La Maison-Dieu n°294 : Miséricorde et réconciliation

LMD 294 couv WebLe numéro 294 de la revue d’études liturgiques et sacramentelles La Maison-Dieu est intitulé Miséricorde et réconciliation. Ce volume de la revue trimestrielle du SNPLS est paru en décembre 2018 aux éditions du Cerf.

L’année 2016 est déjà loin ! Mais en est-il de même du Jubilé de la miséricorde voulu par le pape François, tout au moins de certains de ses fruits ?

L’ambition de ce dossier de La Maison-Dieu n’est pas de les quantifier, ni même d’en faire un inventaire, mais de chercher à mesurer ce que cela a pu induire, voire changer, dans nos manières d’appréhender sacramentellement la réconciliation et la pénitence. En effet, si l’on tient avec le pape François et le Cardinal Kasper1 que la miséricorde n’est pas seulement un simple attribut de Dieu (parmi d’autres) mais qu’elle fait partie de son mystère, qu’elle dit quelque chose de Dieu même dans la communication de son être, alors il nous faut reconnaître que sa mise en valeur ne se limite pas à une simple opportunité pastorale, ou à une série d’évènements jubilaires. Elle concerne le mode d’être fondamental de l’Église, affectant ce qu’elle est et ce qu’elle fait. L’enjeu de ce dossier est de tenter d’approcher ces changements, ces répercussions sur la manière de comprendre et de célébrer la pénitence et la réconciliation.

1. W. Kasper, La miséricorde : notion fondamentale de l’Évangile, Clé de la vie chrétienne, Béatitudes, 2015.

Sommaire et résumés des articles

« Miséricorde», le nom premier de Dieu ?

Ghislain LAFONT, o.s.b.

La Bulle d’indiction du Jubilé de la Miséricorde, promulguée par le pape François en consonance avec ses enseignements, notamment ceux de l’encyclique Laudato si et de l’exhortation apostolique Amoris laetitia, met en exergue la miséricorde comme étant « le mystère de la foi chrétienne tout entier ». Alors que ce terme n’apparaissait jusqu’ici que comme un attribut de Dieu parmi d’autres (Seigneur, Tout puissant, Très-Haut…) et certainement pas celui en référence duquel il conviendrait de situer tous les autres, n’y a-t-il pas lieu de se demander si le pape ne nous propose pas ici un lieu théologique nouveau ? Qu’advient-il alors à la théologie et à l’interprétation de l’Évangile au long des siècles si la miséricorde est considérée comme le Nom de Dieu par excellence, l’expression révélée de son mystère ? En prenant au sérieux ce changement de paradigme, l’article tente de poser avec le pape François, et dans le sillage de Vatican II, un diagnostic sur « le mal du monde » dans ses expressions contemporaines et effectue une relecture des tensions vécues par l’Église dans son rapport au monde au cours des siècles derniers avant de proposer quelques perspectives nouvelles auxquelles ouvre une interprétation de l’histoire du salut selon cette herméneutique.

La réforme du Rituel romain de la pénitence et de la réconciliation

Hélène BRICOUT

Le travail effectué par le Consilium en vue de la réforme de l’Ordo paenitentiae se comprend en raison des apports de la recherche historique et théologique des années qui le précédaient, mais aussi de la théologie de la liturgie de la Constitution Sacrosanctum concilium et des conséquences d’une nouvelle appropriation de « l’humanisme chrétien » assumée par le Concile. Néanmoins, la tâche du coetus XXIII bis chargé de sa révision s’est révélée ardue. L’article en présente les principes, les méthodes, les difficultés et les résultats. Quarante-cinq ans après la promulgation du Rituel (1973), la pratique est restée en-deçà des possibilités prévues, bloquant l’appropriation de la théologie conciliaire et post-conciliaire du sacrement, ainsi que l’avènement d’un « quatrième régime pénitentiel ». Cette situation explique que certaines questions, identifiées en finale, n’aient pas encore trouvé de réponse.

