Mystagogie et service de l’autel (1) : qu’est-ce que la catéchèse mystagogique ?

22 juin 2014 : Servant d'autel, lors de l'ordination presbytérale d'Arnaud DHUICQ en la cathédrale Notre-Dame de Reims. Reims ( 51 ), France.

Par le père Laurent Tournier, prêtre eudiste, ancien directeur adjoint du service national de la catéchèse et du catéchuménat

 

Le père Laurent Tournier est intervenu sur ce thème lors de journée nationale organisée par le SNPLS pour les référents diocésains Servants d’autel le mardi 6 juin 2017.

Introduction

Nous allons approfondir notre réflexion sur la mystagogie et son lien avec le service de l’autel. La mystagogie est une catéchèse. Y a-t-il un lien entre catéchèse et service de l’autel ?

Le Texte National des Orientations de la Catéchèse (communément appelé TNOC) nous donne la réponse [cf. TNOC p. 43 avec citations de la lettre aux Catholiques de France (1996), p. 62] :

« L’initiation demande de mettre en contact les personnes avec la liturgie de l’Église telle que les Rituels en régulent la célébration et en établissent le cadre. Parce que « l’Église croit comme elle prie », la liturgie est le lieu où l’Église expérimente pour elle-même dans toute sa richesse la foi dans laquelle elle est établie. La liturgie est surtout un lieu vivant de l’initiation : dans le langage de la beauté, les attitudes, les déplacements, les gestes et paroles qu’elle fait vivre, elle aide à découvrir comment chaque acte et parole du Christ ont  été posés pour « notre salut ». C’est par ce chemin d’expérience que la liturgie insère dans le mystère pascal. Et « le lieu principal où s’inscrit en ce monde le mystère pascal, c’est le sacrement de l’Eucharistie. » »

Il y a donc bien un lien réciproque : par la catéchèse « mettre en contact » avec la liturgie qui soutient et nourrit la foi ; et permettre à la liturgie de déployer son potentiel catéchétique pour favoriser la croissance de la foi.

Nous nous en tiendrons ici à la seule célébration de l’Eucharistie. Cela n’épuise pas le tout de la liturgie, ni la totalité de sa capacité catéchétique, mais des responsables de servants d’autel, cette restriction se comprend.

Depuis 30 ans, nous avons pris la judicieuse habitude de magnifier la « table de la Parole ». C’est justifié puisqu’il y avait une forme de déficit en la matière. Mais il ne faudrait pas pour autant que cela occulte que tout sacrement est constitué par la Parole et le rite. Et c’est donc bien sûr le cas pour la célébration de l’Eucharistie. Il ne faut pas dissocier les deux « tables », celle de la Parole et celle de l’Eucharistie. Ainsi la célébration eucharistique dans son entier demeure liturgie, une action, une action porteuse du mystère de la foi. La catéchèse mystagogique veut permettre d’y participer plus pleinement. Et pratiquée avec les servants de l’Eucharistie (et pas seulement les servants de l’autel), cela permet d’aider à ce que leur service contribue à ouvrir un accès au mystère.

Mais je vais trop vite. Procédons par étapes. Demandons-nous d’abord : qu’est-ce que la catéchèse mystagogique et qu’apporte-t-elle ? Puis posons-nous la question : comment prépare-t-on une catéchèse mystagogique ? Alors nous pourrons prendre le temps de regarder un exemple de catéchèse mystagogique.

Qu’est-ce que la catéchèse mystagogique et qu’apporte-t-elle ?

Pour rappel car vous devez tous les savoir, le mot « mystagogie » est composé de deux mots grecs : mystère et mouvement d’entrer. Donc nous pouvons traduire « mystagogie » par « entrer dans le mystère », celui de la révélation chrétienne.

Il ne s’agit pas d’entrer dans une compréhension intellectuelle ou scientifique. Le mystère reste le mystère. Mais il s’agit d’une entrée personnelle, de faire le pas qui relie le mystère et ma vie. Henri de Lubac disait qu’il faut « habiter le mystère de l’intérieur ». Je pense que la mystagogie est écho pratique à la parole du Christ : « demeurer en moi comme moi en vous » (Jn 15,4). C’est une catéchèse qui permet de percevoir comment le Seigneur mystérieusement demeure en nous et nous permet que notre vie demeure en la sienne. C’est ce mystère qui est célébré dans la liturgie. La mystagogie soutient donc le chemin de la foi, aide à entrer plus avant dans le mystère du Christ cru, célébré et vécu. Par la catéchèse mystagogique, en entrant de façon plus impliquée dans le mystère, il en va pour tous d’accroitre la cohérence entre ce qui est vécu et ce qui est célébré.

