La crémation et l’Église catholique
La crémation connaît une progression notable en France. Selon une enquête, quatre français sur dix optaient en 2023 pour cette pratique funéraire. Selon des estimations, cette option encore minoritaire ne le restera plus longtemps et devrait représenter la moitié au moins des obsèques en 2030. Quels facteurs expliquent cette évolution ? Quelle est la position de l’Église catholique ?
Dans la société occidentale, la crémation n’est pas d’abord un rite funéraire mais un moyen technique consistant à réduire le corps du défunt en cendres par incinération. En cela, elle remplit la même fonction pratique que la mise en terre, l’inhumation. Mais son succès témoigne que beaucoup reconnaissent désormais à cette pratique funéraire une valeur symbolique qui va bien au-delà de son aspect technique. Alors qu’en 1980, elle funéraire représentait seulement 1 % des obsèques en métropole, ce chiffre est passé à 10 % en 1993, 36 % en 2016. Il doit être proche de 40 % aujourd’hui et tend vers la moitié des obsèques. Pour quelles raisons nos contemporains optent-ils de plus en plus souvent pour la crémation plutôt que pour l’inhumation ? Il importe d’autant plus d’essayer de comprendre cette préférence qu’elle bouscule des pratiques anciennes au risque non maîtrisé de ne pas laisser de lieux de mémoire pour les proches quand le défunt choisit la dispersion des cendres.
Qu’est-ce qui motive la préférence pour la crémation ?
Les raisons exprimées pour préférer la crémation sont extrêmement variables. Sans chercher à dresser une liste exhaustive de ces raisons mais simplement pour en souligner la diversité, on entend : solitude, crainte qu’une tombe ne soit pas entretenue, désir de ne pas encombrer les proches, volonté de détruire un corps abîmé par la maladie, préoccupations écologiques ou moindre coût financier, portée symbolique du feu qui purifie opposé au pourrissement de la chair, …
Quand on essaie de pousser un peu l’analyse, plusieurs facteurs semblent expliquer l’évolution constatée, d’ailleurs souvent en interagissant :
- Influences culturelles et symboliques : dans notre société de plus en plus traversée par la diversité des aspirations, des pratiques ou des cultures, une importance nouvelle est accordée par certains à la signification du feu comme élément purificateur contrastant avec la décomposition naturelle du corps.
- Considérations écologiques : La crémation est souvent vue comme une alternative plus respectueuse de l’environnement, bien que son impact écologique fasse l’objet de débats.
- Aspects économiques : Les coûts associés à la crémation peuvent être inférieurs à ceux de l’inhumation traditionnelle, à la fois pour les familles et les professionnels, qui pourraient de ce fait avoir un intérêt à encourager la tendance.
- Mobilité et urbanisation : Dans un contexte où les familles sont de plus en plus dispersées géographiquement, la crémation offre une flexibilité quant au lieu de repos final des cendres. Reflet aussi d’une société apte à passer très vite à autre chose, cette flexibilité favorise un rapport avant tout personnel à la mort et à la mémoire, laissant les uns et les autres plus seuls face à ces questions.
Ainsi la crémation est devenue une pratique funéraire de plus en plus courante en France, conjuguant des représentations plus ou moins conscientes ou justifiées mais reflétant des évolutions culturelles, économiques et sociétales profondes.
De la part de la société civile, garantir aux cendres une destination digne
Pour accompagner cette évolution, la société civile a légiféré a minima pour accorder aux cendres une destination digne, considérant malgré la destruction du corps – même l’ADN est détruit ! – qu’elles demeurent les restes d’une personne humaine et qu’à ce titre nous leur devions du respect.
Sont désormais interdits par la loi du 19 décembre 2008 la conservation des cendres dans un lieu privé, la division des cendres dans plusieurs urnes, leur dispersion sur des voies publiques. Les communes doivent aménager des espaces où peuvent être déposées l’urne ou les cendres (colombarium, jardin du souvenir). La dispersion en mer n’est pas interdite, mais la loi prévoit qu’elle soit déclarée au lieu de naissance du défunt pour inscription sur le registre de l’état civil.
De la part de l’Église catholique, un « oui mais… »
Contrairement à d’autres religions, l’Église catholique n’interdit pas la crémation. Un décret, daté du 8 mai 1963, a supprimé l’interdiction d’obsèques religieuses pour des personnes qui ont choisi la crémation. En 1983, le nouveau code de droit canonique a précisé la position de l’Église en stipulant :
« L’Église recommande vivement que soit conservée la pieuse coutume d’ensevelir les corps des défunts ; cependant elle n’interdit pas l’incinération, à moins que celle-ci n’ait été choisie pour des raisons contraires à la doctrine chrétienne » (Can. 1176 § 3). |
Le « oui » de l’Église est, en quelque sorte un « oui mais… » pour deux raisons :
– d’une part, elle préfère l’inhumation pour tenir, jusque dans la mort, la commune identité du baptisé avec Jésus dont le corps a été mis au tombeau le vendredi saint.
– d’autre part, il est demandé de conserver l’ordre traditionnel des rites funéraires. Le rituel prévoie en effet tout un itinéraire avec des « stations », notamment celle symboliquement forte du passage à l’église, et ces étapes se déploient normalement autour du corps. Ainsi, si elle est choisie, la crémation devrait se dérouler après la célébration à l’église en présence du corps.
Dans des circonstances exceptionnelles, une célébration peut être organisée à l’église en présence d’une urne funéraire (cf. Funérailles : célébrer à l’église en présence d’une urne | Liturgie & Sacrements) et lorsque le choix des familles et les conditions matérielles conduisent à ne pas passer par l’église, certains diocèses ont fait le choix de déléguer une personne qui officie au sein même du crématorium. Mais on préfèrera donc toujours privilégier l’itinéraire rituel traditionnel : il a fait ses preuves pour favoriser le déplacement intérieur nécessaire aux personnes endeuillées (cf. Les funérailles : un itinéraire rituel, soutien d’un déplacement intérieur, fragilisé par la crémation ? | Liturgie & Sacrements) alors même que la société elle-même assure de moins en moins un soutien ; d’autre part, organisé autour de la présence du corps, il assure une annonce concrète de la résurrection promise (cf. La présence du corps du défunt dans les funérailles, annonce de la résurrection | Liturgie & Sacrements). Cet itinéraire ayant été vécu, certains préfèreront la pratique de l’inhumation pour les raisons indiquées plus haut. Si la crémation est choisie, l’Église recommande (cf. Ad resurgendum cum Christo, sur la sépulture des défunts et la conservation des cendres en cas d’incinération | Liturgie & Sacrements) que les cendres soient déposées dans un lieu sacré, tel qu’un cimetière ou un columbarium, plutôt que conservées à domicile ou dispersées, par respect et afin de maintenir un lieu de mémoire pour les proches.