionnelle par rapport à la seconde qui est essentielle ». La distinction, et par elle la mise en avant de la valeur formatrice de la pratique liturgique elle-même, s’esquisse déjà dans l’audience accordée le 14 février 2019 aux « membres, collaborateurs et consulteurs de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements ».

Continuer à donner forme au renouvellent voulu par Vatican II

Prenant acte que cinquante années se sont écoulées depuis son institution par saint Paul VI, le 8 mai 1969, le pape rappelle d’abord l’important travail mené par la Congregatio pro Cultu Divino « afin de donner forme au renouvellement voulu par Vatican II ». Il lui a fallu en particulier « publier les livres liturgiques selon les critères et les décisions des pères conciliaires, en vue de favoriser, dans le peuple de Dieu, la participation “active, consciente et pieuse” aux mystères du Christ (cf. Sacrosanctum Concilium, n. 48) ». Ainsi « précisément à la date d’aujourd’hui fut promulgué le Motu proprio Mysterii pascalis relatif au Calendrier romain et à l’Année liturgique (14 février 1969); puis, l’importante Constitution apostolique Missale Romanum (3 avril 1969), par laquelle le saint Pape promulguait le Missel romain. La même année, l’Ordo Missae et différents autres Ordo virent le jour, parmi lesquels ceux sur le baptême des enfants, sur le mariage et sur les obsèques ». Le pape souligne alors qu’« il s’agissait des premiers pas d’un chemin sur lequel avancer avec sagesse et constance ».

Comment avancer plus loin sur ce chemin ? Le pape fait observer qu’« il ne suffit pas de changer les livres liturgiques pour améliorer la qualité de la liturgie » : « Pour que la vie soit vraiment une louange agréable à Dieu, il faut en effet changer le cœur. C’est vers cette conversion qu’est orientée la célébration chrétienne, qui est une rencontre de vie avec le “Dieu des vivants” (Mt 22, 32) ». La visée de favoriser la conversion des cœurs et la rencontre avec Dieu doit demeurer l’horizon du travail des membres de la congrégation[1], ainsi que, se permet ici d’ajouter le commentateur, des divers acteurs de la pastorale liturgique. Or « c’est là que s’insère également le défi de la formation ».

Le défi que résonne le “nous” et non le “je”, en vue d’une croissance organique

Pour réfléchir ce défi, le pape souligne un préalable décisif : ne « pas oublier avant tout que la liturgie est une vie qui forme et non une idée à apprendre. Il est utile à ce propos de rappeler que la réalité est plus importante que l’idée (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, nn. 231-233) ». Cette réalité est la communion ecclésiale, ou plutôt son épiphanie !

C’est la raison pour laquelle « il est bon, dans la liturgie comme dans d’autres domaines de la vie ecclésiale, de ne pas tomber dans des polarisations idéologiques stériles qui naissent souvent lorsque, considérant ses propres idées valables pour tous les contextes, on finit par assumer une attitude de dialectique perpétuelle à l’égard de ceux qui ne les partagent pas. C’est ainsi qu’en partant peut-être du désir de réagir à certaines insécurités du contexte actuel, on risque ensuite de se replier sur un passé qui n’existe plus ou de fuir vers un prétendu avenir. Le point de départ, en revanche, est de reconnaître la réalité de la sainte liturgie, trésor vivant qui ne peut être réduit à des goûts, des recettes et des courants, mais qui doit être accueilli avec docilité et promu avec amour, en tant que nourriture irremplaçable pour la croissance organique du peuple de Dieu. La liturgie n’est pas le “domaine du bricolage”, mais l’épiphanie de la communion ecclésiale. C’est pourquoi, dans les prières et dans les gestes, résonne le “nous” et non le “je” ; la communauté réelle, et non le sujet idéal ».