En reprenant ces différents fils, nous pouvons accueillir la définition de la mystagogie donnée par le pape Benoit XVI, dans Sacramentum caritatis, au numéro 64c :

« La catéchèse mystagogique doit se préoccuper de montrer la signification des rites en relation avec la vie chrétienne dans toutes ses dimensions, travail et engagement, réflexion et sentiments, activités et repos. Mettre en évidence le lien des mystères célébrés dans le rite avec la responsabilité missionnaire des fidèles fait partie de cet itinéraire mystagogique. En ce sens, le résultat final de la mystagogie est la conscience que sa propre existence est progressivement transformée par la célébration des saints Mystères. De fait, le but de toute éducation chrétienne est de former le fidèle, comme un « homme nouveau », à une foi adulte, qui le rend capable de témoigner dans son milieu de l’espérance chrétienne qui l’anime ».

C’est ce qu’il nous faut aider chez les servants d’autel. Il faut les éveiller au lien entre le rite et la vie. Et l’enjeu est important car en sollicitant leur compréhension nous leur permettons d’accomplir leur mission de service : permettre de favoriser la participation et l’adhésion personnelle plus forte de tous les membres de l’Assemblée, ministres ordonnées, servants, et tous les autres. Au final, la catéchèse mystagogique qui soutient chacun dans l’approfondissement de sa foi, va permettre au servants d’autel d’entre dans une démarche missionnaire d’éducateur à la vie chrétienne.

Creusons davantage pour comprendre ce que la catéchèse mystagogique apporte.

Appuyons nous encore sur la pédagogie du TNOC. De manière triviale, dans une première compréhension, « ces temps de catéchèses ont pour fonction de donner l’intelligence de ce qui a été vécu durant la célébration » [TNOC page 96].

Mais cet effort intellectuel n’est pas suffisant. Le TNOC souhaite que des temps de catéchèse après les célébrations prennent « appui sur ce qui a été vécu dans le sacrement pour rentrer davantage dans la perception de l’amour gratuit que Dieu a manifesté » [TNOC page 54]. Il y a un enjeu de développement de la relation personnelle avec Dieu. Et c’est ce déploiement qui s’opère ensuite dans tous les actes de la vie.

Il faut tenir ensemble ces trois étapes : compréhension, relation, quotidien. C’est bien la triade de la foi crue, célébrée, vécue. C’est ce mouvement que le saint pape Jean-Paul II décrivait dans Mane nobiscum Domine, n°17 : « que les Pasteurs aient à cœur de développer une catéchèse mystagogique, si chère aux Pères de l’Église, car elle permet de découvrir la signification des gestes et des paroles de la Liturgie, aidant ainsi les fidèles à passer des signes au mystère et à enraciner en lui leur existence tout entière ». [Lettre apostoliqueMane nobiscum Domine, 2004, n°17].

La catéchèse mystagogique va favoriser non pas l’implication des personnes, ce qui est déjà une chose heureuse en termes de « participation consciente, active et fructueuse » (Sacrosanctum Conciliumn°11) mais plus encore elle va unir la vie spirituelle et la vie quotidienne.« Par la mystagogie, et donc en méditant sur les rites, j’apprends à reconnaître le mystère de ma propre vie en Dieu, célébrée dans les rites et vécue dans l’existence. J’entre dans le mystère […]Quand je célèbre l’Eucharistie, je célèbre les multiples manières dont Dieu se donne à nous aujourd’hui et j’apprends à me donner moi-même avec le Christ au Père et à mes frères. Je le vis dans le rite pour pouvoir le vivre dans la vie quotidienne. J’essaie de le vivre dans la vie quotidienne et je le célèbre dans le rite ». [Christian Salenson,Catéchèses mystagogiques pour aujourd’hui, sous la direction de Jean-Claude Reichert, Ed. Bayard, 2008, p. 77]

Par ce temps de catéchèse mystagogique il faut donc faire entrer dans le mouvement de la vie de foi et donner le goût de participer à la liturgie [Cf. Patrick Prétot, Des temps de catéchèse communautaires pour l’année liturgique, sous la direction de Jean-Claude Reichert, Ed. Bayard, 2006, p. 42]. C’est bien ce mouvement de la foi dans le croire, le célébrer et le vivre qu’il faut éclairer dans ces catéchèses. Si les servants l’expérimentent pour eux-mêmes, ils pourront servir l’Eucharistie et servir le déploiement de l’Eucharistie dans la vie de leurs frères et sœurs.

