La chorale liturgique et le chef de chœur : bilans et perspectives
Par Fabien Barxell, Responsable du département Musique au SNPLS
On ne dira jamais assez la richesse humaine, sociale et musicale qui se vit à l’intérieur des chorales … quel que soit son potentiel technique.
En se développement tout au long du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle la chorale a pu penser que la Réforme liturgique voulait se débarrasser d’elle en faveur seulement du chant d’assemblée.
Pourtant elle est naturellement rattachée au groupe des chanteurs et, à ce titre, doit remplir une fonction ministérielle dans la liturgie.
Dans son article n°21 l’Instruction De Musica in Sacra Liturgia valorise avec insistance son rôle :
« En raison du rôle liturgique qu’elle remplit, la chorale […] mérite une attention particulière. Sa fonction a pris encore plus d’importance et de poids par suite des dispositions du Concile concernant la restauration liturgique. Il lui revient en effet d’assurer la juste exécution des parties qui lui sont propres, selon les divers genres de chant, et d’aider la participation active des fidèles dans le chant. »
On ne peut être plus clair et plus encourageant !
Donc, une double fonction :
- assurer la juste exécution des parties qui lui sont propres;
- aider la participation active des fidèles au chant.
La chorale et les parties qui lui sont propres
La chorale doit assurer la juste exécution des parties qui lui sont propres.
Cela suppose que l’audition de ces parties soit suffisamment exemplaire pour que les fidèles dans l’écoute soient portés, touchés, atteints par la beauté, le soin de l’exécution, pour que cette audition ne soit pas passive, mais active dans la réception et entraîne dans la prière.
Vous connaissez probablement le texte célèbre de Joseph Samson prononcé en 1957 sept jours avant sa mort au ton abrupte mais tellement juste : « Si le chœur, quel qu’il soit, n’introduit pas à l’office plus de vie spirituelle, que le chœur se taise. Si le chant du chœur n’est pas pour les fidèles une nourriture, du pain… que le chœur sorte. […] Tout chant dont la valeur expressive n’égale pas celle du silence est à proscrire. »
Et un autre passage tout aussi frappant : « Si le chant n’est pas là pour me faire prier, que les chantres se taisent ! Si le chant n’est pas là pour apaiser mon tumulte intérieur, que les chantres s’en aillent ! Si le chant n’a pas la valeur du silence qu’il a rompu, qu’on me restitue le silence ! »
Tout comme l’animateur de l’assemblée, la chorale ne doit pas être une gêne, un empêchement à entrer dans la prière. La chorale s’éloignerait alors de la fonction ministérielle que l’on attend d’elle.
Comment la chorale peut-elle assurer des parties qui lui sont propres ?
Elle peut dialoguer avec le peuple, chanter les versets alors que le peuple chante l’antienne, elle peut ici ou là revêtir certains chants de polyphonie (mais pas en permanence car cela finirait par banaliser la polyphonie, voire empêcher le peuple de chanter en distrayant son écoute), offrir des motets durant la présentation des dons ou durant la communion.
La chorale, une aide à la participation active du peuple
La chorale doit aider la participation active du peuple au chant.
La chorale est irremplaçable pour lancer un nouveau chant, pour être le moteur de l’assemblée à certaines conditions :
La place de la chorale dans l’église
Au n°23 De Musica in Sacra Liturgia il est stipulé :
« Le groupe des chanteurs, compte tenu de la disposition de chaque église, sera installé de telle façon :
- Que sa nature apparaisse clairement, à savoir qu’il fait partie de l’assemblée des fidèles et qu’il remplit une fonction particulière ;
- Qu’il soit à même de remplir au mieux sa fonction liturgique ;
- Que chacun de ses membres puisse facilement participer à la messe intégralement, c’est-à-dire par la communion sacramentelle. »
Bien entendu chaque cas est ici particulier.
La formation de la chorale
Une fois de plus il nous faut évoquer le souci de la formation.
Au n°24, De Musica in Sacra Liturgia précise :
« En plus de la formation musicale, on donnera aussi aux membres de la chorale une formation liturgique et spirituelle adaptée, de sorte qu’en remplissant parfaitement leur fonction liturgique, ils n’apportent pas seulement à l’action sacrée plus de beauté et aux fidèles un excellent exemple, mais qu’ils en retirent eux-mêmes un vrai profit spirituel. »
Peut-être certains d’entre vous voudront témoigner dans les carrefours du vécu d’une semblable formation …
D’autres aspects ou difficultés peuvent être évoqués.
