La Maison-Dieu n°292 : sacramentalité, mariage et prières après la communion

LMD 292

Le numéro 292 de la revue d’études liturgiques et sacramentelles La Maison-Dieu s’intéresse aux Nouvelles perspectives liturgiques sur la sacramentalité. Ce volume de la revue trimestrielle du SNPLS est paru en juin 2018 aux éditions du Cerf.

Les sacrements ont, de tout temps, posé question : aux théologiens qui cherchent à comprendre ce que l’on peut en dire d’intelligible sachant qu’ils restent de l’ordre du mystère ; aux pasteurs, aussi, qui cherchent à les déployer de la manière la plus honnête possible au regard de l’idée qu’ils s’en font.

La perception qu’en ont eue les Pères de l’Église du IVe siècle, de manière sensiblement différente en Orient et en Occident comme signes de la Révélation ; la compréhension qu’en ont eue les scolastiques les comparant aux instruments dans les mains de Dieu tels les outils de l’artisan ; l’approche qu’en ont eue les modernes comme règles canoniques ayant leur efficacité en elles-mêmes. Toutes ces manières différentes de les appréhender en soulignent la complexité et ont conduit à des représentations encore à l’oeuvre chez la plupart d’entre nous, plus ou moins consciemment.

La volonté du concile Vatican II de les resituer comme mystère, comme signe et moyen de relation entre Dieu et les hommes, et dont la célébration liturgique en donne la portée théologale, a conduit à une réévaluation complète de ce que nous désignons comme sacrements, et plus largement « sacramentalité ». Louis-Marie Chauvet1 a admirablement ouvert la voie par ses travaux qui ont permis de penser à nouveau frais la sacramentalité comme médiation corporelle et ecclésiale. Mais cette voie ouverte n’a pas fini d’être déployée pour mieux saisir une théologie sacramentaire en prise avec le contexte humain et ecclésial contemporain. Les sacrements étant le chemin que Dieu choisit pour rejoindre les êtres humains dans leur corporéité pleine et entière2, il n’est pas possible de les appréhender en dehors de leur contexte social et anthropologique. […]

Sommaire et résumé des articles

Observations sur la théologie des sacrements et de la sacramentalité, dans le contexte œcuménique

Martin STUFFLESSER

Dans cet article programmatique et très documenté pour le congrès de la Societas Liturgica de Leuven, l’auteur se propose de réexaminer dans le contexte actuel de la pastorale liturgique, la relation entre théologie sacramentaire et ecclésiologie. Faisant tout d’abord le point sur le consensus œcuménique actuel en matière de théologie de la liturgie, il en vient à examiner les défis auxquels sont confrontés les Églises chrétiennes qui proposent les sacrements. Défis qui reposent sur la question fondamentale que Louis-Marie Chauvet avait déjà posée dans sa thèse: que signifie pour la foi « être structuré sacramentellement » ?

Le premier défi est celui de l’efficacité sacramentelle dans le contexte contemporain : comment penser de manière juste l’agir de Dieu dans la vie des hommes ? Le défi suivant est celui de la pluralité des célébrations : au-delà des sacrements majeurs affleurent aujourd’hui des nouvelles ritualités émergentes, tandis que demanderait à être revalorisée la sacramentalité de l’année liturgique elle-même, autour du Triduum pascal. Cependant, le défi majeur semble être ecclésiologique. Les sacrements manifestant l’« être Église », la question porte d’une part, sur leur capacité à socialiser de manière particulière dans un contexte où le rapport individu / communauté est réellement problématique, et d’autre part sur le rôle sacramentel de l’Église au regard de l’agir de Dieu. Il s’agit alors avec Lumen Gentium de bien comprendre l’Église comme sacrement fondamental. Le dernier défi relevé par l’auteur est celui qui concerne la science liturgique, en particulier dans son rapport à l’histoire et à la tradition. Il conclut sa contribution par la prise en compte de la nécessaire restriction eschatologique sous laquelle sont placées les actions sacramentelles de l’Église « afin que nous entrions un jour en pleine possession du mystère que nous célébrons dans ces rites. »

Les symboles de ce que nous sommes appelés à devenir. Les sacrements dans une société post-séculière et post-chrétienne

