La musique liturgique et son inculturation dans le temps présent
Par Philippe Barras, Enseignant à l’Institut Supérieur de Liturgie, directeur du Centre interdiocésain de pastorale catéchétique de Lille et directeur de rédaction de La Maison-Dieu
Philippe Barras aborde la difficile question de l’inculturation abordée par le pape François.
Le discours, relativement court, que le pape François a adressé aux participants du Congrès international de musique sacrée, à l’occasion du cinquantenaire de la publication de l’Instruction Musicam sacram, revêt un intérêt majeur à mes yeux. A la suite de ses prédécesseurs, en particulier depuis St Pie X1, il situe la musique liturgique essentiellement comme facteur de participation pleine et entière des fidèles à l’action liturgique, y compris – et c’est là, me semble-t-il, le point important – dans le cadre du rapport complexe qu’entretient ladite musique avec la culture contemporaine2. Cela demande de bien comprendre ce que le dernier Concile a voulu entendre par « participation active », et c’est ce que précise le pape : elle consiste à savoir entrer profondément dans le mystère de Dieu sauvant son peuple par la mort et la résurrection du Christ, et donc « à savoir le contempler, l’adorer et l’accueillir, à en percevoir le sens ». Et la musique apparaît alors un secours précieux pour aider à entrer dans ce mystère, à en percevoir la profondeur et à le « sentir » avec tous les sens.
Cela demande aussi de bien comprendre la relation complexe que la liturgie entretient avec la culture contemporaine environnante. Cette question a agité et agite encore la réflexion chez nombre de musiciens d’Eglise : faut-il une musique à-part, distinct et en décalage avec le monde contemporain, marquant un sacré séparé du profane ? Ou faut-il une musique davantage en prise avec la culture et qui sera d’autant plus sacrée qu’elle ouvrira nos contemporains à un possible dialogue3 avec le Dieu de Jésus-Christ ? Sacrosanctum concilium a en quelque sorte tranché la question en affirmant que « l’Eglise approuve toutes les formes d’art véritable, si elles sont dotées des qualités requises, et elle les admet pour le culte divin. »4 La préférence marquée pour le chant grégorien5 tenant essentiellement à sa faculté particulière à être « en connexion étroite avec l’action liturgique »6. Si l’on suit ce que dit le pape François, on pourrait ajouter que la musique sacrée gagnerait donc à s’appuyer davantage sur la culture contemporaine – sans pour autant se laisser emporter par les effets de modes passagères – afin d’aider les hommes et les femmes, et peut-être surtout les plus jeunes, à « entrer plus profondément dans le mystère de Dieu » et à entrer en relation avec lui.
A la suite de Saint Jean-Paul II, nous pouvons reprendre ici le concept théologique « d’inculturation » qu’il a défini, à la suite du Père Arrupe7, comme « l’incarnation de l’Evangile dans les cultures autochtones et en même temps l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Eglise. »8 Une telle définition appelle au moins deux remarques. La première est que l’inculturation est un phénomène réciproque ! Il ne s’agit donc pas d’importer de manière plus ou moins heureuse des éléments culturels9 extérieurs (en particulier musicaux) à l’intérieur de la liturgie, mais d’engager une fécondation réciproque entre la culture métissée de la liturgie romaine avec ses 20 siècles d’histoire, et les cultures des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Ce qui nécessite dialogue, recherche de consensus et au moins accueil bienveillant des styles et formes différentes véhiculées par des cultures contemporaines qui se croisent, se mélangent et parfois s’affrontent.
La seconde, encore plus profonde de notre point de vue, est que c’est d’abord l’Évangile, la Bonne Nouvelle, qui doit être inculturé : au-delà des moyens, il s’agit de la Révélation elle-même ! Et l’on retrouve bien ici la préoccupation du pape François : la question n’est pas seulement de chercher des adaptations particulières à une culture, elle est de faire entendre la Révélation dans une culture nouvelle, de manière à ce que nos contemporains (aussi bien les futurs convertis que les déjà baptisés) se trouvent en possibilité d’entrer plus profondément dans le mystère de Dieu. Là encore, écoute réciproque, dialogue bienveillant et recherche de consensus sont nécessaires. La musique sacrée a là une tâche immense devant elle10 et qui ne sera achevée qu’à la fin des temps !
Cet article est extrait du dossier Le discours du pape François pour les cinquante ans de Musicam Sacram
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[1] Cf. son motu proprio de 1903 sur la musique sacrée, Tra le sollecitudini, qui envisage celle-ci comme moyen essentiel pour la participation active des fidèles.
[2] Le thème du congrès de mars 2017 portait justement sur le rapport entre musique sacré et culture contemporaine.
[3] On touche ici à une autre dimension du « sacré » qui apparaît davantage comme médiation que comme séparation (cf. Mircea Eliade, Le profane et le sacré, éd. Gallimard, 1965).
[4] SC n°112 à propos de la musique sacrée.
[5] SC n°116.
[6] SC n°112.
[7] Il n’est pas anodin de remarquer que cette notion est née chez les Jésuites !
[8] Jean-Paul II dans l’encyclique Slavorum apostoli, 1985, n°21 ; définition reprise au n°4 de Varietates legitimae, la 4e instruction de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements de 1994, pour une juste application de la Constitution conciliaire sur la liturgie et portant sur « La liturgie romaine et l’inculturation ».
[9] Dans ce cas, il faudrait plutôt parler d’enculturation, au sens sociologique du terme.
[10] On lira avec profit le n°290 de La Maison-Dieu qui fait le point sur les chantiers de la musique liturgique aujourd’hui (cf. Michel Steinmetz, Emmanuel Bellanger, Philippe Robert, etc.), et présente une réflexion sur les critères de convenance d’une musique liturgique (Jo Akepsimas).
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P. Barras – La musique liturgique et son inculturation dans le temps présent
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SNPLS – Le discours du pape François pour les cinquante ans de Musicam Sacram