Du tourisme religieux au pèlerinage
Partir en pèlerinage, c’est d’abord partir : quitter ses lieux habituels, son horizon, ses relations immédiates… Le pèlerinage comporte donc une part de découverte, de dépaysement, et disons-le tout net de tourisme, fût-il religieux. Mais comment faire pour que cette part de tourisme donne accès à l’esprit du pèlerinage, cette démarche par laquelle des personnes peuvent se découvrir membres d’une Eglise toujours en marche ?
Divers éléments se conjuguent ensemble :
Un projet. Les directeurs de pèlerinages qui proposent une expérience ont un projet pastoral, un fil rouge à tirer chaque jour, un thème à développer, des points de la foi chrétienne à expliciter, des expériences à proposer… La responsabilité pastorale du directeur (y compris non prêtre) implique qu’un projet sous tende le déplacement.
Un groupe. Avant le départ ou dans les premières heures prendre un temps pour une présentation rapide, l’expression par chacun (s’il le souhaite) de ses objectifs ou motivations, de ses souhaits. Cela constitue déjà le groupe et favorise les échanges par la suite. Evidemment les animateurs présentent clairement leur projet. Dans les dernières heures du pèlerinage, il n’est pas sans importance de proposer un temps de relecture, d’évaluation. On peut alors mesurer que la motivation de départ est largement dépassée, on a vécu des découvertes et des expériences dont on ne soupçonnait pas toute la richesse.
Un déplacement qui libère la parole. Les déplacements, en autobus par exemple, renforcent l’unité et sont donc aussi l’occasion d’une explication d’un enseignement, d’une prière… certes par des interventions brèves pour ne fatiguer personne, la sieste peut même être au programme ! Là aussi se crée le groupe, suivront ensuite des rencontres, des échanges particulièrement au cours des repas. Ces échanges font aussi partie du pèlerinage. Il n’est pas rare que, du fait de la convivialité, des personnes partagent des moments importants de leur vie, des soucis, des fardeaux dont ils ne parlent pas habituellement ; il arrive que des amitiés se nouent et que certains se retrouvent par la suite. Lieu de parole, le pèlerinage ouvre un avenir possible pour d’autres échanges.
Une proposition spirituelle. Beaucoup de pèlerinages s’organisent autour de la vie d’un saint d’une sainte ; sur place des œuvres d’art très souvent nous suggèrent quelque chose du message. Il est nécessaire de situer cela dans la vie de l’Eglise du temps, et de voir comment cela nous rejoint. Les saints dont on fait mémoire ne sont pas idéalisés ; les circonstances concrètes de leurs vies, leurs qualités et leurs limites nous les rendent plus proches, plus humains.
Ce peut être aussi un lieu d’apparitions. Là encore un message est donné. La richesse en apparaît avec plus d’actualité en le replaçant dans son contexte historique.
L’ouverture à une intériorité par le concret : Un pèlerinage n’est pas seulement une démarche intellectuelle. Il comporte des démarches concrètes : ainsi à Lourdes par exemple, toucher le rocher, se laver à la fontaine, allumer un cierge. Le plus souvent un pèlerinage comporte un temps de marche (évidemment adapté aux capacités de chacun), car il y des choses qui n’entrent que par les pieds !
Car le pèlerinage a une dimension particulière chez les chrétiens. Certes le pèlerinage a une dimension anthropologique profonde si bien qu’il est une réalité présente dans toutes les religions. Cependant les chrétiens ne vont pas en un lieu pour y trouver Dieu spécialement. Ils rencontrent leur Dieu partout, ils peuvent le prier en tout lieu et particulièrement chez eux. Mais le déplacement physique est un signe et une aide au déplacement intérieur. Une occasion de découvertes, de réflexions, de rencontres.