Lieven BOEVE

Dans cette contribution, l’auteur réfléchit sur la relation entre la foi chrétienne et le contexte contemporain dans lequel se trouve l’Eglise, pour envisager la place particulière des sacrements. Son analyse du contexte actuel post-chrétien et post-séculier, résultant d’un processus de perte de transmission, d’individualisation et de pluralité, le conduit à envisager la structuration de l’identité de nos contemporains de manière narrative, réfléchie et différenciée, composant plus ou moins avec l’altérité et la différence. Dans ces processus de construction de l’identité, les sacrements illustrent bien la manière avec laquelle la foi chrétienne compose avec le contexte actuel, selon les sensibilités. Ils apparaissent alors comme des marqueurs, non seulement en tant qu’ils sont les symboles de ce que nous sommes, mais davantage encore des symboles de ce que nous sommes appelés à devenir. L’auteur souligne fortement la fécondité du dialogue avec les philosophies contemporaines de la différence (en particulier la catégorie d’interruption chez Jean-François Lyotard), pour reconsidérer l’amour divin dans des perspectives non-totalitaires et libératrices. Considérant le risque majeur – lorsqu’il s’agit de construction d’identité narrative – de l’enfermement sur un récit auto-centré et auto-justifié, ce que le christianisme n’a pas toujours su éviter. Les sacrements apparaissent alors comme interrompant la vie des chrétiens, leur révélant Dieu comme Celui qui interrompt leur vie en les appelant à une relation avec lui. L’interruption peut-elle fournir une catégorie essentielle pour penser, à bouveaux frais, l’irruption de la grâce, dans une théologie des sacrements ?

Explorer les contours de la sacramentalité: la liturgie entre la réalité de la vie et la vérité de la foi

Thomas POTT

Partant de l’observation de ce que vivent, ou ne vivent pas, les fidèles lors d’une liturgie, l’auteur invite à redécouvrir la dimension « mysterion » des sacrements et de la sacramentalité, trop enfermés depuis le Moyen-Âge dans une définition dogmatique étroite qui les confinent au domaine canonico-théologique. Il propose d’appréhender la sacramentalité, aujourd’hui, à partir de la liturgie elle-même, pour mesurer son rapport étroit à la fois à la réalité de la vie et à la vérité de la foi. L’enjeu, pour aujourd’hui, est de sortir les sacrements d’une chosification théologique appliquée depuis le Moyen-Âge, et d’un réductionnisme piétiste, qui conduisent à des impasses, tant de point de vue théologique que pastoral (ex : l’eucharistie, le sacrement de l’ordre, le mariage). C’est la prise au sérieux de la liturgie elle-même qui permet de prendre en compte, à nouveau frais la dimension mysterion des sacrements, et d’éduquer les fidèles (et la théologie de l’Eglise) à la force sacramentelle dans laquelle le Salut se dévoile et se communique. Le rôle de la musique et du chant dans la liturgie, et le développement des techniques de diffusion de la sainte liturgie, avec les questions que cela pose, en fournissent deux exemples majeurs. L’auteur conclut par une invitation faites aux Eglises d’une recherche commune, œcuménique pour mettre fin au « divorce » entre liturgie, théologie et piété (selon A. Schememann).

Le « principe sacramentalité » : révélation de la divinité et de l’humanité de Dieu

Elbatrina CLAUTEAUX

Croisant les approches anthropologiques, philosophiques et théologique, l’auteure s’appuie sur sa grande connaissance (et expérience) de Indiens pémons d’Amazonie, pour montrer combien la sacramentalité gagne à être appréhendée de manière très large. L’observation détaillée de la culture pémon, de son vocabulaire, avec ses mythes, ses rites et symboles, ses fêtes… permettent de repérer combien ce peuple est imprégné de « religieux » même si cela apparait très différent de nos codes chrétiens. Il n’est pas possible de confiner ces médiations dans leur seule dimension anthropologique. Ce qui est cohérent avec la foi chrétienne qui pousse à reconnaître l’œuvre de l’Esprit dans des réalités humaines diverses, qui est une foi dans l’universalité du salut et dans l’unicité de la médiation christique (cf. GS 22,5). En effet, si Dieu se révèle et se communique à l’homme à travers des médiations symboliques, narratives et rituelles, alors on peut affirmer la réalité d’un « principe Sacramentalité » débordant le seul christianisme, appartenant à la nature même de l’homme, pour établir un rapport avec Dieu : « le plus spirituel advient dans le plus corporel » (cf. L.-M. Chauvet). L’auteure en déduit trois ouvertures majeures : la nécessité de détendre la sacramentalité au-delà des seuls sacrements ; la recherche de ce qui constitue un appel à la transcendance chez l’être humain comme condition de possibilité du religieux ; et la reconnaissance des semences surabondantes du Verbe en notre humanité.

