Le service de l’autel, un ministère ?
D’après une intervention au SNPLS du père Jean-Louis Souletie, Directeur de l’Institut Supérieur de Liturgie (ISL) au Theologicum de l’Institut Catholique de Paris
En préalable, rappelons que la liturgie a aujourd’hui une place particulière dans la vie de l’Église. Dans ce monde très sécularisé dans lequel nous vivons, où il y a peu de pratiquants, pour beaucoup la liturgie est un lieu d’initiation à la vie chrétienne, l’expérience d’une première rencontre avec Dieu, l’entrée dans l’univers symbolique chrétien. Ceci confère à la liturgie une place importante dans l’annonce de l’Évangile, y compris pour les jeunes et les enfants.
La liturgie est un lieu de l’expérience vivante de Dieu, elle fait entrer dans les Ecritures, elle façonne l’éthique chrétienne, elle manifeste et révèle la nature de l’Église.
Parallèlement, nous vivons de la réforme liturgique de Vatican II, fruit d’un siècle de préparation par des moines, des érudits, des théologiens. Une telle réforme aurait dû être accompagnée pour que chacun puisse en tirer le véritable fruit spirituel ; or cet accompagnement a été beaucoup sous-estimé. C’est ainsi que, sur les points fondamentaux de la liturgie, bien des choses ne sont pas encore perçues, comme par exemple la Parole de Dieu. Avons-nous conscience quand les Ecritures sont proclamées dans l’assemblée que c’est le Christ qui s’adresse aux fidèles (Sacrosanctum concilium 7) ? Vivons-nous la liturgie comme actualisation du mystère de Pâques, pas seulement la mort et la résurrection de Jésus, mais aussi l’Ascension, le don de l’Esprit, le début de la vie de l’Église ?
Vivons-nous le service de l’autel comme un lieu de nourriture spirituelle avant d’être une fonction ?
Qu’appelle-t-on ministère ?
S’il convient de distinguer ministères ordonnés et ministères laïcs, ils sont à penser ensemble.
Ainsi le ministère de présidence de l’évêque s’exerce-t-il selon une triple fonction prophétique (c’est la doctrine), sacerdotale (c’est la liturgie) et royale (c’est le gouvernement).
Pour les prêtres, c’est le n°28 de Lumen Gentium qui s’applique : « … par la vertu du sacrement de l’Ordre, à l’image du Christ prêtre suprême et éternel, ils sont consacrés pour prêcher l’Évangile et pour être les pasteurs des fidèles et célébrer le culte divin en vrais prêtres du Nouveau Testament. »
Pour les laïcs, il est écrit : « Sous le nom de laïcs, on entend ici tous les fidèles, en dehors des membres de l’ordre sacré et de l’état religieux reconnu dans l’Église, qui, étant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au Peuple de Dieu et participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part, dans l’Église et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien. »
Si l’on rapproche ces textes, on constate un tronc commun entre les ministres ordonnés et les baptisés, tronc commun lié à la dimension prophétique, sacerdotale et royale du Christ, évidemment celle qui détermine l’existence chrétienne dans le baptême.
Ministres ordonnés et fidèles baptisés appartiennent à l’Église, s’articulent et coopèrent ensemble dans l’Église, tout en se distinguant par leurs charges.
Tous les ministères, qu’ils soient des ministères ordonnés ou qu’ils soient des ministères fidèles baptisés, sont relatifs à la fonction prophétique, sacerdotale et royale du Christ. Néanmoins, les ministres ordonnés, les prêtres ont une fonction spécifique. C’est à la fonction centrale de sacramentalité du salut que les prêtres sont dédiés.
Alors quels sont les ministères confiés aux fidèles laïcs ?
Le concile Vatican II prévoit, au sens strict, que des fidèles laïcs reçoivent des ministères (Apostolicam actuositatem). Les laïcs exercent donc leur apostolat en se dépensant pour l’évangélisation des hommes, travaillant ainsi au progrès de l’esprit évangélique dans le monde.
La PGMR parle en son chapitre III des ministères particuliers dans la célébration. On cite tout d’abord l’acolyte, puis le lecteur, le psalmiste et d’autres fonctions. Des ministres laïcs peuvent être choisis pour le service de l’autel et pour aider le prêtre et le diacre ; ils portent la croix, les cierges, l´encensoir, le pain, le vin et l’eau. Ils peuvent même être délégués pour distribuer la communion comme ministres extraordinaires. Si les servants exercent ces fonctions, ils sont sans aucun doute qualifiés ici de ministres. En effet, SC 29 affirme clairement que les servants, les lecteurs, les commentateurs et ceux qui font partie de la Schola cantorum s’acquittent d’un véritable ministère liturgique. En affirmant cela le Concile ne voulait pas confondre ministères ordonnés et ministères laïcs mais dire que la liturgie implique normalement un déploiement ministériel.
Parler des servants d’autel, c’est aussi parler de questions relatives à la Parole de Dieu, relatives à l’Église en tant que sujet de l’action liturgique, organisée comme un corps d’unité et de communion, c’est accéder à ce qu’est vraiment la nature de l’Église, mais ce n’est en aucun cas parler simplement de decorum.
On a là une définition de ce que font les servants d’autel. Mais le n°107 de la PGMR dit : « Les fonctions liturgiques qui ne sont pas réservées au prêtre ou au diacre et dont il est question ci-dessus (nn. 100-106) peuvent aussi être confiées, par une bénédiction liturgique ou une délégation temporaire, à des laïcs idoines, choisis par le curé ou le recteur de l´église. Pour ce qui est de la fonction de servir le prêtre à l’autel, on observera les normes établies par l’évêque pour son diocèse. »
On notera que la fonction est confiée soit par une bénédiction liturgique, soit par une délégation temporaire. On notera également que les laïcs, pour exercer ces fonctions liturgiques, doivent être « idoines », c’est-à-dire dont on a vérifié la compétence pour la tâche qu’on leur confie (avec la formation nécessaire). Et quand on parle de service de l’autel, la PGMR, tout comme l’assemblée plénière des évêques, se réfère aux normes ecclésiales locales : le diocèse.
Dans une première approche, si les servants d’autel exercent les fonctions définies par la PGMR, ils peuvent sans aucun doute être qualifiés de ministres. Mais il faut s’interroger sur la fonction stable, durable de cette mission. C’est là le critère fondamental. L’action liturgique eucharistique donne à voir ce qu’est l’Église. Il arrive de voir des services de l’autel dont on a oublié de vérifier la compétence…
Au n°47 de Redemptionis sacramentum, il est écrit : « Les filles ou les femmes peuvent être admises à ce service de l’autel, au jugement de l’Évêque diocésain; dans ce cas, il faut suivre les normes établies à ce sujet. »
Au vu de tout ce qui a été dit précédemment, les enfants et les jeunes peuvent commencer à servir à l’autel au titre de leur baptême, mais, à partir du moment où ils sont appelés par le curé « au nom de l’Église », car l’action liturgique a besoin de servants d’autel et d’une ministérialité diverse, ils passent à un autre statut. Dans ce cas, le curé constitue un groupe qu’il va former pour être ministre de l’action liturgique, pour une action relativement durable. Il s’agira d’un service de l’assemblée, de l’Église qui prie son Seigneur. Si l’on veut nourrir une spiritualité et une foi chrétienne chez les servants d’autel, on ne doit pas oublier que la liturgie manifeste ce qu’est l’Église. C’est un service de la foi, de la vie spirituelle ; ce n’est pas uniquement un rituel.
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