La Constitution de Vatican II sur la liturgie. Un document majeur

Parmi les 16 documents conciliaires, les quatre Constitutions occupent une place particulière. La Constitution liturgique est le premier texte voté (4 déc. 1963) en raison de son importance mais surtout parce qu’il était le plus abouti des documents préparatoires grâce au Mouvement liturgique européen, notamment belge et français, qui avait précédé. D’ailleurs, les évêques missionnaires attendaient des changements bien nécessaires pour leur pastorale dans des cultures non européennes : usage des langues vivantes, adaptation et inculturation, etc.

En 2013, l’abbé André Haquin, alors responsable de la Commission de liturgie du diocèse de Namur, est revenu sur ce document majeur cinquante ans dans PASTORALIA, la revue de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles. Alors que l’on fête maintenant son soixantième anniversaire et que l’événement s’éloigne de plus en plus dans le temps, il importe encore plus de le comprendre pour qu’il continue à façonner nos pratiques.

Les souhaits du Mouvement liturgique contemporain sont pris en compte par le Concile qui décide une réforme liturgique. Une nouvelle période commence. La liturgie de Vatican II va renouveler l’ensemble des célébrations (sacrements et sacramentaux) et la participation des fidèles ; elle doit par là promouvoir le renouveau de l’Église elle-même (Sacr. Conc. 1 : faire progresser la vie chrétienne, adapter des institutions, favoriser l’œcuménisme et l’évangélisation).

Plus que de nouvelles pratiques !

La liturgie est fondamentalement la rencontre de Dieu et du Peuple de l’Alliance. Avant de se demander quels changements réaliser et quelles règles élaborer, il convenait de se dire « Que signifie célébrer ? » ou encore « Pourquoi l’Église célèbre-t-elle depuis les origines ? ». Le chapitre 1 propose donc une réflexion fondamentale (46 numéros sur 130 au total) : l’élément central en est la redécouverte du « Mystère pascal » du Christ, unique source du salut (n° 5). En effet, la grâce de Pâques est au cœur de l’Eucharistie et de toute célébration. Le Christ préside la liturgie comme l’acteur principal de notre salut ; l’Église, son épouse, l’accueille et rend grâce à Dieu pour ses bienfaits au cours des siècles. La présence active du Christ est multiforme (n° 7), dans le sacrement, par la personne du ministre et dans l’assemblée des frères, mais aussi lorsque l’Écriture est proclamée ou lorsqu’on prie les psaumes. Tous les baptisés sont donc conviés à « participer » « activement » et « consciemment » à la liturgie (n° 14), et non seulement à y « assister ». Ensemble, ils sont le Peuple de Dieu « race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté » (1 Pi. 2, 4-5). L’adoption des langues vivantes (n° 36) et les diverses adaptations prévues (n° 37-40), mais aussi la formation et la catéchèse sont au service de la participation croyante.

L’enseignement des chapitres 2 à 7

La suite du texte précise le sens de chaque sacrement et de chaque célébration et pointe certains éléments en vue de la réforme liturgique. Le chap. 2 (« Le Mystère eucharistique ») annonce une révision du rite de l’Eucharistie, envisage des lectionnaires bibliques plus abondants et plus variés, la reprise de l’homélie et de la Prière universelle, de la concélébration et de la communion sous les deux espèces, ainsi que l’utilisation possible des langues vivantes. Le chap. 3 (« Autres sacrements et sacramentaux ») propose de nombreuses perspectives nouvelles (catéchuménat et baptême d’adultes, revalorisation de la confirmation, révision du sacrement du pardon et de l’onction des malades, de l’ordination et du mariage, des funérailles, de la profession religieuse, etc.). Le chap. 4 (« Office divin ») demande que les fidèles redécouvrent la valeur des psaumes et de la louange, complémentaire de l’action de grâce eucharistique. Le chap. 5 (« Année liturgique ») remet au cœur de l’année les fêtes pascales et le dimanche, jour du Seigneur. Le chap. 6 (« Musique sacrée ») inaugure une nouvelle période de création du chant – en langue vivante – et de musique liturgique, tandis que le chap. 7 (« Art sacré ») s’ouvre à l’art contemporain et aux arts du monde ; il souhaite que le contact avec les créateurs redevienne plus effectif.

