« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » Mc 1, 15
Par Christophe de Dreuille, Supérieur du séminaire d’Aix en Provence
La conversion, chez saint Marc, est rattachée à l’accomplissement des temps et consiste à croire en l’Évangile. L’enracinement vétérotestamentaire de ce dernier terme donne des clés qui permettent de qualifier le mouvement de conversion et de l’inscrire dans la démarche quadragésimale.
Cette invitation à la conversion est prononcée lors de l’inauguration du ministère de Jésus. En Mc 1, 14-15, l’évangéliste a d’emblée mis en valeur le cœur du message du Christ, cet « Évangile de Dieu » qu’il est venu proclamer.
Ce sommaire est composé de deux formules de révélation liées entre elles : « le temps est accompli et le règne de Dieu s’est approché ». En découlent les deux injonctions également liées entre elles : « convertissez-vous et croyez à l’Évangile ». Il est remarquable que les formules sur l’accomplissement des temps et la venue du règne de Dieu ne soient pas réservées pour la réflexion sur le Christ glorifié. Elles caractérisent ici la personne de Jésus et sa mission depuis leurs commencements.
C’est donc la totalité du ministère de Jésus qui s’inscrit dans cette perspective radicalement nouvelle. Avec Jésus, nous ne sommes plus dans le temps de l’attente du don mais désormais dans celui de son accueil et de son déploiement. Or c’est précisément ici que l’invitation à la conversion trouve sa place ; non seulement face à la croix ou devant le tombeau vide, mais dès les commencements. C’est ainsi que nous pourrons suivre Jésus en disciple tout au long du don qu’il fait de lui-même. D’autre part, saint Marc qualifie cette conversion : il s’agit de croire à l’Évangile. Ce dernier terme est ici mis en valeur, comme le souligne la comparaison avec Mt 4, 12-17 où il n’est pas mentionné. Or ce terme d’Évangile nous est tellement familier que nous n’avons peut-être pas présent à l’esprit la signification qu’il avait à l’époque.
Évangile : de quelle bonne nouvelle s’agit-il ?
Avant de se retrouver sous la plume de saint Paul et de devenir le titre même de l’ouvrage de saint Marc, le terme d’Évangile, « bonne nouvelle », avait dans l’Antiquité une signification profane précise. Il désignait la bonne nouvelle d’une victoire militaire. Le messager de la bonne nouvelle était alors ce soldat chargé d’annoncer le plus rapidement possible la victoire à la ville pour que ses habitants se réjouissent et se préparent à accueillir à leur retour l’armée et son général victorieux pour célébrer avec eux le triomphe. Dans le contexte de l’exil, un prophète va donner à ce terme une signification religieuse. En Is 40-55, il se présente comme une « voix », envoyée pour « consoler » son peuple en lui annonçant la fin prochaine de l’exil. Il proclame la bonne nouvelle de la victoire du Seigneur et invite le peuple à se réjouir de cette victoire. « Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager qui porte la bonne nouvelle » (cf. Is 52, 7-12). Cette référence au deuxième-Isaïe est particulièrement intéressante aussi bien pour le début de l’Évangile selon saint Marc que pour l’appel à la conversion qui résonne liturgiquement au début du Carême.
« Croire à l’Évangile »
Rappelons-nous ce que représentait pour Israël cette période de l’exil. C’était un peuple infidèle à l’Alliance qui avait subi le désastre de la déportation. C’était un peuple coupable qui se voyait retiré tout ce qui était perçu comme des dons de Dieu : la terre, le roi, la ville sainte et le Temple. Aussi en exil, le peuple se conçoit-il comme condamné, désormais trop loin du Seigneur, abandonné pour avoir lui-même abandonné le Dieu de l’Alliance. C’est dans ce contexte que va éclater l’annonce inattendue, inimaginable surtout, du salut. La bonne nouvelle est alors celle de ce Dieu qui a fait tout le chemin pour rejoindre son peuple exilé, qui a remporté pour lui la victoire, et qui peut le ramener dans la joie sur sa terre. Désormais, le peuple est invité à « croire à cette bonne nouvelle », c’est-à-dire à accueillir la rédemption que lui offre le Seigneur et à accepter qu’il règne sur lui. Il pourra alors abandonner toute prétention orgueilleuse, s’appuyer sur la Parole de Dieu et choisir de vivre dans l’alliance que lui offre de manière renouvelée le Seigneur.
Conversion en temps de Carême
Le rite de l’imposition des cendres à l’entrée en Carême est un geste pénitentiel qui marque la reconnaissance de notre situation de pécheurs, mais pas seulement. Il nous rappelle également notre condition de créature, ce que l’orgueil voudrait toujours nous faire oublier. Avec l’invitation à « croire à l’Évangile », et le lien que nous avons mis en évidence avec la situation de l’exil, la conversion demandée au début du chemin quadragésimal se précise.
Il ne s’agit pas d’une simple conversion morale, d’une simple modification de nos comportements. L’enjeu est infiniment plus important et essentiel. Nous sommes invités à recevoir l’annonce de la Bonne nouvelle d’un salut qui nous est offert gratuitement, à l’accueillir, à suivre le Christ qui vient jusqu’à nous et en qui le règne de Dieu s’approche de nous. Il ne s’agit donc plus d’attendre un salut à venir, surtout pas de conditionner le salut à nos actes de pénitence. Mais nous devons entrer dans la perspective radicalement nouvelle d’un salut déjà offert, gratuitement offert, qu’il s’agit d’accueillir et d’épanouir en nos cœurs. Alors nous pourrons ajuster nos actes, nos choix, nos comportements en les rendant conformes à cette bonne nouvelle annoncée et déjà offerte.
Extrait du dossier La pénitence a-t-elle un sens ?
Télécharger l’article complet en PDF :