Accompagner les familles en deuil : un ministère de compassion

Christ Pantocrator de la cath. Santa Maria Nuova de Monreale, Sicile, Italie.

« Jésus de Nazareth est passé parmi nous en faisant le bien … car Dieu était avec lui. »

Cette expérience faite pendant ses années de compagnonnage avec le Christ, Pierre ne peut s’empêcher de la  partager à ses premiers auditeurs  (Act 10, 38). Dans la Préface C de la Prière Eucharistique pour les grands rassemblements, l’Église nous rappelle : « Il (Jésus) n’est resté indifférent à aucune détresse ». Tout l’évangile nous invite à contempler en Jésus, le visage du Dieu plein de tendresse et de compassion pour l’homme touché par l’épreuve de la souffrance, de la maladie, de la mort.

Vivre la compassion

Immédiatement revient à notre mémoire, la rencontre de Jésus avec Marthe et Marie à Béthanie au moment de la mort de Lazare (Jn 11,28 ss). Le chagrin de Marie, celui des amis  qui  l’entourent, la vue du tombeau scellé saisissent Jésus au plus profond de lui-même, le bouleverse et lui arrache des larmes, « Jésus pleura » nous dit St Jean (Jn 11, 35).Son abandon total à son Père ne le déshumanise pas. Il ne regarde pas la mort comme un événement anodin. Devant le décès de Lazare et le désarroi de ses proches Jésus n’a rien d’un super-héros que rien n’émeut, non , Il se révèle extrêmement vulnérable . Mais dans sa confiance inébranlable  en Dieu Il sait que le Père peut toujours faire jaillir la vie .C’est à cette espérance qu’il invite ses amis.

Comment ne pas se rappeler aussi l’épisode de Naïm : au détour du chemin deux groupes se croisent : sortant de la ville, un cortège funèbre, celui du fils unique d’une veuve. S’apprêtant à y entrer, Jésus, entouré d’une foule nombreuse précise St Luc. La présence de ceux qui l’accompagnent, ne détourne pas Jésus de ce que vit cette femme. Pour lui, ce n’est pas un fait divers, Il se laisse prendre aux entrailles par le drame qui brise une seconde fois la vie de cette veuve .Il communie profondément à sa souffrance et sa qualité d’être, sa qualité de présence, va re-susciter la vie.

Si le ministère de la compassion fait partie intégrante de la mission presbytérale, le Concile Vatican II  rappelle la responsabilité de chaque chrétien à être signe du Christ plein de compassion à l’égard de ceux qui sont blessés par la mort d’un enfant, d’un parent, d’un ami.

Les équipes d’accompagnement des familles en deuil, en rendant visite aux familles touchées par la perte d’un proche sont les témoins d’une communauté qui, à la suite de son Seigneur, veut entourer ceux qui pleurent.  .

Comme le Christ ressuscité avec les disciples d’Emmaüs elles les accompagnent : présence gratuite, pleine d’écoute, voire silencieuse. Derrière le visage de ces frères (souvent inconnus dans les villes) qui, au nom de leur foi, se font compagnons de chemin en ce moment difficile, des familles feront, parfois inconsciemment, l’expérience du Christ compatissant qui les rejoint , marche à leur côté , recueille leur histoire.

Tout au long de la célébration des funérailles l’Église nous invite à entrer dans ce mystère du Christ, qui, loin de se tenir à distance de ce que nous vivons, s’approche de nous pour partager notre chagrin, nous communiquer sa force, nous apprendre à vivre ce passage et repartir dans l’espérance.

L’Église nous entoure au moyen de :

Ses rites :

Rite de la lumière :

Le cierge pascal brille bien avant notre arrivée car le Christ nous attend.

Sa lumière ne restera pas isolée dans le chœur : elle viendra près  du défunt et se proposera à tous pour éclairer « ce pas que nous avons à faire pour repartir dans l’espérance » (n°56)

Comment mieux exprimer ce que le Christ accomplit en ce moment ?

Rite de la croix :

Croix fixée sur le cercueil ou placée près de lui ou tracée sur soi. Comment traduire de façon plus parlante la force de l’attachement sans faille du Christ à notre égard : nos heures les plus douloureuses il les traverse avant de nous associer à sa victoire.

Ses prières :

Plusieurs oraisons rappellent que le Christ, par son Incarnation, assume toute notre vie, y compris notre mort : »Tu es venu vivre et mourir en ce monde » (n°67), » Tu as connu toi-même le scandale de la mort de la croix »(n°69.cf aussi  les n°73; 81). Par sa résurrection il nous ouvre un avenir : nous  passons de la mort à la vie.