Lecture transversale du texte Liturgique

On ne peut isoler un document conciliaire des autres. Il faut prendre en compte l’unité et la diversité du corpus conciliaire. La constitution liturgique a frayé un chemin par bien des ouvertures que les autres textes vont approfondir. Ainsi, la redécouverte du Mystère pascal s’est propagée dans toute la réflexion conciliaire, notamment dans Lumen Gentium, Gaudium et Spes, Ad Gentes, etc. De même, la vision de l’« Église- communion », préalable à toute considération organisationnelle : l’assemblée liturgique permet de vivre l’unité de tous les baptisés. Lumen Gentium en donnera les assises essentielles, à savoir le « sacerdoce baptismal » complémentaire du « sacerdoce ministériel » (n° 10). La redécouverte du baptême (ou plutôt de l’Initiation chrétienne : baptême-confirmation-Eucharistie) est le socle fondamental de la vie évangélique pour chaque membre de l’Église et une des bases de l’œcuménisme actuel. De même aussi la catholicité de l’Église, rythmée par l’unité et la diversité : un seul corps composé de nombreux membres. Ajoutons encore la place de la Parole de Dieu, si bien mise en valeur dans la réflexion sur la liturgie, sur l’Église et sur la révélation (Dei Verbum, n° 10 et 21).

L’événement conciliaire

Selon l’expression de J.W. O’ Malley (L’Événement Vatican II, Bruxelles, Lessius, 2011), Vatican II est plus qu’un corpus de textes doctrinaux et pastoraux. Il a d’abord été un événement, une vaste et longue rencontre entre évêques (et experts) de tous les coins de la planète. Se parler, s’informer sur des situations et des cultures tellement différentes, fraterniser dans la prière et la réflexion, c’est tout cela qui a été vécu au concile. Bien différents par leur formation et leur âge, les évêques progressivement se sont mieux compris et ont perçu les enjeux théologiques et pastoraux soulignés par les experts. Souvent classiques à leur arrivée à Rome, ils ont cheminé et mûri, pour redécouvrir les richesses de la Parole de Dieu et de la Tradition ainsi que les urgences de l’évangélisation. À tel point qu’un consensus de plus en plus large s’est fait entre eux en faveur d’une ouverture de l’Église au monde, d’un approfondissement de la Parole de Dieu, d’une égale dignité de tous les baptisés, de l’urgente actualité de l’unité chrétienne et du dialogue interreligieux, etc. D’où les votes massivement positifs des divers documents – notamment Sacrosanctum Concilium – riches d’un approfondissement exceptionnel et d’une réelle authenticité évangélique.

L’avenir de la Liturgie

La réforme de la liturgie dans sa phase générale est sur le point de s’achever. Il reste à l’approfondir et à la vivre dans la foi. On constate aujourd’hui dans les sociétés occidentales une sérieuse érosion de la participation régulière à la liturgie dominicale et une sécularisation galopante. Le travail ne manque donc pas. L’avenir de la liturgie suppose la pratique de la prière personnelle, la connaissance et l’amour des Écritures, l’existence de communautés vivantes. Parmi les signes encourageants, on peut citer la parution de La Bible. Traduction Officielle pour la Liturgie (BTOL) : désormais le texte intégral de la Bible sera disponible pour la proclamation liturgique et la catéchèse. Bien des sacrements sont à redécouvrir : en particulier le baptême sous ses trois formes (adultes, enfants en âge de scolarité, nouveau-nés), le sacrement du pardon, le sacrement du mariage vécu dans la foi, etc. La liturgie de Vatican II est un des plus beaux fruits du concile, mais elle suppose un effort permanent d’évangélisation !

André Haquin
Responsable de la Commission de liturgie
du Diocèse de Namur