La pénitence, quelques jalons d’histoire
Par Fr. Bernard Marliangeas, frère dominicain et auteur, ancien membre du CNPL (Centre National de Pastorale Liturgique)
Circonscrite au XVIe à la confession privée, la pénitence connaissait dans les premiers temps de l’Église une amplitude beaucoup plus large dans les modes d’expression qui revêtaient un caractère public et ecclésial affirmé. C’est ce que l’Église, à la lumière du Concile Vatican II se réappropriera, en se définissant d’abord comme peuple de Dieu.
La pénitence ecclésiale dans les premiers siècles
Avant le VIe siècle
Un contexte marqué par les persécutions
C’est au IIIe s. que l’on trouve les premiers témoignages d’une pratique liturgique de l’Église concernant la réconciliation de ceux qui ont péché gravement, non pas dans l’ordre de la morale mais de la foi. La pénitence ecclésiale vise en particulier ceux qui ont renié le Christ dans les persécutions. Elle leur sera offerte comme un second baptême, possibilité non réitérable pendant toute l’Antiquité.
Le futur pénitent vient trouver l’évêque, celui qui fait l’unité de l’Église, pour être « rassemblé » au nom du Christ. Toute son attitude va témoigner d’une demande de pardon à ses frères pour avoir brisé l’unité, et de sa confiance en la miséricorde de Dieu. Il n’est nullement question de confession détaillée.
Une longue célébration avec Parole de Dieu et prière commune (notamment des litanies pour la conversion de tous) réunit une assemblée nombreuse.
La pénitence prend la forme d’un état de vie. Cet état de pénitent peut durer plusieurs années, rythmé par des assemblées de prière. Une fois la pénitence accomplie, une grande prière de l’évêque le jeudi Saint, réintroduira le pénitent au sein de l’Église.
La crise de la fin de l’Antiquité
Le contexte ayant changé, le processus ne fonctionne plus dès le Ve s. Plus personne n’est prêt à affronter l’état de pénitent avec tous ses interdits : interdit de relations conjugales, de commerce, de recevoir des successions, et cela à vie. L’Église y renoncera et abandonnera le principe de non-réitération de la réconciliation ecclésiale.
Entre le VII et le XIIe siècle
La naissance de la confession privée
Cette nouvelle forme va faire son apparition dans un contexte monastique, marqué par la conversion quotidienne. Il s’agit de rejoindre non plus celui qui a renié sa foi, mais des chrétiens au cœur de leur opacité, leur lenteur, leur incompréhension. Les rituels de cette époque mettent l’accent sur la qualité de l’accueil, la prière commune et la confession de foi.
Des tarifs aux indulgences
Ici trouve place une confession détaillée afin de proportionner la pénitence au mal. Les « tarifs » référencés dans les livres pénitentiels peuvent prononcer jusqu’à un an et plus de jeûne. C’est pourquoi, on voit apparaître « les rédemptions » à l’origine des indulgences qui permettront de remplacer des peines sévères par une autre pénitence, l’offrande de cinquante messes par exemple. Le pénitent est considéré comme absout une fois la pénitence accomplie.
À partir du XIIIe siècle, vers une privatisation de la pénitence
Au XIIIe s., les tarifs ont totalement disparu.
Après le concile de Trente (1545-1563), la seule forme sacramentelle de la pénitence dans l’Église est la confession privée dont la liturgie est réduite à sa plus simple expression. Pour la masse des chrétiens, la pénitence ne sera plus perçue que comme une pratique dévotionnelle, vécue sous la forme de l’obligation de la confession annuelle. Fait lourd de conséquence…
1973 : La pénitence à un tournant
Avant la parution en 1978 du nouveau Rituel dans sa traduction en français : Célébrer la pénitence et la réconciliation, un Groupe d’études pour le renouveau de la pénitence (GERP) avait été constitué en 1973 par le Centre national de pastorale liturgique. Un dossier en présenta les travaux, introduit par une analyse sociologique du contexte dans lequel cette réforme vit le jour.
Un monde où l’homme entend modifier son univers social
Dans notre société en rapide transformation, la règle de conduite n’est plus de répéter les façons de faire des générations antérieures. Il s’agit de se mettre au service de projets humains et beaucoup ont conscience que l’homme se transforme lui-même par cette action. Il y a là une invitation à exprimer les exigences de l’Évangile pour les hommes d’aujourd’hui.
Une culture marquée par le développement des sciences humaines
Une grande partie de nos contemporains est touchée par l’apport de la sociologie et de la psychologie en particulier dans les questions touchant la culpabilité et la sexualité. Il y a là une meilleure connaissance des conditionnements qui marquent l’agir humain qui ne doivent pas pour autant, être confondus avec le péché. Peut se poser une difficulté à situer la liberté.
Une grande importance reconnue aux réalités collectives
Beaucoup ont conscience que l’homme n’existe et ne se développe que dans un tissu de relations. La dimension politique des actions est ainsi reconnue.
Une nouvelle image de l’Église
Depuis le Concile Vatican II, l’Église s’est définie, avec une insistance nouvelle, comme peuple de Dieu. Dès lors en ce qui concerne le sacrement de pénitence, il va s’agir à la lumière de la Tradition, de le situer dans les diverses étapes qui y conduisent et le prolongent dans le comportement et les actes quotidiens : pardon mutuel ; partage et dépassement de soi ; refus de l’injustice et lutte pour la justice ; engagement apostolique ; prière. La liturgie elle-même se refuse à restreindre la pénitence au sacrement, par une revalorisation de toutes ses expressions (préparation pénitentielle de la messe, rite de paix, rites occasionnels tels que pèlerinage, onction des malades, célébration des cendres…), les insérant à l’intérieur de la structure pénitentielle de l’Église.
Ainsi, c’est dans un contexte renouvelé que l’Église est amenée à repenser son approche de la pénitence, ou plutôt de l’état de pénitent, condition par excellence du chrétien.
Bibliographie : CNPL, Notes de pastorales liturgiques, n°107, Paris, Cerf, 1973.
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