« Seigneur, ouvre mes lèvres »
Par Joseph Gélineau (31 octobre 1920 – † 8 août 2008), prêtre jésuite, compositeur et liturgiste français
« Seigneur, ouvre mes lèvres ! » Ce sont là, chaque matin, les premiers mots de la liturgie des Heures. Lorsque l’on dit « Ouvrez donc les yeux ! », les yeux sont le symbole de l’intelligence. De même l’ouverture des lèvres est ici le symbole de toute parole de louange adressée à Dieu.
Mes lèvres tantôt gémissent, tantôt jubilent ; tantôt supplient et tantôt chantent. Ce qui en provient révèle toute la gamme de l’humain. Mais lorsque je chante l’office, mon humanité est traversée par l’Esprit qui prie en moi. Car je fais partie de ce « peuple saint », ce « sacerdoce royal… chargé d’annoncer les merveilles de Celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » (1 Pierre 2, 9) Trois charges en découlent.
Annoncer le Règne qui vient
Toute la révélation judéo-chrétienne est orientée vers la création nouvelle que les prophètes ont entrevue, que la résurrection du Christ a réalisée, que l’Église porte à son achèvement.
Dans la prière de ceux qui se rassemblent au nom du Seigneur, ces pèlerins de la foi s’évangélisent les uns les autres à longueur de psaumes, d’hymnes, de lectures et d’exhortations :
« Chantez à la face du Seigneur, car il vient… »
« Le monde ancien s’en est allé,
un nouveau monde est déjà né :
Ne vois-tu pas le jour venir
et tous les arbres reverdir ? »
« Dans notre attente du bonheur espéré
quand se manifestera le Seigneur… »
Cette espérance qui nous tient debout, nous est sans cesse rappelée pour que nous allions en témoigner au monde qui nous entoure, toujours prêts à en rendre compte à ceux qui l’attendent de nous.
Ainsi, tous ceux qui tiennent l’office de la louange sont-ils prophètes pour leur contemporains de la venue du Règne de Dieu en Jésus sauveur.
La prière de l’Église est, par nature, prophétique et missionnaire.
Intercéder pour le monde à sauver
Dans la louange communautaire, nul ne peut se contenter de jouer son propre jeu. Le « je » des psaumes ou le « vous » des lectures, ce n’est jamais « moi, tout seul ».
Dans les psaumes ou les intentions de prière défile toute la misère du monde : les exclus, les exploités, les blessés de la vie… Les « je » et les « nous »signifient que tous les autres sont une partie de moi-même, que tous parlent par mes lèvres.
Intercéder, ce n’est pas seulement nommer devant Dieu les malheureux en lui demandant de s’en occuper, c’est « faire le pas ». Inter-venir, s’engager dans le combat pascal contre les puissances du mal de toutes sortes.
Ainsi, la prière de l’Église est-elle œuvre de salut public, assistance médicale et sociale, coopération caritative, action libératrice de l’humanité. Non pas grâce à nos efforts et à nos moyens, mais par la puissance de la croix.
Ici, mes lèvres s’ouvrent pour « nommer » tous ceux de la famille en les tenant comme à bout de bras vers notre Père commun.
S’offrir en sacrifice spirituel
Depuis la Pentecôte, célébrer ce n’est plus offrir des sacrifices d’animaux ou des prémices, ni réciter beaucoup de prières, ni faire de longues cérémonies. C’est offrir en sacrifice « les paroles de nos lèvres » comme disait déjà le prophète Osée (14, 3).
Qu’est-ce à dire ? Ne faut-il pas justement « avoir dit son office » ?
La Lettre aux Hébreux répond :
« En toute circonstance, offrons à Dieu, par Jésus, un sacrifice de louange, c’est à dire l’acte de foi qui sort de nos lèvres en l’honneur de son nom. » (Hébreux, 13, 15)
L’acte de parole est ici la manifestation – réalisation de notre être croyant en ses profondeurs : l’offrande de tout nous-mêmes au service de Dieu et de son Règne.
Le « sacrifice de louange » – ou mieux encore « le sacrifice d’action de grâce » – dont il est si souvent question dans les psaumes, s’applique également à la liturgie des Heures et à la liturgie eucharistique. Dans les deux cas, il s’agit d’exercer le sacerdoce baptismal du chrétien qui s’offre et est offert en Christ au Père, pour le salut du monde. C’est la « religion véritable » dont parle saint Paul (Romains 12, 1) : s’offrir soi-même en sacrifice.
Ce qui franchit les lèvres qui s’ouvrent, c’est un cœur qui, lui-aussi, est enfin pleinement ouvert à la venue du Règne.
« Ceux qui participent à la liturgie des Heures contribuent donc, par une mystérieuse fécondité apostolique, à accroître le peuple du Seigneur.[1] Car tout labeur apostolique vise à ce que tous, devenu enfants de Dieu par la foi et le baptême, se rassemblent, louent Dieu au milieu de l’Église, participent au sacrifice et mangent la Cène du Seigneur.[2] » (Présentation générale de la liturgie des Heures, n°18)
La sanctification de l’homme s’opère et le culte de Dieu s’exerce dans la liturgie des Heures de manière à instaurer une sorte d’échange ou de dialogue entre Dieu et les hommes, par lequel « Dieu parle à son peuple… et le peuple répond à Dieu par les chants et la prière » … (Présentation générale de la liturgie des heures, PGLH n°14)
Dans la liturgie des Heures, l’Église, en exerçant la fonction sacerdotale de son Chef, offre à Dieu « sans relâche » le sacrifice de louange, c’est à dire « le fruit de lèvres qui confessent son nom ». Cette prière est « la voix de l’Épouse elle-même qui s’adresse à son Époux ; et, mieux encore, c’est la prière du Christ que celui-ci, avec son Corps, présente au Père » … (PGLH, n°15)
(…) Dans la liturgie des Heures, nous proclamons cette foi, nous exprimons et nourrissons cette espérance, nous participons en quelque sorte à la joie de la louange perpétuelle et du jour qui ne connaît pas de crépuscule. (PGLH, n°16)
Mais outre la louange de Dieu, l’Église apporte dans la liturgie les appels et les désirs de tous les fidèles du Christ, et c’est même pour le salut du monde entier qu’elle interpelle le Christ, et par lui, le Père… (PGLH ; n°17)
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1. Citation du Décret sur la rénovation de la vie religieuse de Vatican II, « Perfectae caritatis », n°7.
2. Citation de la Constitution sur la Sainte Liturgie de Vatican II, n°10.
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