Les funérailles guidées par des laïcs : (1) évolutions et justifications
L’implication forte de laïcs dans l’accueil et l’accompagnement des familles en deuil fait partie des évolutions contemporaines, et, dans ce cadre, la délégation de la conduite des obsèques à des laïcs. Vécues avec le discernement pastoral qui convient, de telles célébrations n’offrent nullement des obsèques « par défaut ». Reprenant la première partie d’un article de Jean-Marie Lioult, paru dans la revue Caecilia, numéro 2, mai 2025, ce qui suit voudrait proposer quelques notations historiques puis explorer les justifications théologiques de cette conduite. On trouvera à la fin le lien vers la deuxième partie de l’article, portant vers les implications pratiques de cette évolution significative, avec une attention particulière au contexte actuel des communautés chrétiennes.
Comme d’autres pratiques chrétiennes, les funérailles ont connu au fil des siècles des transformations reflétant des adaptations pastorales de l’Église ou des évolutions théologiques. Retour sur quelques étapes de cette histoire. Les éclairages donnés par l’enseignement du Concile Vatican II.
Une spécificité des funérailles : susciter une prise en charge par tous ?
Aux débuts du christianisme, les funérailles relevaient avant tout d’une dynamique communautaire. Les membres de l’Église locale, souvent persécutés, accompagnaient les défunts dans une atmosphère de foi et d’espérance en la résurrection. Des rites simples, centrés sur la prière, les psaumes et la mémoire du Christ, reflétaient une théologie où l’assemblée croyante joue un rôle actif. Ces célébrations témoignaient aussi de la solidarité que suscite la foi vécue. Ainsi par exemple, les chrétiens de Rome se rassemblaient en secret dans les catacombes pour la célébration, mais ils partageaient aussi si besoin leurs ressources pour offrir une sépulture digne aux défunts et soutenir les familles endeuillées.
Avec l’institutionnalisation de l’Église, l’essor des églises locales et l’organisation progressive du clergé en fonction des développements théologiques sur le rôle des ministres ordonnés, les diverses pratiques rituelles se sont formalisées en mettant de plus en plus au centre l’action médiatrice des ministres ordonnés. Il s’en est suivi une distinction de plus en plus marquée entre clercs et laïcs, limitant la participation active de ces derniers dans les rites liturgiques. Toutefois cette tendance de fond n’a atteint la ritualité des funérailles que tardivement.
La célébration de la messe dite de Requiem le jour même des obsèques ne semble ainsi s’être généralisée qu’entre le XIᵉ et le XIIIᵉ siècle. Auparavant, les chrétiens priaient, notamment avec des psaumes, mais la messe n’était pas systématiquement liée au jour des funérailles, l’insistance portant plutôt sur l’administration du viatique ou des messes de commémoration à dire aux 3ᵉ, 7ᵉ et 30ᵉ jours après la mort. C’est le sentiment grandissant de devoir prier pour le salut de l’âme des défunts qui conduit à célébrer la messe en présence du corps. L’usage se répand dans les monastères et le clergé, avant de toucher la noblesse et les fidèles laïcs et de devenir une pratique quasi-systématique après le Concile de Trente jusqu’au XXe siècle.
Malgré la place centrale du ministre ordonné induite par cette normalisation, la ritualité est restée longtemps marquée par bien d’autres rites : soins du corps, prières à la maison, veillées, processions vers l’église et le cimetière, mobilisant de nombreux acteurs. Encore présente dans beaucoup de mémoires, cette mobilisation spécifique aux funérailles a facilité l’appel à des laïcs, au départ pour compenser la diminution du nombre de prêtres. Ainsi dans les années 19801990, particulièrement dans les zones rurales, des équipes d’accueil des familles en deuil se mettent en place et parfois la conduite des célébrations est déléguée à des laïcs. Ces initiatives rejoignaient aussi la recherche de voies pastorales nouvelles pour atteindre des fidèles s’éloignant de plus en plus des pratiques traditionnelles. Enfin cette réalité nouvelle d’animateurs laïcs, d’officiants ou de guides des funérailles, selon le nom qu’on leur donne selon les lieux, reflète une maturation de la réflexion quant à la ministérialité dans l’Église.
