Quelques mots sur l’homélie
Par Michel Thibault, prêtre du diocèse d’Orléans
À l’articulation de la liturgie de la Parole et de la liturgie de l’eucharistie – l’une et l’autre structurées, ordonnées, inspirées – l’homélie apparaît comme un moment de libre expression, fortement marquées par la personnalité de celui qui la prononce, l’attente de la communauté qui l’accueille, la couleur du temps liturgique qui la nourrit. C’est dire la variété, la force et la fragilité de cet exercice délicat, de cet art véritable dont chacun, de part et d’autre de l’ambon, serait à même de témoigner. Aussi nous limiterons-nous à rappeler quelques données fondamentales lesquelles, en ce qui nous concerne, ont orienté des années de pratique et enrichi de multiples échanges.
L’homélie relève de la mystagogie. À la jonction des deux tables, il lui revient de souligner comment la Parole proclamée et reçue conduit à la célébration rituelle de la foi. Le premier temps de la préparation, et sans doute le plus important, conduit donc à une méditation personnelle des textes liturgiques par celui auquel l’homélie est confiée. Même enrichie, ce qui est souhaitable, de différents points de vue, l’homélie ne saurait se réduire à leur synthèse.
Ne peut introduire au mystère que celui qui s’en est d’abord pénétré. Cette méditation initiale se souviendra utilement de l’adage : « Le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien ; l’Ancien s’accomplit dans le Nouveau. » Cet adage souligne, entre la première lecture prolongée par le psaume et l’évangile, une dynamique qui, relayée par l’homélie et la prière universelle, s’épanouit dans le rite. Pareillement, ce dernier – que structurent l’action de grâce, l’épiclèse et l’anamnèse – fait apparaître dans l’Écriture un relief que la Tradition a longuement exploré, distinguant quatre sens dont l’observation demeure pertinente : le sens historique qui se dégage du conteste culturel et littéraire ; le sens spirituel que discerne la foi ; le sens éthique et moral qui suscite une charité active ; et le sens « anagogique », vers l’au-delà, qui engendre l’espérance. Ainsi, quand nous lisons : « Un lépreux vint trouver Jésus, il tombe à genoux et le supplie : ‘Si tu le veux, tu peux me purifier’ » (Marc 1, 40), nous sommes conduits, à travers la situation du lépreux en Israël, à la rencontre du pécheur et de son sauveur. Nous nous sentons invités aujourd’hui à une telle rencontre, à nous livrer avec confiance à l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts.
Ainsi habités par les textes, celui qui est chargé de l’homélie fera bénéficier l’équipe de préparation de sa propre méditation. Il lui évitera de ne s’intéresser qu’à un seul sens de l’Écriture ; de passer, par exemple, du contexte religieux et social d’autrefois à celui d’aujourd’hui, en faisant l’impasse sur la conversion du regard et l’ouverture du cœur au mystère du salut. Réciproquement, il se montrera attentif aux préoccupations de la communauté, aux questions qu’elle se pose, exégétiques, spirituelles, morales ; il en nourrira l’homélie.
L’heure venue, d’autant plus détaché de son texte qu’il l’aura préparé avec soin, d’autant plus heureux de le partager qu’il en aura éprouvé la fécondité, l’auteur de l’homélie donnera libre cours à la parole, la modulant selon les réactions silencieuses de l’assemblée. « Au bout de deux minutes, disait le violoniste Isaac Stern, je sens si l’auditoire a de l’oreille. » L’assemblée, dirions-nous, a de l’oreille dans la mesure où le prédicateur a du cœur.
Cet article est extrait de Célébrer, n°304, mai 2001, p 25-26
Télécharger l’article complet en PDF :