L’arbre au fil de l’année liturgique 3/3 : Pâques et conclusion

Arbre de Jessé, avec Jessé assis au pied de l'arbre. Arsenal, manuscrit 416 f° 7.

Arbre de Jessé, avec Jessé assis au pied de l’arbre. Arsenal, manuscrit 416 f° 7.

La figure de l’arbre est présente tout au long de l’année liturgique. Entre Bible et liturgie François-Xavier Ledoux, o.p., s’est livré à l’exercice de montrer comment lors des Journées nationales des équipes Fleurir en novembre 2023. Cet article reproduit la troisième partie de son intervention : Entre Bible et liturgie, l’arbre au fil de l’année liturgique : Pâque « l’arbre du passage », suivie de la conclusion. Deux autres articles en ligne sur ce site mènent la même réflexion respectivement pour le temps de l’Avent et de la Nativité (1/3) et celui du Carême et de la Semaine sainte (2/3)

Pâques : « L’arbre du passage »

À Pâques, la Croix devient l’arbre du passage de la mort à la vie : d’instrument de supplice, elle devient, désormais, le nouvel « arbre de vie » pour toute l’humanité.

Même si la Croix, arbre de vie, ne se trouve pas présentée comme telle dans la Bible et tout particulièrement dans le Nouveau Testament, les premiers Pères de l’Église font très tôt le lien entre l’arbre du jardin d’Eden, objet de la chute, et l’arbre de la croix par lequel le Salut arrive : avec ses deux parties, le cep vertical et le patibulum horizontal, la croix ressemble à un arbre. Dès lors, les quatre dimensions de la croix sur le monde sont interprétées comme un signe cosmique qui refait l’unité de la création.

Guiard des Moulins (1251-13..), auteur, Paris, début du XVe s.,
Bible historiale, « Le Péché originel », BnF, Manuscrits.

Bien plus, les Pères vont utiliser la symbolique de l’arbre de vie pour dire à la fois la mort du Christ et le fruit de celle-ci qui est la résurrection et la nôtre. C’est ainsi que l’on trouve, jusqu’à aujourd’hui, dans l’iconographie chrétienne, des représentations de croix feuillues ou d’arbre-croix :

Exemple 1 : Minot-Gormezano, Racines de Ciel II (1988). Nous voyons un arbre flamboyant, fait de chair et de terre, un arbre de vie. Le tronc de chair renvoyant de façon transparente au tronc végétal, les bras étendus devenant branches, la tête, un faîte, et le feuillage, ajoutant à la composition, l’image, mystique, d’un rayonnement. Cet homme-arbre n’est pas sans évoquer, avec la position des bras et du corps, la figure d’un Christ en croix, où la croix retrouverait ainsi le sens de l’arbre de vie qui l’habite.

Exemple 2 : 

La croix en mosaïque dans l’abside de la basilique Saint-Clément de Rome (XIIe s.), symbole de lumière et de gloire, configure sur fond d’or la plus audacieuse vision de la mort du Seigneur : « Par sa mort il a vaincu la mort ! » La croix est manifestée comme l’arbre du paradis nouveau, dont les ramures, en rinceaux fleurissant, envahissent le la terre et le ciel. 

La croix est tout aussi bien « source » de toute fécondité qu’« arbre de vie » : tout auprès d’elle vient. Véritable arbre de la vie dressée dans le paradis définitif, elle est la réalité à partir de laquelle tous les êtres trouvent leur plus juste existence. Désormais, dans le Christ crucifié apparaît le jugement du monde : le crible auquel sera passé l’univers entier, c’est la croix, le mystère d’un Amour qui est la source, le centre et l’achèvement de toute chose.

Sur fond bleu de nuit de la croix de Saint-Clément sont parsemés des « colombes blanches », mémorial de l’Esprit qui se déposa sur lui au baptême. C’est dans ce même souffle qu’il expira sur la croix et qu’il ressuscita. Croix-souffle, croix « pneumatique », croix de vie : l’arbre aux oiseaux (1), c’est à la fois l’Homme-Jésus, mort et ressuscité, et nous, baptisés dans l’eau qui a coulé du côté transpercé du Christ et dans son Esprit : auprès de cet « arbre de vie », source de tout fécondité, nous venons trouver refuge, protection et renaissance.