Le Rituel de la Pénitence et de la Réconciliation : le processus de traduction-adaptation pour les pays francophones

Monique BRULIN

Le Rituel francophone Célébrer la pénitence et la réconciliation, publié en 1978 est le fruit d’un long et patient travail de traduction et d’adaptation du Rituel romain (1973) grâce à une réflexion théologique fondamentale, à une analyse rigoureuse des pratiques en cours, ou expérimentées, et à un regard lucide sur la société et ses changements. Ces recherches ont été rendues possibles à l’intérieur d’un groupe de travail particulier, voulu par les évêques : le GERP (Groupe de recherche pour l’Étude et la Rénovation de la Pénitence). Dès avant la publication du Rituel romain, en suivant les orientations tracées par le concile Vatican II, le GERP a mené des études et enquêtes qui ont préparé le terrain à un rituel qui voulait renouveler en profondeur les pratiques. Puis le GERP a participé aux travaux d’élaboration du Rituel francophone apportant son expertise, dans un va-et-vient permanent avec l’épiscopat, en mobilisant théologiens et pasteurs, en lien étroit avec le terrain pastoral. Il a enfin travaillé à la réception du Rituel en participant ou en favorisant de nombreuses publications.

Le sacrement de pénitence et de réconciliation : un ancrage ambivalent, gage d’un cheminement

Michel STEINMETZ

Le rituel francophone de la pénitence et de la réconciliation (1978 / 1991) établit – plus que ne le faisait l’édition typique latine dont il est issu – une relation étroite entre ce sacrement et le baptême, d’une part, l’eucharistie, d’autre part. Cette relation à l’un et à l’autre, selon les vicissitudes de l’histoire, peut paraître ambigüe mais se trouve être – selon M. Steinmetz – paradoxalement féconde, tout au moins après la redécouverte de l’unité de l’Initiation chrétienne. Elle permet, entre autres, de souligner leur enracinement commun dans le mystère pascal du Christ. L’étude approfondie du Rituel, tant l’editio typica de 1973 que l’édition française de 1978, montre que cet enracinement décisif a certes été pris en compte dans les praenotanda et l’euchologie, mais de manière modérée, laissant percevoir ici ou là les tensions et débats théologico-liturgiques sous-jacents lors de leur élaboration. L’auteur, en tire quelques interrogations théologiques et quelques suggestions pour la mise en œuvre.

Note sur la dimension communautaire des célébrations pénitentielles

Philippe BARRAS

Faut-il choisir entre confession individuelle et célébration communautaire ? Cette note répond sans ambiguïté : non. Les différentes formes du sacrement de pénitence et de réconciliation gagnent à être déployées de manière complémentaire, et même à constituer un système qui valorise la perception d’un Dieu de miséricorde. En s’appuyant sur les travaux des théologiens Bernard Rey et Louis-Marie Chauvet, cet article montre qu’une telle approche est possible, pour peu que l’on distingue sans opposer dimension ecclésiale et dimension communautaire, d’une part, et d’autre part que l’on fasse jouer pleinement la dimension liturgique du sacrement dans des célébrations communautaires (sacramentelles ou non) associées à des confessions individuelles dans un même itinéraire.

Des garçons et des filles au service de l’autel

Hélène BRICOUT, Martin KLÖCKENER

Jusqu’à une période récente, le caractère clérical de liturgie avait conduit à séparer le chœur-sacré de la nef-profane, et à interdire l’accès des femmes et des jeunes filles au sanctuaire. L’étude des textes magistériels, depuis le concile Vatican II, montre que l’évolution du droit permise par la théologie du baptême et celle de la liturgie, s’est faite lentement, pour des raisons de continuité, en laissant finalement la décision aux évêques et aux pasteurs. L’examen de la situation en Allemagne montre que, sur ces fondements théologiques, la pratique a largement devancé la législation et que la présence de jeunes filles au service de l’autel ne pose pas de difficultés. Ce qui est moins le cas en France où certains avancent des arguments pseudo-théologiques insuffisamment fondés, des arguments de Tradition qui oublient que celle-ci se situe toujours dans une dynamique d’évolution, des arguments anthropologiques qui relèvent de représentations archaïques, et des arguments pastoraux qui font le contraire de ce qu’ils annoncent. Le service de l’autel est un véritable ministère liturgique dont la source est le baptême ; il conduit les ministres qui en sont chargés à conformer leur vie au Christ sauveur et l’ensemble de l’assemblée à faire de même. La différenciation sexuelle n’a pas ici de pertinence car, d’une part, ce service repose essentiellement sur le sacerdoce commun des fidèles et, d’autre part, les ministères laïcs ne sont pas « genrés » dans la liturgie de Vatican II.

1. Louis-Marie CHAUVET, Symbole et sacrement. Une relecture sacramentelle de l’existence chrétienne, Paris, Cerf, « Cogitatio Fidei » 144, 1984/2008.
2. Cf. L.-M. CHAUVET, Le corps, chemin de Dieu. Les sacrements, Paris, Bayard, « Theologia », 2010.