Continuer à donner forme au renouvellement voulu par Vatican II consiste donc fondamentalement à « diffuser parmi le peuple de Dieu la splendeur du mystère vivant du Seigneur, qui se manifeste dans la liturgie ». Or « quand on regrette avec nostalgie les tendances passées ou que l’on veut en imposer de nouvelles, on risque au contraire de faire passer la partie avant le tout, l’idéologie à la communion, le ‘je’ au Peuple de Dieu, l’abstrait au concret, l’idéologie à la communion et, à la racine, le mondain au spirituel ». La prise de conscience de ce risque renvoie au défi de la formation liturgique du peuple de Dieu. Ce qui « signifie avant tout prendre conscience du rôle irremplaçable que la liturgie revêt dans l’Eglise et pour l’Eglise. Et ensuite aider concrètement le peuple de Dieu à mieux intérioriser la prière de l’Eglise, à l’aimer comme une expérience de rencontre avec le Seigneur et avec nos frères et, dans cette lumière, à en redécouvrir les contenus et en observer les rites ».

Former en permettant que la liturgie puisse accomplir sa fonction (trans)formatrice

Etant donné que la liturgie est « une expérience visant à la conversion de la vie, à travers l’assimilation de la façon de penser et de se comporter du Seigneur, la formation liturgique ne peut se limiter à offrir simplement des connaissances – cela est une erreur -, même si elles sont nécessaires, sur les livres liturgiques, et encore moins à préserver la mise en application des disciplines rituelles ». Il s’agit donc avant tout, comme cela vient d’être dit, d’aider concrètement les fidèles à « mieux intérioriser la prière de l’Eglise » et « à l’aimer comme une expérience de rencontre avec le Seigneur et avec nos frères », c’est-à-dire de permettre que « la liturgie puisse accomplir sa fonction formatrice et transformatrice ».

Pour aborder ainsi la liturgie – « une vie qui forme », comme le pape l’a dit plus haut – « il faut que les pasteurs et les laïcs soient accompagnés à en saisir la signification et le langage symbolique, y compris l’art, le chant et la musique au service du mystère célébré, ainsi que le silence ». Il n’est pas neutre à cet égard, fait remarquer le pape, que « le Catéchisme de l’Eglise catholique adopte la voie mystagogique pour illustrer la liturgie, en en valorisant les prières et les signes. La mystagogie : voilà une voie appropriée pour entrer dans le mystère de la liturgie, dans la rencontre vivante avec le Seigneur crucifié et ressuscité. Mystagogie signifie découvrir la vie nouvelle que nous avons reçue dans le peuple de Dieu à travers les sacrements, et redécouvrir sans cesse la beauté de la renouveler ».

Le pape conclut en rappelant l’insistance du Concile sur la formation liturgique des clercs (cf. Const. Sacrosanctum Concilium, n. 14) et en faisant observer que la formation initiale ne suffit pas : comme l’expérience le montre, « il faut cultiver la formation permanente des clercs et des laïcs, en particulier de ceux qui sont engagés dans les ministères au service de la liturgie. La formation pas une seule fois, mais permanente », une idée à diffuser largement.

Au-delà des membres de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements réunis ce 14 février 2019 en assemblée plénière, ces propos ainsi que exhortation finale du discours rejoindront aisément tous ceux qui s’engagent dans le service la liturgie : « Chers frères et sœurs, nous sommes tous appelés à approfondir et à raviver notre formation liturgique. La liturgie, en effet, est la voie maîtresse à travers laquelle passe la vie chrétienne à chaque étape de sa croissance. Vous avez donc devant vous une grande et belle tâche : travailler pour que le peuple de Dieu redécouvre la beauté de rencontrer le Seigneur dans la célébration de ses mystères et, qu’en le rencontrant, il ait la vie en son nom ».

Discours du pape François, 14 février 2019, mis en forme par le SNPLS

[1] On trouvera dans le texte original de l’audience les recommandations du pape quant à l’état d’esprit de ce travail : une « constante collaboration pleine de confiance réciproque, vigilante et créative, entre les conférences épiscopales et le dicastère du Siège apostolique qui exerce la tâche de promouvoir la sainte liturgie ».

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