Enfin, autour de la croix se déploie une luxuriante vigne qui remplit le monde sans l’étouffer, sans le réduire ; bien au contraire, elle semble le faire grandir à la mesure de son printemps infini. Cette vigne, image de l’Église, est le signe d’une vie plus grande à laquelle le cosmos est invité à se convertir. Elle abrite la richesse du monde, des plus simples moments du quotidien aux plus nobles figures de sainteté, conduisant les grands et les humbles à la lumière dorée du royaume qui l’accompagne. Ce renouvellement de toute chose s’enracine au pied de la croix dans cet antique bouquet d’acanthe abritant les quatre fleuves du Paradis qui peuvent symboliser à la fois les quatre vertus théologales (prudence, tempérance, force ou courage, justice) et les quatre évangiles.

 Conclusion

Avec toutes les mentions de l’arbre sous ses différentes formes, le Missel romain, appuyé sur l’Écriture, nous montre qu’il est possible de faire un véritable résumé de l’histoire du Salut, rien qu’à partir de l’arbre, et tout particulièrement à partir de l’arbre de vie qu’est la Croix du Christ Sauveur ; car c’est elle qui donne tout son sens à notre foi, notre charité et surtout notre espérance, comme le chante encore l’antienne de communion du Commun des martyrs, au temps pascal : 

« Au vainqueur, je donnerai de goûter à l’arbre de la vie qui est dans le paradis de Dieu. Alléluia (2). »
Puis, la prière après la communion s’en fait l’écho :
« Après avoir célébré dans ce banquet que Dieu nous donne tes saints martyrs, victorieux dans le ciel, nous te supplions, Seigneur : fais que, mangeant ici-bas le pain de vie, nous remportions la victoire, et qu’ainsi victorieux, nous mangions au paradis le fruit de l’arbre de vie. »
Pacino DI BONAGUIDA, Arbre de vie, vers 1310-15.

En attendant, nous sommes appelés à vivre « comme des arbres plantés près d’un ruisseau », nous rappelle l’antienne d’ouverture du Commun des saints et des saintes :

« Béni soit l’homme
qui met sa foi dans le Seigneur,
dont le Seigneur est la confiance.
Il sera comme un arbre, planté près des eaux,
qui pousse, vers le courant, ses racines.
Il ne craint pas quand vient la chaleur (3). »

Alors, le Seigneur nous le promet :
« Le juste fleurira comme un palmier, il se multipliera comme un cèdre du Liban ; planté dans les parvis du Seigneur, il grandira dans la maison de notre Dieu (4). »

François-Xavier Ledoux, o.p.

(1) « L’arbre aux oiseaux » : l’amélanchier, souvent planté dans le jardin des simples des monastères ou dans les cloîtres, est un arbre à la portée métaphysique, image de l’arbre de vie du jardin d’Eden dans le récit de la Genèse, et dont la tradition médiévale s’est emparé pour composer ses hortus conclusus, jardins enclos ou aussi appelés jardins d’amour de Dieu pour l’homme. L’arbre à oiseau devient ainsi au moyen-âge un lieu commun de la représentation du paradis. C’est donc tout naturellement que l’on plante dans les hortus conclusus des arbres remplissant la fonction d’attirer les oiseaux. Ces arbres spéciaux, couverts de fruits, et visités par des oiseaux chanteurs sont l’image même de la relation à Dieu, comme une voie à suivre : chanter et louer le Seigneur pour tous ses dons ; se donner à Lui par une charité sans faille envers les pauvres. Être tantôt l’oiseau, tantôt l’arbre. Dans ce besoin métaphysique d’attirer les oiseaux, besoin qui préside à la composition des hortus conclusus à l’image du paradis originel et promis, l’amélanchier n’a nul autre pareil. Il est par excellence « l’arbre aux oiseaux », symbole de l’arbre de vie, d’abondance et de fécondité, où les oiseaux jouissent gratuitement de ses fruits comme Adam et Ève en Éden, et qui louent la bonté divine par leurs polyphonies et leurs gazouillements.
(2) Ap 2, 7. Vers 1260, saint BONAVENTURE écrit le Lignum Vitae ou l’Arbre de Vie, ouvrage de méditation spirituelle sur les trois Mystères de la vie du Christ (origine, passion, glorification), portant chacun quatre fruits. Cet ouvrage présente un édifice structuré sur l’Arbre de Vie du paradis terrestre de la Genèse (2, 9-10) et dans la vision de l’Apocalypse (22, 1-2) de Saint Jean, symbolisant Jésus-Christ cloué sur un arbre pour la rédemption de l’humanité. La peinture de Pacino DI BONAGUIDA en est l’illustration ultérieure : voir NarthexL’Arbre de Vie ou Lignum Vitae (1260) de saint Bonaventure.
(3) MISSEL ROMAIN, Commun des saints et des saintes – Pour plusieurs saints – Série 4. Voir Jr 17, 7-8 ; Ps 1, 3.
(4) Idem, série 3, antienne d’ouverture. Voir Ps 91, 13-14.