La proclamation de l’évangile :

Entendre les passages où le Christ s’identifie aux plus démunis: (Mt 25,31-46), où il prend en compte le désarroi de ses  apôtres (Jn 14, 1-6), où il demeure attentif à ceux qui sont près de sa croix : (Jn 19,25-30, Lc 23,33-43), peut devenir pour ceux qui les écoutent lieux de découverte de la fidélité et de la compassion du Dieu qui, en Jésus-Christ, n’abandonne pas ceux qui sont aujourd’hui dans la tristesse.

Sa proximité  jusqu’au bout :

Tandis que de plus en plus, seuls les intimes accompagnent le défunt et sa famille au cimetière ou au crématorium, la présence, en ce moment pénible, d’un ou deux membres des équipes fera à nouveau signe du compagnonnage discret du Christ. L’accueil de l’assemblée paroissiale, lors de l’Eucharistie dominicale, sa prière pour le défunt et ses proches, apporteront réconfort au moment où le vide de l’absence commence à peser. L’amitié et le temps donnés, lors de rencontres fortuites, le rendez-vous du 2 novembre, manifesteront la force des liens qui unissent les frères dans le Christ

Alors, peut-être qu’en relisant tout ce que l’Eglise a vécu avec eux, certains, comme Marie de Magdala, reconnaîtront, qu’aujourd’hui encore, le Christ ressuscité est venu à leur rencontre au cœur même de leurs larmes. Ce sera pour chacun une marche d’espérance !

27 octobre 2006: Funérailles d'une dame âgée de 86 ans d'origine espagnole dans l'église Notre-Dame des Vertus, Aubervilliers (93), France.

27 octobre 2006: Funérailles d’une dame âgée de 86 ans d’origine espagnole dans l’église Notre-Dame des Vertus, Aubervilliers (93), France.

Entrant dans la ville de Naïm, Jésus rencontre une femme veuve qui vient de perdre son unique fils : « Voyant celle-ci, Jésus fut pris de compassion pour elle… » (Lc 7, 13). Accompagner une famille en deuil, c’est, à la suite du Christ, croiser la route de frères blessés, s’arrêter sur le bord du chemin, prendre le temps de la rencontre pour se laisser toucher par la souffrance de l’autre. La compassion – ou l’empathie, si on prend la racine grecque du mot – c’est « souffrir avec… », littéralement entrer dans la souffrance de l’autre.

Faire preuve de compassion suppose de se vider de ses propres préoccupations, les oublier pour se rendre totalement disponible aux paroles, à l’expression des sentiments, de la révolte peut-être ou même du silence de la personne endeuillée. Pour un temps limité, l’esprit de l’accompagnateur est tout entier disponible à l’autre. Cela nécessite de mettre en veilleuse pour un temps ses manières de penser, de juger, ses convictions mêmes, pour tenter de comprendre l’autre, ce qu’il a partagé de la vie du défunt, ce qu’il ressent, ce qu’il croit ou ne croit pas. La compassion et l’écoute sont très liées, mais la compassion ajoute un déplacement du cœur vers l’autre qui rend plus profonde la rencontre.

La compassion n’est pas à vivre seulement au moment de la rencontre avec la famille pour préparer la célébration. Elle imprègne tout le processus, y compris les rites eux-mêmes. Devant la souffrance de la femme dont la vie est brisée, Jésus rend la vie au jeune homme. La liturgie peut aussi être chemin de guérison en rallumant la flamme de l’espérance. Mais elle ne peut le faire que si elle prend en compte la souffrance et imprègne les gestes et les paroles d’empathie pour les proches.

Le premier contact avec les familles en deuil doit se faire dans un climat de dialogue.

Il est important qu’elles puissent rencontrer des personnes accueillantes et capables d’attention silencieuse, témoignant ainsi de la présence de l’Église à toute souffrance…

Les monitions, prières, chants et gestes seront choisis et préparés avec soin, de telle sorte qu’ensemble, ils fassent une juste place aux différents aspects de la prière chrétienne pour les défunts, en particulier la compassion et l’espérance du salut pour tous.

Dans l’espérance chrétienne, Notes de mise en œuvre, n. 13, p. 12.

Par Anne-Dominique Wattelle, Animatrice en pastorale du diocèse de Lille, responsable des funérailles.