De Saint-Sulpice à Saint-François de Molitor : du théâtre divin à l’assemblée célébrante

Gilles DROUIN

En analysant la disposition de deux églises parisiennes (Saint-Sulpice et Saint-François de Molitor) l’auteur s’interroge sur les rapports entre sacramentalité et organisation de l’espace de célébration à deux époques décisives en termes de débats théologiques, à savoir celles qui ont suivi le concile de Trente et celui de Vatican II. Il souligne combien elles cherchent toutes deux à favoriser un mode propre de « participation » à la messe : Saint-Sulpice, sous la modalité particulière du théâtre divin dont Dieu est l’acteur principal, le prêtre et les fidèles des acteurs « seconds », chacun selon leur mode propre ; Saint-François, sous celle de la « participation active » en se gardant de l’écueil d’une mise en œuvre télévisuelle de cette grande intuition du Mouvement liturgique. Ces deux édifices emblématiques de la réception de deux conciles majeurs, témoignent de la difficile articulation entre sacerdoce commun et ministère sacerdotal. Dans les deux cas, l’espace de l’édifice se veut profondément unifié, avec cependant une nette séparation entre espaces réservé aux clercs et aux laïcs dans le premier, et une tentative dans le second de manifester la théologie de l’assemblée célébrante, inspirée de Sacrosanctum Concilium et de Lumen Gentium. L’auteur conclut par quelques remarques méthodologiques sur la lecture théologique des espaces de célébration.

Le mariage entre forme ordinaire et forme extraordinaire : les enjeux de la lettre du 27 mars 2017 aux présidents de conférences épiscopales

Bruno GONÇALVES

La lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la foi du 27 mars 2017 aux présidents de conférences épiscopales porte sur la forme de célébration de mariages de membres de la fraternité saint Pie X pour en obtenir la reconnaissance de validité sacramentelle par l’Église catholique. Elle se veut un jalon dans un parcours de réintégration de la Fraternité dans l’Église catholique à plus ou moins long terme. Dans une première partie, l’article précise le statut canonique de la lettre, son intention et ses objectifs. La seconde partie détaille les conditions de mise en œuvre de la lettre et ses difficultés, mais aussi les compléments législatifs diocésains qui posent problème au canoniste.

Les prières après la communion du Missel romain

Élisabeth RAVENEAU

Dans cet article, l’auteur étudie l’ensemble du corpus des oraisons après la communion dans le Missel romain en vigueur. L’objet de ces prières consiste à demander à Dieu les fruits de la communion – le mystère qui vient d’être célébré –, parfois en commençant par rendre grâce pour ce qu’il a déjà donné et que nous osons encore demander. Leur signification est avant tout ecclésiale, car même si elles ne sont pas toujours rédigées en « nous », elles renvoient systématiquement à « L’ecclesia, ou communauté chrétienne, sujet intégral de l’action liturgique » (Cf. YM Congar).

Elles visent à ce que la communion des participants porte du fruit pour la vie éternelle, et pour que soit réalisé pleinement le sacrifice de toute l’Église.

Leur structure montre clairement qu’elles ont une portée éthique – le déploiement dans la vie quotidienne au-delà de la célébration – et une portée eschatologique – le déploiement dans la vie étant l’annonce et l’anticipation de la vie éternelle. L’étude précise du vocabulaire employé le souligne aussi à sa manière. Ce qui permet à l’auteur de repérer la double fonction, à la fois liturgique pour effectuer le passage entre la partie eucharistique de la messe et la vie eucharistique qui doit suivre, mais aussi mystagogique, pour aider les fidèles à entrer dans une intelligence plus grande de l’eucharistie à laquelle ils viennent de participer. Quelques conseils pour la mise en œuvre concluent judicieusement le propos.

1. Louis-Marie CHAUVET, Symbole et sacrement. Une relecture sacramentelle de l’existence chrétienne, Paris, Cerf, « Cogitatio Fidei » 144, 1984/2008.
2. Cf. L.-M. CHAUVET, Le corps, chemin de Dieu. Les sacrements, Paris, Bayard, « Theologia », 2010.

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