*****

FRA ANGELICO, Noli me tangere, 1440-41.

Annexes

Les trois arbres (conte traditionnel russe)

Il était une fois, en haut d’une montagne, trois petits arbres qui rêvaient à ce qu’ils voudraient devenir quand ils seraient plus grands.

Le premier regarda les étoiles qui brillaient comme des diamants au-dessus de lui. « Je veux abriter un trésor », dit-il, « je veux être recouvert d’or et rempli de pierres précieuses je serai le plus beau coffre à trésor du monde. »

Le deuxième arbre regarda le petit ruisseau qui suivait sa route vers l’océan. « Je veux être un grand voilier », dit-il, « je yeux naviguer sur de vastes océans et transporter des rois puissants. Je serai le bateau le plus fort du monde ».

Le troisième petit arbre regarda dans la vallée au-dessous de lui et il vit la ville où des hommes et des femmes s’affairaient. « Je ne veux jamais quitter cette montagne », dit-il, « je veux pousser si haut que lorsque les gens s’arrêteront pour me regarder, ils lèveront leurs yeux au ciel et penseront à Dieu. Je serai le plus grand arbre du monde ! »

Les années passèrent, les pluies tombèrent, le soleil brilla et les petits arbres devinrent grands. Un jour, trois bûcherons montèrent dans la montagne. Le premier bûcheron regarda le premier arbre et dit : « C’est un beI arbre. Il est parfait. » En un éclair, abattu d’un coup de hache, le premier arbre tomba. « Maintenant, je vais être un coffre magnifique », pensa le premier arbre, « j’abriterai un merveilleux trésor. »

Le deuxième bûcheron regarda le deuxième arbre et dit : « Cet arbre est vigoureux, voilà ce qu’il me faut ». En un éclair, abattu d’un coup de hache, le deuxième arbre tomba. « Désormais, je vais naviguer sur de vastes océans », pensa le deuxième arbre, « je serai un grand navire digne des rois. »

Le troisième arbre sentit son cœur flancher quand le bûcheron le regarda. « N’importe quel arbre me conviendra », pensa-t-il. En un éclair, abattu d’un coup de hache, le troisième arbre tomba. Le premier arbre se réjouit lorsque le bûcheron l’apporta chez le charpentier, mais le charpentier était bien trop occupé pour penser à fabriquer des coffres. De ses mains calleuses, il transforma l’arbre en mangeoire pour animaux. L’arbre qui avait été autrefois très beau n’était pas recouvert d’or ni rempli de trésors. Il était couvert de sciure et rempli de foin pour nourrir les animaux affamés de la ferme.

Le deuxième arbre sourit quand le bûcheron le transporta vers le chantier naval, mais ce jour- là, nul ne songeait à construire un voilier. À grands coups de marteau et de scie, l’arbre fut transformé en simple bateau de pêche. Trop petit, trop fragile pour naviguer sur un océan ou même sur une rivière, il fut emmené sur un petit lac. Tous les jours, il transportait des cargaisons de poissons morts qui sentaient affreusement fort.