L’amplification des chorales
L’amplification des chorales ne rend pas justice à sa fonction ministérielle, à son travail préparatoire, à son image sonore.
Comme pour l’animateur de l’assemblée, l’amplification de la chorale peut étouffer le chant du peuple. On ne perçoit plus qu’elle.
De plus, de trop rares amplifications saisissent l’ensemble de la chorale mais quelques voix individuelles (généralement celles qui sont directement placées devant ou sous le micro).
Curieusement les chorales (liturgiques ou profanes) cherchent toutes les qualités acoustiques naturelles d’une église pour leurs concerts. Paradoxalement la liturgie est entièrement amplifiée. L’autre texte célèbre de Joseph Samson « Dieu est sourd » pourrait être parodié à force d’amplification « Le peuple de Dieu est un peuple de sourds ».
De Musica in Sacra Liturgia (et bien d’autres textes) encouragent les chorales à promouvoir, non seulement la participation active des fidèles, mais aussi à conserver et à cultiver le trésor de la musique sacrée. Comment réaliser cette délicate partition ? De trop nombreux chefs sans formation liturgique ne voient aucun problème pour diriger un Ave verum ou un Ave Maria à la présentation des dons, ou un Tollite hostias aux Rameaux, etc.
On pourrait également évoquer l’absence des chefs de chœur (et pourquoi pas de certains choristes) aux préparations des célébrations où le répertoire est choisi. Quel dommage et quelle erreur ! Là encore il est illusoire de penser que l’on peut choisir le répertoire de la chorale sans les avis extérieurs à la chorale. Les avis des fidèles sont au contraire précieux pour entretenir le lien entre le peuple et la chorale, et les avis des choristes seuls sont parfois aveuglés par des considérations « internes ».
Trop souvent (comme nous le verrons avec nos amis organistes) le chef de chœur est considéré « comme celui qui sait, comme le spécialiste avec lequel il sera difficile de dialoguer d’égal à égal ». De ce fait il n’est pas invité ou encore il a lui-même déserté ces lieux où « décidemment on ne peut parler musique ».
Tentons de le convaincre que s’il est compétent pour réaliser et évaluer un travail de chant choral, il aura à cœur d’entendre des impressions « profanes » qui lui apprendront beaucoup de choses sur la perception de la chorale dans la communauté.
La perception de la chorale
La perception de la chorale … justement parlons-en.
Nous le savons bien, nos chorales vieillissent sans apercevoir des lendemains qui chantent. Elles ne recrutent plus ou, principalement, dans la génération des retraités.
Je suis admiratif lorsque j’apprends que tel chef a prévu le calendrier de son passage de relais avec un chef plus jeune, qui parfois a appris son métier en alternance avec le chef plus âgé. Respect. D’autres préfèreront mourir avec leur groupe, tel le capitaine Edward Smith à bord du Titanic.
Lorsque des jeunes se présentent dans les chorales les accueillons-nous comme une grâce ? et les préparons-nous comme les chanteurs de demain ?
Oui, beaucoup de jeunes préfèrent se retrouver entre eux. À la cathédrale d’Autun où j’ai dirigé durant 18 ans, la maîtrise des enfants et des adolescents côtoyait généralement aux grandes fêtes le chœur des adultes. Je n’ai jamais perçu de difficultés à ces rassemblements intergénérationnels. À la cathédrale de Rennes il n’en a pas été de même : à l’issue de ma première répétition avec le chœur des adultes (très âgé) quelques jeunes choristes sont venus me trouver pour me dire « On en peut plus, si vous ne formez pas un ensemble pour nous, on se casse ». Vous pouvez deviner ma stupéfaction.
Le défi qui se pose aux chorales est considérable. Comment remplir cette fonction ministérielle en harmonie avec l’assemblée et l’ensemble des acteurs liturgiques ? Comment être utile sans prendre régulièrement toute la place ? Est-il possible de penser la structure même de la chorale sous la forme d’un ensemble polyvalent pouvant s’adapter à toutes sortes de situations et pouvant se présenter sous des compositions différentes selon les besoins du terrain ?
Table ronde sur l’animateur de l’assemblée
Cette table ronde s’est déroulée à l’occasion des Journées nationales de musique liturgique les 28 et 29 septembre 2018.
