Prier aux funérailles entre hommage et intercession : un équilibre à trouver
Lors des funérailles chrétiennes, un équilibre délicat doit s’instaurer entre l’hommage du défunt et la prière d’intercession pour son salut. Or lorsqu’une présentation de la vie des défunts ouvre la célébration, l’essentiel des mots d’accueil consiste en une valorisation par les proches de leurs qualités humaines, parfois longuement. Devenue une habitude, cette tendance très marquée par notre époque interroge : quelle place reste-t-il pour l’intercession, cette dynamique de la prière des défunts enracinée dans la tradition de l’Église ?
Certes la dynamique de la célébration peut transformer peu à peu cet éloge des défunts en une authentique action de grâce. Mais dans ce contexte, quelle place reste-t-il pour la prière pour les défunts eux-mêmes, cette prière par laquelle on intercède pour eux et on les recommande à Dieu ? D’ailleurs que demande l’Église à Dieu pour eux, et pourquoi ?
Les défunts ont-ils besoin de prière ? La réponse du Rituel
Alors pourquoi l’Église tient-elle à prier pour les défunts lors des funérailles ? La réponse est à chercher dans le rituel de l’Église, qui précise dès le début des orientations pastorales :
« C’est le mystère pascal du Christ que l’Église célèbre, avec foi, dans les funérailles de ses enfants. Ils sont devenus par le baptême membres du Christ mort et ressuscité. On prie pour qu’ils passent avec le Christ de la mort à la vie qu’ils soient purifiés dans leur âme et rejoignent au ciel tous les saints dans l’attente de la résurrection des morts et de la bienheureuse espérance de l’avènement du Christ.
Aussi l’Église offre-t-elle pour les défunts le sacrifice eucharistique de la Pâque du Christ et elle leur accorde ses prières et ses suffrages ; ainsi, puisque tous les membres du Christ sont en communion, elle obtient pour les uns un secours spirituel en offrant aux autres la consolation de l’espérance » (n. 1).
Cette conviction de l’importance de la prière et de l’intercession est confirmée un peu plus loin dans ces Préliminaires tels que repris en annexe dans l’ouvrage Dans l’espérance chrétienne, désormais cité DEC :
« En outre, dans les oraisons, la communauté chrétienne professe sa foi et intercède avec affection pour les défunts adultes, afin qu’ils obtiennent auprès de Dieu la béatitude éternelle. L’Église croit que sont déjà parvenus à cette béatitude les petits enfants défunts que le baptême a faits enfants d’adoption de Dieu. On prie aussi pour les parents de ces enfants, comme pour tous les proches des défunts, afin que, dans leur douleur, ils soient consolés par la foi » (n. 13, p. 234).
Une tradition ancienne enracinée dans la Bible
On prie donc à la fois pour le défunt et avec les vivants à qui est apportée l’espérance. Le principe théologique en jeu est celui de l’intercession efficace de l’Église pour les défunts.
Cette conviction, très ancienne, remonte même avant la naissance de l’Église, puisque nous en avons déjà le témoignage dans les derniers livres de l’Ancien Testament, par exemple à l’occasion d’une collecte organisée par Judas Maccabée pour offrir un sacrifice pour les combattants morts :
« Il organisa une collecte auprès de chacun et envoya deux mille pièces d’argent à Jérusalem afin d’offrir un sacrifice pour le péché. C’était un fort beau geste, plein de délicatesse, inspiré par la pensée de la résurrection. Car, s’il n’avait pas espéré que ceux qui avaient succombé ressusciteraient, la prière pour les morts était superflue et absurde. Mais il jugeait qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui meurent avec piété : c’était là une pensée religieuse et sainte. Voilà pourquoi il fit ce sacrifice d’expiation, afin que les morts soient délivrés de leurs péchés » (2 M 12, 43-46, selon la traduction liturgique).
