Instruction romaine sur la conservation des cendres en cas de crémation (2016)
Le 15 août 2016, la Congrégation de la Doctrine de la Foi a rendu publique l’instruction Ad resurgendum cum Christo sur la sépulture des défunts et la conservation des cendres en cas d’incinération, avec approbation du Pape Françoise en mars 2016. Comme l’expose le Cardinal Müller, alors préfet de la Congrégation devenue depuis le Dicastère pour la Doctrine de la Foi, le texte entend expliciter théologiquement la préférence de l’Église pour l’ensevelissement des morts, et, partant d’une pratique qui se répand de plus en plus, donner quelques normes en ce qui concerne la conservation des cendres.
L’article qui suit propose le commentaire « à chaud » de ce document, qui prend à bras le corps les pratiques funéraires actuelles et les nombreuses interrogations qui en découlent : l’instruction entend fonder la pratique pastorale de l’Église dans une juste compréhension du mystère pascal. La pratique de la crémation s’est beaucoup développée depuis 2016. L’instruction vaut pourtant la peine d’être relue pour éclairer les adaptations de nos pratiques devenues nécessaires depuis sa parution.
La Résurrection du Christ comme fondement de la position de l’Église
Le document débute par rappeler l’instruction Piam et constantem donnée par le Saint-Office le 5 juillet 1963. Cette dernière précisait que l’incinération n’était « pas contraire en soi à la foi chrétienne » et que désormais on ne refuserait plus les funérailles chrétiennes à ceux qui auraient recours à cette pratique, à condition qu’un tel choix ne soit pas motivé par « une négation des dogmes chrétiens, dans un esprit sectaire, ou par haine contre la religion ou l’Église ». Ce changement de discipline ecclésiastique a été heureusement reçu dans la pastorale et il a été inscrit tant dans le Code de droit canonique (1983) et que dans le Code des Canons des Églises orientales (1990). Entre temps, la pratique de l’incinération des corps s’est encore plus largement répandue dans les sociétés occidentales, posant des questions nouvelles tant anthropologiques, spirituelles que liturgiques et doctrinales. Ad resurgendum Christo précise ensuite, comme base à tout ce qui suivra, que la résurrection du Christ constitue le fondement de la foi chrétienne. C’est cette vérité que constitue la clé de lecture du texte. L’œuvre de résurrection est déjà entreprise pour le croyant au moment de son baptême ; là il naît à la vie nouvelle d’enfant de Dieu par l’eau et l’Esprit. « Grâce au Christ, la mort a un sens positif » (n. 2).
La vision chrétienne de la mort
La tradition chrétienne exprime sa préférence pour l’inhumation des corps. Cette pratique, en effet, qui rappelle l’ensevelissement du Seigneur lui-même, est la forme la plus idoine pour exprimer la foi en la résurrection. Pour vivre avec le Christ, il s’agit de mourir en Lui, et pour ainsi dire, de faire comme Lui au point de partager son propre tombeau dans l’attente de la Pâque. Cette déposition au tombeau traduira aussi, au plus haut point, la dignité intrinsèque que l’Église reconnaît au corps humain. Il ne subira aucune atteinte sauf celle de la terre et du temps sur son enveloppe charnelle, jusqu’à ce que « Dieu [rende] la vie incorruptible à notre corps transformé, en le réunissant à notre âme » (n.2). La vision chrétienne de la mort s’opposer donc à l’idée d’un anéantissement définitif de la personne, d’un moment de sa fusion avec la Mère-nature ou avec l’univers, une étape dans le processus de réincarnation, ou encore la libération définitive de la « prison » du corps (cf. n. 3).
L’Église et l’incinération
L’Église ne voit aucun empêchement d’ordre doctrinal à l’incinération [on parle aujourd’hui plus volontiers de crémation] des défunts puisque cette dernière n’a aucune action sur l’âme ni, bien évidemment, sur la puissance du Seigneur à rendre nos corps pareils à son corps glorieux. Elle accompagne cette démarche, liturgiquement et pastoralement, après la célébration des funérailles. C’est notamment l’objet d’un guide pastoral, en forme de rituel, édité par l’épiscopat français, dans l’attente d’une traduction du nouveau Missel des défunts : Dans l’espérance chrétienne, célébrations pour les défunts (Paris : Mame, 2008). Ce guide-rituel propose des choix de monitions, d’oraisons et de lectures pour chacun des temps vécu autour de la crémation. Il est particulièrement adapté aux laïcs qui se retrouvent en situation de conduire des funérailles. Les ministres ordonnés y trouveront pareillement une aide bienvenue.