Le contenu des propos relatés n’a pas un caractère normatif, mais présente la diversité des points de vue des intervenants. Il contribuera à alimenter la réflexion de chacun sur ses propres pratiques : qu’est-ce que je fais ? Comment ? Pourquoi ? Quel sens cela prend ?
Les invités ont pu réagir étaient invités à réagir au texte cible présenté plus haut.
Participants à cette table ronde
TL : Thibaut Louppe, chef de chœur Primatiale Saint-Jean, Lyon
AG : Alain Gaudeul, chef de chœur ANCOLI
BS : Béatrice Sépulchre, Conférence des évêques de Belgique
EP : Emmanuel Pittet, Centre Romand de Pastorale liturgique
JS : Jean Schwach, Pasteur de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL)
ML : Maciej Leszczyński, Peintre d’icônes, chantre et théologien, chef de chœur en la paroisse Saint-Nicolas à Boulogne-Billancourt
Varier les mises en œuvre
N’abusons pas de la polyphonie ! Un unisson travaillé vaudra toujours mieux qu’une polyphonie approximative. L’Avent et le Carême, qui nous invitent à nous débarrasser de tous nos superflus et de nos dépendances, pourraient mettre en valeur le chant à l’unisson (TL). Des groupes de quelques chanteurs se substituent selon les endroits aux chorales polyphoniques ; et ils témoignent de la force du chant à l’unisson, parfois plus puissant qu’une polyphonie boiteuse (BS).
Utiliser les couleurs particulières des voix d’enfants, de femmes ou d’hommes, séparément ou alternativement, permet de manifester la diversité et la richesse de l’assemblée (TL).
Un lieu de vie et de formation
La chorale est aussi un lieu de vie sociale, une communauté de croyants, un lieu de formation et aussi un lieu d’évangélisation, de catéchèse et où l’on peut prier ensemble pour commencer la rencontre par exemple (TL). Elle est aussi un lieu où le chef de chœur peut user de pédagogie pour évoquer la liturgie, ses temps et ses rites (AG).
Bien entendu la responsabilité du chef de chœur est grande et elle ne se limite pas à la seule compétence musicale. Il est un stimulateur qui aide ses chanteurs à renouveler leur pensée, à éviter le piège de la routine, et se régénérer au contact de la musique (TL).
Une structure modélisante pour l’assemblée
La chorale a également un rôle de cohésion à jouer dans la création de paroisses nouvelles pour susciter un fonds commun par exemple (TL).
Elle peut être aussi un vivier de psalmistes ou de lecteurs.
Le rôle du chef de chœur
Le chef de chœur devra être lucide sur la valeur musicale de la composition, la mise en œuvre avec l’assemblée, la qualité du texte, la difficulté d’exécution, l’équilibre entre des répertoires différents (TL). Dans cet esprit la chorale peut chanter des chants qui montreront que l’ensemble de la communauté est prise en compte (AG).
Le chef de chœur veillera à ne pas s’enfermer dans la solitude et à travailler en lien étroit avec l’organiste dans de bonnes conditions (TL). Il s’impliquera aussi dans les lieux où les choix des chants s’opèrent (AG).
En résumé le chef de chœur déploie trois compétences à équilibrer : pédagogie-didactique, animation-gestion de groupe, gestion-organisation-conception-développement et mise en œuvre de projet (TL). Il veillera à ce que le choriste soit toujours dans la perception de quatre domaines : la voix, le corps, l’écoute et le regard.
Regards œcuméniques
Dans l’église protestante la chorale a peu d’écho dans la tradition réformée. A contrario, la tradition luthérienne, riche d’un héritage musical considérable (chœurs, cantates, motets), a sans doute encouragé l’émergence de chorales plutôt dans l’est de la France (Alsace et Moselle, Franche-Comté). Cependant la chorale est davantage envisagée comme un embellissement du culte ou comme un élément festif ponctuel (JS).
Il n’en est pas de même dans l’Eglise orthodoxe où la chorale est le « cœur » de l’assemblée avec un statut particulier : les chantres dans la tradition orientale reçoivent souvent une ordination (ML). Dans les célébrations tout est chanté et psalmodié. Si le prêtre est considéré comme « la bouche et les mains » de toute l’assemblée, le chœur est son cœur, et c’est lui qui glorifie Dieu au nom de toute l’assemblée (ML).
La disposition dans l’espace revêt également une grande importance : les chantres et leur chef ne tournent jamais le dos au sanctuaire. Tous sont tournés vers l’autel et l’image eschatologique du Christ en gloire.