Comme directeur adjoint du SNCC en charge du catéchuménat, je me permets de citer en conclusion de cette partie théorique le Rituel de l’Initiation Chrétienne des Adultes, le RICA, au numéro 237 : « Les néophytes acquièrent une intelligence plus complète et plus fructueuse des mystères grâce avant tout à l’expérience des sacrements reçus et à la catéchèse qui l’accompagne […]. Dans cette expérience propre aux chrétiens et développée par leur manière de vivre, ils puisent un nouveau sens de la foi, de l’Église et du monde ».

Que ce soit à partir de saint Jean-Paul II, du pape Benoit XVI, du RICA ou du TNOC, il y a une convergence sur l’importance à donner aux catéchèses mystagogiques afin de magnifier l’union de la foi en Christ célébrée, professée et vécue. Ainsi le croyant développe sa participation à la liturgie qui avant d’être une action de la communauté chrétienne est avant tout une action de Dieu qui appelle son adhésion, sa participation. C’est ce qui est synthétisé dans le RICA au n°236 : la communauté chrétienne introduisant les nouveaux baptisés dans le mystère du Christ « médite l’Évangile, participe à l’eucharistie, exerce la charité, pour progresser dans l’approfondissement du mystère pascal et le traduire toujours plus dans la vie ».

Peut-être certains qui savent tout cela, savent aussi que la mystagogie est une pratique ancienne dans l’Église. Alors pourquoi la remettre au goût du jour ? C’est vrai que la mystagogie n’est pas une nouveauté dans l’histoire de l’Église. Celle-ci a connu son moment de gloire au IV° siècle, grâce aux catéchèses mystagogiques de quelques grands théologiens de l’époque : Cyrille de Jérusalem, Ambroise de Milan, Jean Chrysostome, Théodore de Mopsueste. Sans forcer les traits ni faire de concordisme, il semble possible de voir pour aujourd’hui les mêmes besoins à prendre en compte. Ainsi pour Jean Daniélou, le IV° siècle courait le même risque que le nôtre : « celui de ne voir dans des rites que des gestes incompréhensibles, ouvrant ainsi la voie à la magie, ou au contraire au scepticisme. Il s’agit donc de projeter la plus grande clarté et le plus grand sens sur les gestes et sur les objets présentés à des personnes ignares » [Jean Daniélou et Régine de Charlat, La catéchèse aux premiers siècles, Fayard, Paris, 1968]. Reconnaissons que nous sommes confrontés à une difficulté nouvelle : les rites ne parlent plus à nos contemporains. Alors s’ils en restent étrangers, combien plus leur vie sera insensible à ce que les rites expriment en terme d’appel à la transformation.

Et saint Jean-Paul II de regarder ainsi la mission renouvelée de l’Église en Europe : « Dans le contexte de la société actuelle, souvent fermée à la transcendance, étouffée par des comportements consuméristes, propice aux formes anciennes et nouvelles d’idolâtrie, et en même temps assoiffée de quelque chose qui aille au-delà de l’immédiat, la mission qui attend l’Église en Europe est tout à la fois exigeante et exaltante. Elle consiste à redécouvrir le sens du « mystère » ; à renouveler les célébrations liturgiques afin qu’elles soient des signes toujours plus éloquents de la présence du Christ Seigneur; à assurer de nouveaux espaces au silence, à la prière et à la contemplation ; à revenir aux Sacrements, surtout l’Eucharistie et la Pénitence, car ils sont source de liberté et de nouvelle espérance. C’est pourquoi, à toi, Église qui vis en Europe, j’adresse un appel pressant : Sois une Église qui prie, qui loue Dieu, qui en reconnaît la primauté absolue et qui l’exalte avec une foi joyeuse. Redécouvre le sens du mystère : vis-le avec une humble gratitude ; témoignes-en avec une joie convaincue et contagieuse. Célèbre le Salut du Christ : accueille-le comme un don qui fait de toi son sacrement; fais de ta vie le vrai culte spirituel qui plaît à Dieu (cf. Rm 12, 1) » [Jean-Paul II, Ecclesia in Europa (2003), n°69].

Nous avons sûrement à faire entendre cet appel aux servants. C’est tout un programme pour eux : prie, redécouvre le sens du mystère, vis-le, témoignes-en avec une joie convaincue et contagieuse !

C’est pour cela que dans un second temps, nous allons réfléchir à la méthode pour mettre en œuvre cette catéchèse mystagogique avec les servants.

 

Lire la suite de l’intervention :

2. Comment prépare-t-on une catéchèse mystagogique ?

3. La catéchèse mystagogique en pratique

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