Une vie liturgique. Les célébrations au cours du pèlerinage, en particulier l’eucharistie, ne sont pas obligatoires ; cependant l’expérience montre que la grande majorité y sont fidèles, en particulier ceux qui ne sont pas pratiquants réguliers. L’eucharistie implique souvent d’être adaptée au lieu où l’on se trouve. Cela est particulièrement vrai pour un pèlerinage en Terre Sainte. Ainsi à Bethléem, on célèbre Noël, d’autant plus que la liturgie proposée par les Franciscains ajoute le mot « ici ». Il en est de même dans tous les lieux où l’on évoque un épisode évangélique.
Un pèlerinage est aussi l’occasion de redécouvrir ou de découvrir la prière des psaumes. La prière du matin et du soir est habituellement inspirée de la liturgie des heures. Cela implique la prière des psaumes qui n’est pas forcément familière à tous. En découvrant les remparts de la vieille ville de Jérusalem, les mots du psaume 121, l’un des psaumes dit des montées, prennent de la force. Il importe de donner quelques clés pour cette prière : dans les psaumes nous trouvons tous les cris des hommes, ils sont la prière du peuple de la bible pour qui Dieu n’est pas un problème mais une personne à qui l’on s’adresse en lui disant « tu ». C’est particulièrement la prière de Jésus de Nazareth et de sa mère. Surtout nous les prions à la lumière de la résurrection, ils sont la prière du Christ total, la tête et les membres, adressée au Père.
Dans ces temps de prière il y a aussi le partage d’intentions, de demandes… Il est habituel de dire que les pèlerins partent avec de grosses « valises » : soucis divers, peines, déceptions… Ce n’est pas parce que cela est caché que c’est moins lourd. D’où l’importance de prier les uns pour les autres et pour toutes les intentions personnelles.
Une expérience de vie en Église. Le pèlerinage est fait de divers éléments qui se compénètrent et font une ambiance ; il est difficile d’en rendre compte car c’est de l’ordre de l’expérience. C’est une expérience d’Eglise, par l’écoute d’abord, écoute de l’Évangile, mais aussi écoute mutuelle entre les pèlerins. L’Évangile s’écoute en Eglise.
Pour un temps les pèlerins sont une cellule d’Eglise liée au diocèse d’origine. Vatican II a identifié Eglise locale ou particulière et diocèse (Décret sur la charge pastorale des évêques « Christus Dominus » n° 11). Les pèlerins sont les ambassadeurs de leur Eglise auprès d’autres Eglises, d’où l’idée de visitation où chacun donne et reçoit. Il est toujours intéressant de découvrir ce que vit une Eglise dans son contexte, mais ceux qui nous accueillent sont aussi intéressés par ce qui se vit chez nous. Un pèlerinage comporte habituellement un certain nombre de rencontres : accueil d’un témoin, participation à l’assemblée du dimanche là où l’on se trouve… Autant d’occasions de découvrir la richesse de vie de l’Eglise, son universalité, sa variété.
La rencontre de diverses communautés chrétiennes et parfois d’autres confessions chrétiennes permet de toucher du doigt qu’il y a plusieurs façons d’être chrétien et même plusieurs façons d’être catholique. Même celui qui marche seul vers Compostelle vit une démarche en Eglise par l’accueil qu’il reçoit et les célébrations qui lui sont offertes. D’expérience, tous soulignent la richesse des rencontres fortuites faites sur le chemin.
Ces divers éléments aident donc à ce que même des « touristes » puissent devenir pèlerins. Et n’oublions pas que le pèlerinage, c’est aussi revenir, riches de l’expérience vécue, pour en faire bénéficier notre Eglise locale et nos proches. Dans le livre des bénédictions qui nous donne une bénédiction des pèlerins au départ, il y a aussi une bénédiction des pèlerins au retour : « tu as protégé nos frères dans leur pèlerinage, pour qu’ils s’attachent à toi avec plus de foi et qu’ils te servent avec plus d’ardeur ; comble-les maintenant de tes bénédictions pour qu’ils rentrent chez eux dans la joie, qu’ils racontent autour d’eux tes merveilles et qu’ils en témoignent dans leurs actes… ».