Cette conviction s’est donc ensuite affirmée dans la prière liturgique, considérant que l’Église, en communion avec le Christ, peut offrir un secours spirituel aux défunts.
Trois dimensions de la prière pour les défunts
La prière de l’Église pour les morts est donc fondée, utile et même efficace selon le principe rappelé dès le premier numéro des Préliminaires du Rituel des funérailles). Et cette prière s’exprime de trois façons.
- Demander le passage à la vie éternelle
On prie d’une part pour demander que le défunt passe de la mort à la vie, qu’il partage la victoire du Christ sur la mort, soit associé à sa vie de ressuscité, passe de ce monde vers Dieu, que Dieu l’accueille près de lui :
« Seigneur, Dieu des vivants,
toi qui appelles à la vie les corps soumis à la mort,
accueille aujourd’hui l’âme de (ton serviteur/ta servante) N.
Pardonne-lui, dans ta miséricorde,
ce qu’il/elle a pu faire de mal ici-bas :
qu’il/elle connaisse près de toi la joie véritable
et ressuscite pour la vie éternelle,
quand le Christ Jésus viendra juger le monde » (oraison d’ouverture, DEC 189).
- Demander la purification du défunt
C’est quelque chose qu’on a du mal à réaliser dans nos célébrations – à cause de notre habitude de glorification du défunt -, mas l’Église prie d’autre part pour demander la purification du défunt, c’est-à-dire que ses péchés soient pardonnés. Demande de purification qui passe par des expressions de même sens : « Libère-le du péché »
« Dieu d’amour, source de tout amour,
l’affection que tu as mise en nos cœurs
pour (ton serviteur) N.
nous invite à te prier avec confiance,
toi qui aimes pardonner aux pécheurs
et faire vivre ceux que tu as sanctifiés.
Accorde à notre ami
le bonheur que tu réserves à tes fidèles :
délivre-le de ce qui le sépare encore de toi
et donne-lui de se tenir devant ta face
au jour de la résurrection » (oraison d’ouverture, DEC 421)
- Soutenir les vivants dans l’espérance
Cette prière enveloppe également les proches dans leur peine, les invitant à croire en la promesse de la résurrection. Pour cela, elle s’appuie sur une attitude fondamentale d’espérance qui imprègne l’ensemble du Rituel renouvelé après Vatican II :
« Dieu, notre Père,
tu as tellement aimé le monde
que tu lui as envoyé ton propre Fils :
il a vécu sur cette terre,
il est mort et ressuscité
pour que tout homme ait la vie en abondance.
En cette heure de peine
où N. (notre ami/amie) vient de nous quitter,
nous te supplions instamment :
augmente notre amour, avive notre espérance,
donne-nous de croire vraiment
que le Christ est la résurrection et la vie … » (oraison d’ouverture, DEC 191)
Trouver un équilibre liturgique entre hommage et
En fait, il s’agit de trouver un équilibre entre l’hommage au défunt qui a plutôt sa place au début de la célébration (dans le mot d’accueil, mais aussi plus loin lors du dernier adieu avec l’aspersion, l’encensement et le défilé devant le cercueil) et, la recommandation à Dieu qui va progressivement envahir l’horizon des participants, avec la liturgie de la Parole, la prière universelle, la prière de louange (ou le sacrifice eucharistique) et, la dernière remise à Dieu dans la confiance.
La pédagogie induite par le Rituel est pour nous maîtresse de vérité : elle amène progressivement à considérer la vie du défunt comme le lieu de l’action salvifique de Dieu dans notre monde, et à en découvrir la mystérieuse fécondité. Loin de s’opposer, l’hommage au défunt et la recommandation à Dieu convergent pour dessiner une sorte de chemin pascal sur lequel la liturgie conduit au-delà d’un simple éloge humain vers la confiance en la résurrection :
« À la suite du Christ, l’Église reconnaît que toute vie vient de Dieu, que toute vie va à Dieu et que la mort n’est pas la fin de tout, mais un passage…» (DEC, p. 230).