Dimanches de Carême : les trois évangiles des scrutins
Par Christophe de Dreuille, Prêtre, Supérieur du séminaire d’Aix en Provence
Pour accompagner l’ultime préparation des catéchumènes à leur baptême, et le cheminement des fidèles vers les célébrations pascales, la liturgie dominicale offre un parcours jalonné de trois grands récits empruntés à l’évangile selon saint Jean. S’ils ne forment pas à proprement parler, dans le 4ème Évangile, une séquence, la tradition chrétienne n’a cependant pas trahi l’intention de l’évangéliste en les rapprochant. Dans sa présentation du ministère de Jésus, saint Jean a en effet traité ces trois rencontres avec un soin et un déploiement sans équivalents.
Trois rencontres décisives
Les thèmes abordés par Jésus dans ces récits motivent à l’évidence le choix de la liturgie : respectivement, l’eau vive en Jn 4, la lumière en Jn 9, la résurrection et la vie en Jn 11. Mais la valeur baptismale de ces textes tient tout autant aux caractéristiques de ces rencontres elles-mêmes. Aussi, avant de parcourir chaque récit, est-il utile de souligner leurs points communs.
Une situation figée
Au début de chacun d’eux, nous nous trouvons face à une situation négative qui, à vue humaine, semble irrémédiablement figée : l’opposition entre juifs et samaritains ; un aveugle de naissance ; un mort.
Jésus se manifeste
Cette situation nécessite alors l’initiative de Jésus lui-même. Il se révèle comme celui qui peut donner ce que l’on ne pense même pas à demander, ce que Dieu seul peut offrir. Jésus se manifeste comme source de vie. Surtout chacune de ces rencontres est l’occasion pour Jésus de proposer un parcours de foi qui transforme profondément ses interlocuteurs.
Transformation et témoignage
Ceux qui sont ainsi transformés vont témoigner : la Samaritaine devient la première missionnaire, l’aveugle-né guéri devient disciple et tient tête aux autorités juives, Lazare ressuscité devient un signe de contradiction.
Les Écritures sont acceptées
Enfin Jésus accomplit les Écritures. Ce qui était annoncé par les prophètes pour plus tard, il le réalise maintenant en sa personne.
Jésus et la Samaritaine : une rencontre improbable (Jn 4, 4-42)
Dans ce récit, rien ne se passe comme on pourrait l’imaginer. Tout d’abord cette rencontre n’aurait jamais dû avoir lieu : une femme, une Samaritaine, une pécheresse qui en raison de son genre de vie vient puiser de l’eau à l’heure où elle pense ne rencontrer personne. Jésus, qui apparaît comme un importun, ne déroule pas alors son enseignement. Mais celui qui s’apprête à faire le don de l’eau vive nouvelle commence par lui demander à boire. Par une série de malentendus à valeur pédagogique, Jésus conduit progressivement cette femme à formuler sa propre demande et à faire la vérité sur sa vie passée.
Comme le résume la préface du 3e dimanche de Carême, « il avait un si grand désir d’éveiller la foi dans son cœur, qu’il fit naître en elle l’amour même de Dieu ». C’est une femme nouvelle, réconciliée, qui laissant sa cruche devient alors source d’eau vive pour ses compatriotes qu’elle conduira au Christ, « Sauveur du monde ». En réconciliant cette femme avec elle-même, Jésus vient réconcilier en sa personne le peuple d’Israël divisé depuis des siècles, accomplissant ainsi les oracles des prophètes de l’Exil.
Jésus et l’aveugle-né : de la guérison à l’illumination (Jn 9, 1-41)
La piscine de Siloé qui est alimentée par la seule source de Jérusalem est le point de départ des processions qui durant la fête des Tentes portaient l’eau jusqu’au Temple (cf. Jn 7, 37-39). Par le geste évocateur de l’action créatrice de Dieu, et par la référence à cette piscine, Jésus se manifeste comme la source d’un don qui va conduire l’aveugle à une double « illumination » : guéri de sa cécité il peut dire « je suis » (cf. Jn 9, 9) ; puis rencontré par le Christ qu’il voit enfin, il professe : « je crois Seigneur » (Jn 9, 38). Le parcours de l’aveugle guéri est rapporté en une série de paradoxes qui orientent le récit vers une vision dépassant celle des sens pour aboutir à l’acte de foi du disciple. Au point de départ, l’aveugle-né est considéré par ses contemporains comme un pécheur ; il le demeure aux yeux des pharisiens qui l’interrogent. Il arrive cependant à leur tenir tête, dévoilant avant même que Jésus le fasse lui-même leurs contradictions et leur péché. À la fin du récit, s’il est devenu voyant, et surtout croyant, ce sont les pharisiens qui sont convaincus d’aveuglement.
Les liens de ce chapitre avec l’entretien de Jésus avec Nicodème (Jn 3, 1-21) et le titre d’illumination donné anciennement au baptême soulignent la dimension baptismale de ce parcours.
Jésus et Lazare : de la mort à la vie (Jn 11, 1-45)
C’est l’ultime signe que fait Jésus avant de s’acheminer vers sa Pâque. Il est marqué par l’opposition la plus radicale: mort/vie. Le cheminement de foi que propose Jésus consiste en la conversion la plus profonde de nos mentalités : l’existence du croyant n’a plus désormais pour perspective la mort, mais la vie et la gloire de Dieu. Jésus, uni à son Père, s’est en effet manifesté comme le vainqueur du combat contre la mort. Les bénéficiaires de ce signe en sont non seulement Lazare, mais également les autres membres de cette famille amie de Jésus que sont Marie et Marthe. C’est d’ailleurs cette dernière qui, au cœur du récit, s’entretient avec Jésus. Elle est invitée à passer de la croyance pharisienne en la résurrection « au dernier jour » à la proclamation de sa foi en Jésus Christ, Fils de Dieu, source de vie. Lazare sorti vivant de son tombeau sera le signe que Jésus, envoyé du Père, est lui-même, en sa personne, « la résurrection et la vie ». Ce signe donné à tous, fonde l’espérance des croyants.
Cet article est extrait de la revue Célébrer n°401