Pourquoi un Directoire sur la piété populaire et la liturgie ?
Par Dom Philippe Rouillard, o.s.b.
En quelques mots, Dom Philippe Rouillard présente l’intérêt et le contenu du Directoire sur la piété populaire et la liturgie préparé par la Congrégation pour le culte divin et la direction des sacrements. Fruit d’un important travail d’étude, ce directoire de 2001 réunit un ensemble de principes orientations autour du thème central de la religiosité populaire, comme expression de la foi.
La piété populaire se porte bien. Il suffit de visiter certaines églises de Paris, comme la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre ou la chapelle de la Médaille miraculeuse à Paris ; il suffit de participer à une fête patronale dans le midi de la France, comme celle de Saint-Roch à Montpellier ; ou, sous d’autres cieux, on peut avoir la chance de participer à la Semaine sainte à Séville, ou encore d’entrer, de préférence un dimanche, dans la basilique de Guadalupe à Mexico ou au sanctuaire marial de Aparecidas au Brésil. Partout, on trouvera un lieu saint, une apparition ou du moins une présence ; les cierges, les fleurs et les offrandes accompagnent et prolongent la prière ; le temps est bizarrement découpé par des heures saintes, des neuvaines ou des cycles des premiers vendredis ou premiers samedis du mois ; l’espace est parcouru par des processions aux formes multiples ; enfin la Vierge Marie et quelques saints privilégiés sont présents, avec leurs statues que les fidèles viennent effleurer de la main ou des lèvres.
La piété populaire se porte bien, et l’on comprend que la Congrégation pour le culte divin ait voulu encourager une réflexion et une pastorale qui à la fois respecte ces traditions, s’efforce de les évangéliser et aussi – ce qui nous semble plus aléatoire – de les mettre en harmonie ou en relation avec la liturgie. Le présent Directoire, dans lequel on décèle des contributions différentes et parfois quelque peu divergentes, offre avant tout une riche documentation sur les dévotions populaires au long des siècles et aujourd’hui ; on constate que ces dévotions se sont multipliées lorsque la liturgie est devenue incompréhensible ou inaccessible à la masse des chrétiens ; mais on apprend aussi qu’ici ou là naissent aujourd’hui des pratiques nouvelles, comme cette Via Sanguinis, qui serait une version africaine et sanglante du Chemin de croix (p. 148), ou encore la Via Matris, dont les sept stations évoquent les sept douleurs de la Vierge Marie (p. 116-117) et de façon heureuse une Via Lucis qui suit les apparitions du Christ après sa résurrection (cf. p.127-128).
Le Directoire passe en revue les différentes coutumes de la religion populaire qui suivent le déroulement de l’année liturgique, qui concernent la piété mariale et le recours aux anges et aux saints, en particulier aux saints locaux. Il traite également des suffrages pour les défunts et des efforts traditionnels de la piété populaire pour entretenir la mémoire des défunts, efforts combattus aujourd’hui par une civilisation qui refuse la visibilité de la mort ; le document parle de la visite des cimetières le 2 novembre, mais sans mentionner que le plus souvent elle est anticipée au jour de la Toussaint, qui devient en fait le « Jour des morts », pour la simple raison que le 2 novembre n’est plus férié. Un dernier chapitre concerne les pèlerinages et les sanctuaires, souvent très bien gérés, où la catéchèse et la vie sacramentelle prennent le relais des pratiques traditionnelles ; comme le disait un bon chrétien, « Je fais mes Pâques à Lourdes tous les ans au mois d’août. »
Avec raison, ce Directoire a voulu attirer l’attention sur l’importance et la richesse de la religion populaire, que certains pasteurs au lendemain de Vatican II croyaient devoir décourager au nom de beaux principes ; il reste très prudent, très modéré et assez général lorsqu’il recommande d’harmoniser la piété populaire avec la liturgie. D’une part, cette piété est trop diversifiée, selon les lieux, les mentalités et les traditions, pour qu’un document destiné à toute l’Église puisse vraiment la guider ; d’autre part, il faut reconnaître que certaines dévotions – telles que la pratique des sept mercredis de saint Joseph ou du « chapelet des sept angoisses et des sept joies » du même saint – sont à mille lieues de la liturgie de l’Église. Aussi bien ce Directoire n’entend pas légiférer, mais orienter, en laissant l’application intelligente de ces orientations aux responsables locaux.
Article publié avec l’aimable autorisation de la revue Esprit & Vie n°70 / novembre 2002 – 2e quinzaine, p. 27-28.