La modalité de conservation des cendres
Le texte, ensuite, précise les modalités de conservation des cendres. Il demande que les cendres soient conservés dans un lieu pérenne afin d’éviter les éventuels oublis ou manques de respect qui peuvent advenir « après la disparition de la première génération » (n. 5). A cette fin, il ne permet pas la conservation des cendres dans un lieu domestique, c’est-à-dire à la maison, pas plus qu’il n’autorise le partage des cendres entre les membres de la famille ou la fabrication d’objets, comme des bijoux, à partir des cendres du défunt.
Les lieux d’inhumation
C’est aussi dans les lieux d’inhumation, les cimetières en particulier, que la tradition chrétienne a « préservé la communion entre les vivants et les morts » (n. 4), que la mort a gardé une dimension sociale et que les familles y trouvent un lien commun de souvenir, de mémoire et de prière. L’Histoire nous laisse de nombreux cimetières établis à l’ombre immédiate des églises, pour mieux affirmer cette proximité dans la communion des saints, entre ceux qui sont encore en pèlerinage sur cette terre et ceux qui déjà s’approchent plus encore de la Jérusalem céleste.
La crémation en éventuelle opposition à la foi en la résurrection des morts
L’instruction se termine en rappelant la position traditionnelle de l’Église quant à la crémation : si elle est choisie en opposition à la foi chrétienne, alors les funérailles ne pourront être célébrées liturgiquement.
Position ecclésiale et loi française
Il est intéressant ici de s’intéresser encore à la loi française (n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire) qui comble depuis 2008 le grand vide juridique qui régnait jusqu’alors autour de ces questions en France. La loi prévoit une déposition transitoire des cendres (après l’incinération jusqu’au moment où les cendres rejoindront l’endroit destiné à les recevoir) : cette déposition « qui ne peut excéder un an » (L 2223-18-1) peut se faire au crématorium ou dans un lieu de culte avec l’accord de l’affectataire. Il est à noter que dans notre pays cela ne peut concerner que cette période transitoire et qu’il n’est pas permis d’aménager des columbariums à l’intérieur des églises.
Les cendres doivent, toujours d’après la loi, être ensuite conservées ou dans un endroit destiné à cette fin (cimetière, colombarium), ou dispersées dans un espace aménagé (« jardin du souvenir ») dans un cimetière ou un site cinéraire, ou encore être dispersées en pleine nature, sauf sur les voies publiques. Cette dernière option devra au préalable avoir fait l’objet d’une déclaration auprès de la mairie du lieu de naissance du défunt et sera consignée dans un registre tenu à cet effet. Une autorisation du maire est encore nécessaire pour le dépôt de l’urne ou la dispersion des cendres dans une propriété privée si « telle est la volonté exprimée par le défunt » (R 2213-39).
Un soutien pastoral
On le constate la loi républicaine est plus « permissive » que les dispositions ecclésiales. On notera que l’une et l’autre ont à cœur de préserver la dignité des restes humains. Les pasteurs et toutes les personnes œuvrant dans la pastorale des funérailles auront intérêt à connaître l’une et l’autre pour accompagner les familles souvent démunies autour de ces questions et parfois déchirées entre une volonté exprimée plus ou moins clairement par le défunt avant sa mort et ce qu’il est permis de faire. L’instruction romaine quant à elle part, bien évidemment, de la foi en la Résurrection. C’est cette dernière qui donne sens à toutes les pratiques funéraires en registre chrétien. Ainsi Ad resurgendum cum Christo vise à la fois à réaffirmer la dignité fondamentale du corps du défunt, « temple de l’Esprit » en attente de la résurrection future, et à accompagner le travail de deuil des proches en leur garantissant un lieu de mémoire, de souvenir et de communion dans la prière avec leur défunt.
(Reproduction du commentaire de l’instruction par le P. Michel Steinmetz, « Note sur l’instruction romaine Ad resurgendum cum Christo », paru dans Église en Alsace, Strasbourg, décembre 2016)