Le troisième arbre devint très triste quand le bûcheron le coupa pour le transformer en grosses poutres qu’il empila dans la cour. « Que s’est-il passé ? » se demanda l’arbre qui avait été autrefois très grand. Tout ce que je désirais, c’était rester sur la montagne en pensant à Dieu ».

Beaucoup de jours et de nuits passèrent. Les trois arbres oublièrent presque leurs rêves. Mais une nuit, la lumière d’une étoile dorée éclaira le premier arbre au moment où une jeune femme plaçait son nouveau-né dans la mangeoire. « J’aurais aimé pouvoir lui faire un berceau », murmura son mari. La mère serra la main du père et sourit tandis que la lumière de l’étoile brillait sur le bois poli. « Cette mangeoire est magnifique », dit-elle. Et soudain, le premier arbre sut qu’il renfermait le trésor le plus précieux du monde.

D’autres jours et d’autres nuits passèrent, mais un soir, un voyageur fatigué et ses amis s’entassèrent dans la vieille barque de pêcheur. Tandis que le deuxième arbre voguait tranquillement sur le lac, le voyageur s’endormi. Soudain, l’orage, éclata et la tempête se leva. Le petit arbre trembla. Il savait qu’il n’avait pas la force de transporter tant de monde en sécurité dans le vent et la pluie. Le voyageur s’éveilla. Il se leva, écarta les bras et dit : « Paix. » La tempête se calma aussi vite qu’elle était apparue. Et soudain, le deuxième arbre sut qu’il transportait le roi des cieux et de la terre.

À quelque temps de là, un vendredi matin, le troisième arbre fut fort surpris lorsque ses poutres furent arrachées de la pile de bois oubliée. Transporté au milieu des cris d’une foule en colère et railleuse, il frissonna quand les soldats clouèrent sur lui les mains d’un homme. Il se sentit horrible et cruel. Mais le dimanche matin, quand le soleil se leva et que la terre tout entière vibra d’une joie immense, le troisième arbre sut que l’amour de Dieu avait tout transformé. Il avait rendu le premier arbre beau. Il avait rendu le second arbre fort. Et à chaque fois que les gens penseraient au troisième arbre, ils penseraient à Dieu. Cela était beaucoup mieux que d’être le plus grand arbre du monde.

(Traduit et adapté de l’anglais par Danièle Starenkyj – The Tale of Three Trees, A Traditional Folktale. Ce conte a été remis à l’honneur par Angela Elwell Hunt et illustré par Tim Jonke, 1999.)

Hymne Ô croix plus noble que les cèdres
(CFC – f. Didier et f. Fabien, 1979)

ANTIENNE
Ô Croix plus noble que
les cèdres, Sur toi la vie
du monde est clouée,
Sur toi le Christ a triomphé :
La mort a détruit la mort !

REFRAIN
Gloire à toi,
Jésus Sauveur,
Ta Croix nous
donne la vie !

  1. Voici l’arbre de vie,
    Où le nouvel Adam offre son sang
    Pour rassembler les hommes en un seul corps : Venez adorons !

2. Voici l’arbre de vie,
Où le Sauveur du monde tend les mains
Pour embrasser les hommes dans son pardon : Venez adorons !

3. Voici l’arbre de vie,
Où le Bien-aimé du Père ouvre à l’humanité
Les portes du Royaume : Venez adorons !

4.Voici l’arbre de vie,
Où l’amour crie son abandon,
Pour donner une espérance à tous les mal-aimés : Venez adorons !

5. Voici l’arbre de vie,
Où le Fils de l’homme donne l’Esprit
En remettant son souffle entre les mains du Père : Venez adorons !

6. Voici l’arbre de vie,
Où la lumière du monde traverse les ténèbres
Pour accomplir la pâque de l’univers : Venez adorons !

7. Voici l’arbre de vie,
Où Jésus nous confie sa Mère Ève nouvelle
Sur la terrasse des sauvés : Venez adorons !

8. Voici l’arbre de vie,
Où l’innocent maudit porte nos péchés
Pour réconcilier la terre et le ciel : Venez adorons !

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