La redécouverte du rôle des laïcs à Vatican II comme fondement de l’évolution actuelle
Le fondement proprement théologique de cette implication a été remis en lumière par le Concile Vatican II (1962-1965). La constitution Sacrosanctum Concilium exprime ainsi le souhait que « tous les fidèles soient amenés à cette participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques, qui est demandée par la nature de la liturgie elle-même et qui, en vertu de son baptême, est un droit et un devoir pour le peuple chrétien, “race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté” (1 P 2, 9 ; cf. 2, 4-5) » (n. 14). C’est donc le sacrement du baptême qui habilite et devrait inciter chaque chrétien à s’impliquer plus largement dans la mission de l’Église. Vers la fin du Concile, le décret Apostolicam Actuositatem affirme avec force que « les laïcs, par leur action propre, contribuent à ce que l’Église devienne chaque jour davantage la communauté qui annonce le Christ » (n. 2).
Dans le sillage du Concile, le Catéchisme de l’Église catholique soulignera plus tard que « les laïcs […] sont appelés à collaborer aux diverses formes d’apostolat de leur communauté ecclésiale » (CEC, n. 910). C’est à ce titre que des laïcs ont été appelés et formés pour accueillir et accompagner spirituellement les familles en deuil, voire organiser des veillées de prière à domicile ou dans des maisons funéraires. Lorsqu’il y a une célébration à l’église, leur simple présence aux côtés des familles donne à voir un visage d’Église plus large que celui du clergé et exprime symboliquement la coresponsabilité de tous les baptisés pour annoncer le Christ. Cette coresponsabilité qui découle du même baptême reçu par tous peut même aller jusqu’à une collaboration qui touche la présidence toujours indispensable des célébrations liturgiques.
De fait, restant fidèle à la structure sacramentelle de l’Église, le numéro 35 de la constitution conciliaire Lumen gentium prévoit dans son chapitre sur l’apostolat des laïcs que « certains d’entre eux, suivant leurs moyens, apportent, à défaut de ministres sacrés, ou quand ceux-ci sont réduits à l’impuissance par un régime de persécutions, un concours de suppléance pour certains offices sacrés ». On l’a rappelé, c’est selon cette logique de suppléance que des évêques ont au départ envisagé de confier à des laïcs le soin de conduire des obsèques (possibilité confirmée pour la France par la Congrégation pour le culte divin le 26 novembre 1971 [Prot. 2075/71] ;). Mais on peut envisager cette mission autrement que comme une réponse autorisée par le droit (cf. canon 230 du Code de droit canonique) au manque de ministres ordonnés.
Ainsi le Catéchisme de l’Église catholique reçoit l’enseignement du Concile sur le rôle des laïcs en soulignant que « des laïcs peuvent aussi se sentir appelés ou être appelés à collaborer avec les pasteurs au service de la communauté ecclésiale, pour la croissance et la vie de celle-ci, exerçant des ministères très diversifiés, selon la grâce et les charismes que le Seigneur voudra bien déposer en eux » ( n. 910, citant Paul VI, Evangelii nuntiandi, n. 73). Certains ministères sont reconnus par une lettre de mission. D’autres, pour manifester leur importance « stable » pour la vie de l’Église sont reçus dans le cadre d’une célébration liturgique spécifique et sont dits institués. On connaît ainsi le lectorat et l’acolytat. Le pape a récemment ouvert aux femmes ces deux ministères et invité à en réfléchir d’autres selon les besoins des églises locales. Certains suggèrent d’envisager le rôle des « guides » des funérailles selon ce dernier mode. Sans qu’il soit utile de trancher le débat, son existence même invite à ne plus penser la conduite des obsèques par des laïcs seulement sur le mode d’une « suppléance » mais à partir de la réflexion sur la ministérialité dans l’Église comme service de la ministérialité de l’Église pour la mission.
Jean-Marie Lioult
Article paru dans la revue Caecilia, numéro 2, mai 2025

